Ecologie

Combat écologiste et question sociale

Multiplication des événements météorologiques extrêmes avec leurs cortèges de morts et de sans-abri, épuisement de stocks de poissons et étranglement économique de la pêche artisanale, explosion des maladies professionnelles, accaparement de terres, taxes carbone, marché de droits à polluer, etc. Autant de manifestations de l’entremêlement étroit des questions sociale et écologique.


Par Laurent Garrouste
Inspecteur deu travail, juriste, membre de la Fondation Copernic, du conseil politique et de la commission écologie du NPA (France)

Cahier émancipationS du journal solidaritéS numéro 182. Version intégrale à télécharger en cliquant sur le lien suivant : cahierS émancipationS

En réalité, les deux crises écologique et sociale sont concomitantes et chacune d’elles détermine les dimensions et caractéristiques de l’autre de plus en plus fortement.

Les deux faces d’une même crise

Deux grandes lignes directrices de conditionnement de la question sociale par les enjeux écologiques peuvent être dégagées. En premier lieu, en menaçant d’effondrement ou d’appauvrissement de nombreux écosystèmes sur la base desquels les sociétés humaines reposent, les manifestations de la crise écologique fragilisent ceux et celles qui n’ont pas ou peu de ressources pour y faire face – au Sud comme au Nord –, c’est-à-dire les plus pauvres, mais aussi l’ensemble des populations laborieuses. Il en est de même de la multiplication des événements climatiques anormaux.

    En second lieu interviennent les effets des politiques menées par les classes dirigeantes, en réaction à la crise écologique. Fondamentalement, leur action se caractérise par son insuffisance totale au regard de la gravité de la crise, qui se traduit par le refus de mener des politiques qui conduiraient à mettre à l’abri l’ensemble de la population, mais aussi par le fait que les mesures prises sont autant d’attaques contre la grande majorité de la population.

    Calibrées pour conforter les intérêts des différents secteurs des classes dominantes et perpétuer leur domination, ces mesures visent à mettre à l’abri les secteurs privilégiés de la population, à transformer en nouvelles sources de profit les activités économiques rendues nécessaires par l’apparition et le développement de la crise écologique, enfin à faire payer les exploité·e·s pour une crise dont ils ne sont pas responsables. Les différentes politiques mises en œuvre pour faire face au réchauffement climatique et ses conséquences l’illustrent bien : ouverture de nouveaux marchés, outils fiscaux inégalitaires, refus de financer les actions permettant de mettre à l’abri les populations les plus menacées, pour l’heure situées surtout dans certains pays du Sud.

Pas de capitalisme « vert »

On ne peut comprendre la dynamique de cette double crise combinée ni y répondre sans en dévoiler les causes. Le fonctionnement même du capitalisme est ici en jeu. Système fondé sur la recherche permanente de profit par la mise en concurrence de nombreux capitaux, le capitalisme est engagé dans une perpétuelle fuite en avant de la production. Dépourvue de prix, ou affublée d’un prix dérisoire, la nature est réduite à un gisement et un dépotoir. Le caractère intrinsèquement productiviste du capital porte donc en lui la destruction écologique. La dynamique même du capital s’oppose à la prise en compte des contraintes générées par la nécessité de préserver les écosystèmes, ceci que ce soit en période de récession, creuset où s’expérimentent souvent de nouveaux moyens d’exploitation et de destruction, ou en période de croissance, où le pillage redouble de gloutonnerie.

    En outre, l’irrationalité du capitalisme à l’échelle sociale globale, au premier rang de laquelle la fuite en avant de la production pour le profit générant périodiquement des crises de surproduction, se traduit par un gigantesque gaspillage permanent de travail humain et de ressources naturelles. Ces mécanismes fondamentaux ont pour conséquence l’impossibilité théorique et pratique d’un capitalisme véritablement « vert », dont les résultats des sommets de Copenhague et Cancún ont montré à quel point il constituait une illusion.

    Relever le défi passe par une orientation clairement anticapitaliste, qui s’attaque à la racine de chacune de ces crises. Elle implique de définir un horizon écosocialiste de transformation révolutionnaire de la société guidant l’élaboration d’un programme de réponses combinées, simultanément écologiques et sociales. S’appuyer sur une critique radicale et renouvelée du système capitaliste, assurer la jonction des critiques portées historiquement par le mouvement ouvrier et le mouvement écologique, ouvrir la voie à une véritable écologie sociale du travail : voilà des sillons à creuser en priorité.

