Débat au parlement entre... les vivants et les morts
Débat au parlement entre… les vivants et les morts
A Genève, le parti radical nest pas encore mort il nest cependant que lombre de lui-même et, au chapitre des ombres, il soccupe des cimetières! Ressortant quelques vieux souvenirs de son Kulturkampf, pour se donner limpression dexister, quitte à surfer – au nom dune «laïcité» mythique, sur le fond douteux des racismes anti-musulman et antisémite. Comme le relevait Marx, lhistoire se répète, mais la deuxième fois cest une farce!
Fin octobre, le parlement genevois était en effet saisi dune motion 100% radicale exigeant lapplication «rigoureuse» par le Conseil dEtat de la loi de 1876 sur les cimetières qui dispose que les morts sont enterrés à Genève, par ordre darrivée et sans distinction de religion ou autre.
Le motif de cet accès? La Ville de Genève est entrée en matière sur laffectation possible de quelques arpents de ses cimetières à des «carrés» où des Musulmans ou Juifs pourraient enterrer ensemble leurs morts, selon les us et coutumes de ces religions.
Lexposé des motifs de la motion fait sourire: on y invoque bien sûr la laïcité supposée de nos cimetières (où fleurissent pourtant moultes signes religieux), mais aussi une très surprenante «égalité des âmes» (sic!)
Pour légalité, repassez ou trépassez
En effet, cest sur un plaidoyer pour l«égalité» (des morts!), que le radical et ultralibéral Pierre Kunz, a axé son discours. Pour ces fantômes agitant les oripeaux dun parti radical qui fut révolutionnaire, légalité ne se conçoit pas sur terre, ils la combattent à journées faites par leur soutien au démantèlement social, leur opposition au service public gratuit pour tous et au rôle redistributeur de limpôt Pas dégalité sur terre donc, mais six pieds dessous ça devient une question de principe! Amusant, non? Comme était amusant de voir un PDC, aux racines catholiques se rallier aux positions de ses ennemis anti-cléricaux de naguère.
Lautre argument choc, développé par Kunz et ses supporters, fut que lexistence de quelques «carrés» par religion – favoriserait «lexpression violente de sentiments de haine, comme on la vu dans des pays voisins.» Cette idée escamote les racines réelles des racismes en question et conduirait, si on voulait lappliquer de manière radicale, à une exigence de fermeture de ces mosquées et synagogues, coupables dans cette logique – de favoriser les haines dont elles sont lobjet!
Enfin, des émules de Kunz sont intervenus pour refuser quon concède à des communautés religieuses la moindre part du sol, public et républicain, de nos cimetières alors que quand il sagit de privatiser le service public, ces scrupules restent au placard.
Fermer les églises?
Dailleurs, tout ce discours sentait la tartufferie: alors quon exige lapplication de la «loi», on oublie que la constitution genevoise prévoit la mise à disposition dédifices publics (des églises propriété de communes ainsi que la cathédrale Saint-Pierre) aux fins des cultes divers – bien de chez nous il est vrai – qui sy déroulent.
Or ces églises, comme les lieux de culte dautres religions, ne sont pas plus «choquantes» que des «carrés» dans des cimetières. On peut certes, dun point de vue matérialiste et athée, comme celui du soussigné, souhaiter quà terme ces édifices «reviennent sur terre». Mais ce sera quand leurs fidèles les auront désertés, gagnés par les lumières, par la persuasion et par leurs expériences sociales et ne saurait découler de mesures administratives.
La croix en bandoulière
A relever encore dans ce débat, deux interventions. La première de Pierre Schifferli – promoteur en son temps de la «fondation Pinochet» consacrée à diffuser les idées du général et recyclé à lextrême droite du parlement chez lUDC – qui a tenu a «appuyer complètement» les radicaux sur la laïcité tout filant un discours douteux mettant en cause les «religions étrangères à nos traditions chrétiennes», invoquant la croix du drapeau suisse méritée dans leurs rudes combats par les habitants de Schwyz, etc. Il a enfin eu le culot de prétendre que si lon ny prenait pas garde on prendrait le chemin de l«exclusion». Pas mal pour le porte-parole dun parti qui a porté le coup de grâce au droit dasile en Suisse!
La deuxième fut celle du libéral Pierre Weiss, qui éditorialise dans journal patronal. Ici aussi, le naturel est revenu au galop: il a soutenu les positions radicales, avec un bémol. Selon lui, une solution pourrait se trouver du côté de la mise sur pied de cimetières confessionnels privatisés! Que diable, une demande solvable ça se respecte religieusement, quand on est libéral.
De notre côté
Pierre Vanek – membre de solidaritéS, député ADG et auteur de ces lignes – est quant à lui intervenu dans ce débat comme ci-dessus. Mais pour dire aussi que les enterrements concernent les vivant-e-s, or la constitution genevoise prévoit que les cultes sexercent et que les églises sorganisent «en vertu de la liberté de réu-nion et du droit dassociation», sans subvention ou soutien dEtat. Les églises sont – au regard de cette loi «laïque» – des associations de droit privé, comme dautres, et ne sauraient bénéficier de faveurs ou passe-droits. Par contre, dans la mesure où leurs pratiques nattentent pas aux droits et libertés des autres, elles doivent être admises, comme les activités collectives de toute association de citoyen-ne-s. Elles peuvent bien sûr être critiquées, discutées mais pas interdites!
La laïcité de lEtat a été instiutuée en son temps pour que les droits de chacun-e-s soient respectés, pour que des institutions publiques: écoles, hôpitaux, etc. ne soient pas monopolisées par telle église qui sen servirait à des fins de prosélytisme ou dexclusion. Or cette bataille est gagnée, ici et maintenant, les quelques mè-tres de terre concédés à des fidèles de telle ou telle religion, pour quils y pratiquent les ensevelissements à leur manière, ne sauraient menacer le droit de quiconque à se faire enterrer comme lui ou ses proches lentendent.
Verrue à supprimer
Par contre, et dans le même esprit, il y a – dans le corpus législatif genevois – une verrue dérogeant à cette conception, simple claire et laïque. Cest un règlement de 1944 qui désigne trois églises du cru1 comme étant «reconnues publiques à lexclusion de toute autre communauté religieuse»!
Si on veut faire un geste pour affirmer la laïcité de lEtat, il faut bien sûr abroger de suite ce texte qui «reconnaît publiques» abusivement des associations de droit privé et qui brandit ouvertement l«exclusion» à légard de toute religion étrangère. Cest sur cette modeste proposition qua conclu le soussigné
Pierre VANEK
- Règlement C 4 15.03 du 17.5.1944. Il sagit de lEglise nationale protestante, de lEglise catholique romaine et de lEglise catholique chrétienne.