    Les salarié·e·s sont les premières victimes de la crise écologique, d’abord sur leur lieu de travail en tant que travailleurs·euses. A leur exploitation économique est associée une exploitation physiologique : l’utilisation de la force de travail s’effectue sans tenir compte de ses conséquences sur la santé physique et mentale des travailleurs-euses, conduisant à leur usure et mort précoces. De même qu’il exploite la nature, le capital exploite la force de celle/celui qui travaille, « source vivante de valeur », comme disait Marx, d’où la plus-value et donc le profit jaillissent.

Mener la lutte sur les lieux de travail

Si les luttes politiques et sociales du 20e siècle ont permis de mettre un certain frein à cette tendance, elle n’en perdure pas moins de façon évidente et massive, quand elle ne tend pas à se redéployer à la faveur de l’offensive néolibérale de ces trente dernières années. En témoigne le différentiel de mortalité entre catégories professionnelles dans tous les pays, mais aussi le transfert vers les pays du Sud et les pays émergents des formes les plus féroces d’exploitation dans le cadre de la division internationale du travail.

    Avec le capitalisme, l’insertion des innovations technologiques dans le procès de production des biens et services est réalisée avec le seul objectif de maximiser le profit, sans souci des conséquences pour la santé des travailleurs·euses et pour la nature. La dégradation des conditions de travail, particulièrement marquée ces dernières décennies, apparaît ainsi comme sous-produit à la fois écologique et social du productivisme capitaliste.
  
 La bataille contre l’exploitation physiologique des travailleurs-euses doit être un des axes clés d’un anticapitalisme écologiste. Elle doit être ancrée dans la mobilisation sociale des salarié·e·s. Or, si les luttes sur les conditions de travail accompagnent toute l’histoire du mouvement ouvrier c’est souvent sur un mode subordonné. Des luttes exemplaires sont aujourd’hui largement occultées de la mémoire ouvrière et militante, comme la lutte victorieuse des allumettières, à la fin du 19e siècle, dans plusieurs pays européens, contre la nécrose phosphorée de la mâchoire : une lutte qui a combiné bataille pour le droit à la vie et la santé, mais aussi pour changer le type de production.

    Exiger la fin du scandale de la mort précoce des travailleurs·euses, c’est poser la question du contrôle par eux-elles de la gestion de leur entreprise, indispensable à la maîtrise collective de l’organisation et des conditions du travail. C’est se battre tout de suite pour le contrôle social et public sur les méthodes de production, pour l’arrêt de modes de travail pathogènes et inhumains comme le travail à la chaîne, ou encore pour l’arrêt de tout travail de nuit ne correspondant pas à un impératif social.

Remettre en cause les prérogatives liées à la propriété

L’un des traits historiques du réformisme syndical, et plus encore du syndicalisme social-libéral d’accompagnement du capitalisme, est le refus – plus ou moins assumé – de contester les prérogatives patronales de gestion de la production dans l’entreprise, effet immédiat de la renonciation à remettre en cause le pouvoir patronal en général et à vouloir changer la société. Ce refus a eu pour corollaire une relativisation de la bataille sur les conditions de travail, et plus globalement une incapacité à contester les problèmes écologiques générés par la production, que ce soit dans ou hors de l’entreprise. La participation active de responsables syndicaux avec le patronat et la haute administration au sein du Comité permanent amiante en a été l’un des moments les plus tragiques e France. Au Québec, encore aujourd’hui, l’Institut du Chrysotile est présidé par un syndicaliste.

    L’atteinte portée à la santé sur les lieux de travail est redoublée par l’atteinte résultant du lieu d’habitation. L’inégalité sociale d’exposition aux effets de la crise écologique sur le lieu de travail se cumule avec l’inégalité sociale d’exposition liée à l’habitat. Les riches habitent peu près des usines, des autoroutes, des décharges, ou dans des appartements insalubres. Les conditions de travail et conditions de vie (lieu d’habitation et type d’habitat, lieux et types de consommation, temps de transport domicile-travail, dépendance envers l’utilisation de l’automobile, accès aux soins, cumul inégal des tâches domestiques et de l’activité professionnelle pour beaucoup de femmes, etc.) des travailleurs·euses, qui constituent l’immense majorité de la population, sont l’élément déterminant de leur exposition privilégiée à la crise écologique et à ses effets.

Le fétichisme de l’automobile

Le type de consommation de masse mise en place par le capitalisme conduit à la production de biens à faible durée de vie dans des conditions sanitaires et environnementales néfastes. L’obsolescence des biens courants et la production de biens inutiles permise par la manipulation publicitaire de besoins artificiellement créés, nécessaires pour fournir un débouché économique au système, représentent un autre exemple du gigantesque gâchis de temps de travail et de matière généré par le capitalisme. Elément pivot de cette consommation de masse, la voiture individuelle occupe une place particulière.

    L’analyse de ce bien fétiche permet la mise à nu de l’irrationalité écosociale du mode de vie produit par la domination du capital. Son utilisation contrainte pour de nombreux travailleur·euse·s découle de l’insuffisance de transports collectifs dans un contexte d’éloignement du lieu de travail et du lieu d’habitation, significative du mode de satisfaction des besoins de logement et de transport que produit le capital. Le coût du véhicule, de son entretien et du carburant grève les salaires, tandis que le temps de conduite s’ajoute au temps de travail et le prolonge. Le développement massif de la voiture individuelle, qui joue un rôle clé dans l’explosion des émissions de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique, est une illustration de la manière dont le capitalisme prend en charge les besoins sociaux.

Destruction et/ou subordination de la paysannerie

La maîtrise de la production: que produire, où, quand et comment – permet au capital la maîtrise de la consommation. Ainsi, par exemple, le contrôle de la production agricole par les grandes firmes capitalistes a pour effet de concentrer la propriété de la terre en éliminant la petite paysannerie. La recherche du profit maximal conduit à produire sans tenir compte des impératifs écologiques (pollution des eaux, épuisement des aquifères, utilisation massive d’engrais et de pesticides, réduction drastique de la biodiversité culturale…).

    A l’échelle internationale, la domination des multinationales et la politique de subventions publiques à l’exportation des grands pays du Nord, dans un contexte de libéralisation commerciale, conduisent à la destruction de l’agriculture de nombreux pays et jouent un rôle déterminant dans le développement des famines. C’est également l’un des mécanismes qui permet de générer un volant de main d’œuvre non qualifié et sans droits du fait de la contrainte économique à l’émigration vers les pays du Nord, dont maints secteurs économiques sont avides, tels que le bâtiment, la restauration, le nettoyage ou les grandes exploitations de l’agrobusiness.

    La prise de contrôle de la distribution des biens courants par quelques grandes firmes dans de nombreux pays du Nord conduit à transformer de nombreux paysan·ne·s en sous-traitant·e·s des centrales d’achats. A cet étranglement, le secteur de la grande distribution ajoute la surexploitation de la main d’œuvre, particulièrement féminine, et la standardisation des biens alimentaires. Sans compter que l’organisation économique du secteur s’appuie sur des flux importants de transports routiers de marchandises, mais aussi sur l’acheminement automobile des clients jusqu’aux points de vente.

Deux combats intrinsèquement liés

Le capitalisme a développé les différents secteurs économiques de manière à maximiser ses profits et asseoir sa domination. Le mode de production de ces secteurs est insoutenable socialement comme écologiquement : l’industrie automobile réduit les travailleurs·euses à des appendices des chaînes de montage, de jour comme de nuit, au service de la production de moyens de transports chers, dangereux et polluants ; l’industrie agroalimentaire combine des conditions de travail physiquement et psychiquement terribles avec la production d’aliments standards, bourrés de sucre, de sel et de nombreux adjuvants chimiques aux effets mal connus; l’industrie nucléaire fait courir un risque de mort massive à la population tout en reposant sur l’irradiation continue de milliers de travailleurs·euses de la sous-traitance de maintenance, etc.

    La perspective anticapitaliste ne peut donc se borner à vouloir prendre la maîtrise des grands moyens de production des biens et services à la minorité qui les détient et les dirige, mais doit viser à une transformation écosociale de ceux-ci. Cette visée là ne peut pas être renvoyée à un horizon lointain, mais constitue un enjeu immédiat. Pour se renforcer, la critique anticapitaliste doit dénoncer frontalement l’irrationalité écologique et sociale de l’organisation économique et sa légitimation passe par la lutte – dans l’immédiat et concrètement – contre ce mode d’organisation dans le but d’arracher des conquêtes partielles, indispensables pour asseoir la confiance dans la possibilité d’un changement global.

    La dimension écologique fait partie des coordonnées des luttes sociales : se battre pour l’emploi dans l’automobile, la chimie ou le pétrole ne peut plus se faire sans apporter simultanément une réponse à la question écologique posée par ce type de production, qu’il faut formuler en termes de reconversion radicale. Ne pas le faire, c’est renoncer à répondre à l’urgence de la crise environnementale, et par-là même faciliter l’instrumentalisation patronale, à des fins antisociales, de la question écologique. Symétriquement, la dimension sociale fait partie des coordonnées des luttes écologiques comme le montre la bataille autour des solutions apportées à la crise climatique.

Reconversions écologiques et luttes sociales

Travailler toutes et tous, travailler moins, travailler mieux : la question du travail et celle de l’emploi ne peuvent être posées séparément tant la surexploitation, la précarité, le chômage, la non satisfaction de nombreux besoins humains et sociaux fondamentaux pour une part importante de la population et la production de biens nuisibles ou absurdes sont les dimensions d’un même problème. Face à ces fléaux doit être opposé un programme de conquêtes sociales et écologiques: réduction du temps de travail, suppression des licenciements, reconversion des activités inutiles ou dangereuses, création massive d’emplois socialement et écologiquement utiles, extension massive du champ de la gratuité.

    Notre défense inconditionnelle de l’emploi est fondée sur la défense d’un droit fondamental non négociable : rien ne justifie de priver des salarié·e·es de travail. Mais la défense de l’emploi n’est pas la défense de la production de tout type de biens ou services. L’arrêt de nombreuses productions, la réduction drastique d’autres, et la transformation de toutes est nécessaire, tant pour des raisons écologiques que sociales. Cependant les travailleurs·euses ne sauraient payer le prix de ces transformations. Au contraire, ils/elles doivent en être les acteurs·trices et les bénéficiaires.

    La bataille pour la suppression des licenciements et celle pour la reconversion – qui peuvent être séparées ou liées selon les moments ou les secteurs – impliquent un combat pour l’obtention d’un cadre (comme il en existe un pour la sécurité sociale) qui garantisse, en cas de suppression d’une activité pour des raisons écologiques, la garantie du maintien des contrats de travail et de leurs contreparties (rémunération, garanties sociales) jusqu’au reclassement collectif des salarié·e·s à égalité de qualification et de rémunération. Le financement du coût du reclassement doit être opéré en créant un fonds mutualisé alimenté par des cotisations sociales patronales.

Reprendre le contrôle de nos vies

La réduction du temps de travail est un autre axe clé pour la création d’emploi d’une part et l’amélioration des conditions de travail et de vie d’autre part. A condition de ne pas être dévoyée en instrument de réaménagement de l’organisation du travail piloté par le patronat, comme ce fût le cas à l’occasion des lois Aubry en France. Cela suppose que la loi garantisse le maintien des salaires, l’obligation d’embauches compensatoires, et l’absence de flexibilisation du temps de travail. Au-delà, il s’agit d’un axe stratégique fondamental d’une politique d’émancipation : la prise en charge par les citoyens et les travailleurs, femmes et hommes, des affaires communes suppose en effet de réduire la partie de la vie de chacun occupée par le temps travaillé.

    Cependant, cette seule réduction ne peut suffire en soi si l’activité de loisir et l’activité de travail demeurent des activités aliénées pour le plus grand nombre. Dans une perspective écosocialiste, la réduction du temps travail constitue un élément déterminant de la transformation du travail et de la société dans son ensemble. Cela suppose au minimum une maîtrise des choix collectifs par l’ensemble de la population et une gestion de leur unité de travail par les travailleurs-euses eux-mêmes. L’émancipation humaine doit combiner émancipation au travail et émancipation des loisirs (du temps libre).

    La création massive de postes de travail socialement et écologiquement utiles constitue un autre pilier essentiel. Les gisements d’emploi correspondant aux besoins sociaux non satisfaits mais aussi à la mise en place de secteurs écologiques de production de biens et de services sont colossaux. Le capitalisme laisse en friche ces besoins, en bonne partie non solvables, ou y répond en recourant à une main d’œuvre précarisée et mal payée. Cette création doit d’abord être le fait du développement de services publics, à l’échelle locale, nationale ou continentale, suivant les cas, afin de répondre à ces besoins par la création d’emplois qualifiés, à temps plein, correctement rémunérés: aide aux personnes âgées dépendantes, eau, transports, énergie, protection et restauration des espaces naturels et de la biodiversité, isolation des bâtiments, réaménagement et désenclavement des quartiers de relégation, etc.

Prendre soin des êtres humains et de la nature

Dans plusieurs cas, cela implique de passer par l’appropriation publique et sociale d’un secteur aujourd’hui privé. Mais cette création d’emplois concerne aussi l’agriculture, dès lors que celle-ci doit être réorganisée de façon à soutenir et favoriser la petite production paysanne écologique sous forme individuelle ou associée. La relocalisation d’une part importante de la production agricole, jointe à la transformation radicale des méthodes culturales pour sortir de l’agriculture productiviste et polluante nécessitent l’appel à de nouvelles sources de travail vivant. Cependant, cette évolution de l’agriculture ne peut que s’accompagner d’une profonde évolution des conditions de travail des petits paysan-ne-s et salarié·e·s agricoles.

    Les anticapitalistes doivent cesser de concevoir la question agricole comme une question accessoire, alors qu’il s’agit d’une question sociale et écologique déterminante pour l’ensemble de la population. La dynamique de privatisation de l’ensemble de la chaîne alimentaire, du brevetage des semences jusqu’à la restauration collective, constitue un enjeu démocratique fondamental aujourd’hui et dans la perspective d’un changement social profond. Rendre effective la souveraineté alimentaire est indispensable pour assurer la maîtrise collective des choix sociaux.

    Le développement de services publics de qualité gratuits – ou quasi-gratuits dans certains cas – est également déterminant pour l’amélioration des conditions de vie de la population. L’exigence d’une augmentation des salaires est l’exigence minimale pour vivre le moins mal possible dans le système tel qui l’est. C’est aussi se battre pour un dû, en combattant au quotidien contre l’exploitation du travail par les capitalistes. Le/la salarié·e ne saurait être considéré comme responsable de la nécessité où il se trouve de défendre son niveau de revenu pour pouvoir maintenir son niveau de vie dans le cadre d’un système qu’il subit.

Contre le consumérisme : la gratuité

Une part importante du salaire est d’ailleurs aujourd’hui socialisée, c’est le résultat des luttes passées, même si cet acquis est lourdement menacé par la marchandisation des services en cours. Le niveau de vie de la plus grande partie de la population n’est pas très élevé : il est médiocre et souvent mauvais pour beaucoup. Le type de consommation dominant est avant tout un carcan imposé par ceux qui décident de ce qui est produit, non un libre choix des consommateurs·trices. Cela n’interdit pas de chercher à développer un mouvement critique du mode de consommation capitaliste, mais permet d’être conscient que l’on ne pourra changer la société seulement en se mettant à consommer autrement.

    La bataille pour l’augmentation des salaires doit se combiner à d’autres revendications notamment la gratuité de certaines consommations et le contrôle des prix de certains biens courants, notamment alimentaires. Ces revendications reviennent à défendre l’extension directe de la sphère socialisée. Dans une logique d’instauration de biens communs, dont le bon usage est garanti pour toutes et tous, et l’abus pénalisé, il convient de défendre la gratuité d’une consommation d’eau et d’énergie de base (égales par exemple à la consommation moyenne d’un salarié·e) et la taxation progressive du surplus consommé, assortie de pénalités pour les usages de luxe. Cette revendication permet de combiner dimension écologique (maîtrise de la consommation) et dimension sociale (gratuité pour une grande partie de la population et taxation forte des riches). Elle suppose une bataille concomitante pour une réforme fiscale profonde, de façon à éviter que le coût de la gratuité ne repose sur l’immense majorité de la population.

    Face à l’ampleur de la crise économique et à ses dégâts écologiques et sociaux, il ne saurait être question de réclamer une relance de la croissance, c’est-à-dire une relance du système économique capitaliste. Il ne saurait s’agir non plus de laisser croire qu’une croissance « verte » serait possible dans le cadre d’un système fondamentalement productiviste. A ces perspectives, doit être opposée la nécessité d’organiser démocratiquement la société de façon à satisfaire écologiquement les besoins fondamentaux et sociaux. Ce qui suppose croissance forte de certains secteurs et décroissance toute aussi forte d’autres. L’orientation que nous venons de développer débouche sur la perspective de transformation révolutionnaire de la société dans une perspective écosocialiste : gestion par les travailleur·euse·s de leur unité de production, appropriation sociale et publique des grands moyens de production et d’échanges, transformation écosociale des forces productives, planification démocratique, recours au marché de manière accessoire et subordonnée. La satisfaction écologique des besoins humains et sociaux constitue le seul horizon réaliste qui s’offre à l’humanité.

Laurent Garrouste*

*Inspecteur du travail, juriste, membre de la Fondation Copernic, du conseil politique et de la commission écologie du NPA (France).