Mexique: halte au féminicide !
Mexique: halte au féminicide !
Lassassinat, au mois de janvier
dernier, à Ciudad Juarez, de Susana Chávez, militante
pour les droits humains et poètesse, montre une fois de plus la
gravité du climat de violence qui règne au Mexique. Il
combine le féminicide avec la criminalisation et la
répression des luttes sociales dans le cadre de la
militarisation du pays, imposée par Felipe Calderón et sa
prétendue guerre au narcotrafic.
Le féminicide avait certainement déjà cours avant
le début de la présidence de Calderón, en 2006,
suite à une fraude électorale. Il est bien connu en
effet, que lorsque limpunité règne, lorsque
lassassinat des femmes nest pas combattu (et lorsque
même des meurtriers qui reconnaissent les faits sont
acquittés), le crime se répète, se multiplie et
sétend.
« Guerre » au narcotrafic ?
La semaine dernière, le gouvernement de lEtat de Mexico,
avec lappui du Ministère de lIntérieur, et
même de lInstitut de la femme de plusieurs Etats de la
République, sest opposé à déclarer
l« urgence de genre » dans cette
région, au prétexte de ne pas
« politiser » la situation et de ne pas
insister sur la responsabilité du gouverneur Peña Nieto,
futur candidat présidentiel du Parti révolutionnaire
institutionnel (PRI) aux élections de 2012.
Après son arrivée au pouvoir, Felipe
Calderón a mis en place sa politique criminelle de
militarisation du pays, en invoquant la
« guerre » contre le narcotrafic. Le pouvoir
tente de manipuler les chiffres et il y a une part dombre quant
au rôle respectif du « crime
organisé », de la police et de
larmée, qui agissent parfois la main dans la main, par
rapport à cette hécatombe. Depuis la fin 2006, on compte
28 000 homicides, 10 000 orphelins et 1000 à 2000
disparus, femmes et hommes.
Disparitions et exécutions à la chaîne
Rosario Ibarra et les mères du comité
« Eureka » exigent la réapparition de
plus de 500 personnes disparues sous les gouvernements du PRI,
spécialement à partir de la présidence de Luis
Echeverría, qui étaient tous-toutes des disparu-e-s
politiques, liés dune manière ou dune autre
aux luttes sociales et aux guérillas de ces
années-là. Avec Calderón, leur nombre a
augmenté et ils-elles proviennent de tous les milieux sociaux,
sans être nécessairement des politiques, ce qui ne
contribue pas à la révélation de ces cas par leurs
familles.
Pour la seule année 2010, la plus violente,
on a dénombré 15 273 exécutions. Ainsi, les
victimes de cette « guerre » sont souvent des
jeunes, tués à loccasion de fêtes
privées, des familles entières décimées
à des postes de contrôle de larmée, des
étudiant·e·s abattus au sortir des écoles,
sans la moindre trace daffrontement. Dans une majorité de
cas, il sagit dassassinats perpétrés par
les forces armées.
Les autorités invoquent le nombre de morts
pour montrer quelles sont en train de gagner la guerre. Il est
ainsi suggéré que les personnes abattues sont des
criminels, ce qui est faux (et même si cétait
exact, cela ne justifierait pas la lutte contre le crime
organisé par le meurtre). Lorsque les autorités sont
confrontées à lévidence que les victimes
sont des personnes innocentes, elles parlent de
« dégâts collatéraux » ou
de « sacrifices nécessaires ».
Activistes dans le collimateur
Etant donné quils·elles dénoncent
lhypocrisie de cette « guerre », ce
sont maintenant les défenseurs des droits humains et les
activistes qui combattent la militarisation et le féminicide
quon assassine. Cest pour cela, que lannée
dernière, à Ciudad Juárez, Josefina Reyes,
militante de la première heure contre le féminicide, a
été tuée. De nombreux habitant·e·s
et activistes de cette ville ont dû émigrer :
cest le cas de la camarade Cipriana Jurado, figure historique de
la lutte contre le féminicide.
Marisela Escobedo a ainsi été
froidement abattue, tandis quelle protestait devant le Palais du
gouvernement de lEtat de Chihuahua, parce quelle
dénonçait lacquittement de Sergio Rafael Barraza,
le meurtrier de sa fille Rubi, qui avait pourtant confessé son
crime. Depuis son assassinat, les menaces et agressions contre sa
famille et ses amis se poursuivent, obligeant nombre dentre eux
à se réfugier aux Etats-Unis. Et pourtant, les
protestation et les mobilisations continuent dans les rues de Ciudad
Juárez et du Chihuahua, grâce à limmense
courage et à lengagement des activistes et des
défenseurs des droits humains qui restent aux côtés
des familles des victimes.
Le degré élevé de violence et
de crimes contre les femmes, sans que ceux-ci ne soient
élucidés ni que justice soit rendue, fait du Mexique un
cas à part. Ainsi, le Chihuahua est devenu
larchétype de la militarisation du pays, faisant de
Ciudad Juárez lune des frontières les plus
violentes au monde. La situation sest encore aggravée
avec lassassinat des femmes qui défendent les droits
humains, les luttes sociales ou le combat contre
limpunité. Après lassassinat de Marisela
Escobedo, celui de Susana Chávez ne doit pas être
sous-estimé.
Non au sexisme et à la misogynie
Cette militante et poétesse cherchait à lier la
création artistique à la lutte contre le
féminicide. Cest elle qui avait lancé la consigne
« Pas une morte de plus ! ». Son
assassinat a provoqué une vague dindignation et de
nombreuses mobilisations. Les autorités ont cherché
à salir sa mémoire en prétendant que son meurtre
résultait dune beuverie en mauvaise compagnie. Il
sagit, une fois de plus, de justifier linjustifiable
à laide darguments sexistes et misogynes, et de
rendre les victimes responsables de leur sort en raison de leur
attitude « provocatrice » ou de leur style de
vie.
Pourtant, rien ne saurait justifier
lassassinat des femmes : elles ont le droit de vivre et de
se comporter comme elles lentendent, et de shabiller
comme elles le souhaitent. Elles ont le droit de ne pas vivre
cloîtrées chez elles, de pouvoir sortir à
lheure quelles veulent et où elles veulent sans
pour autant être accompagnées en permanence de leur
père ou de leur mari. Nous ne voulons pas de ce monde de terreur
et dintolérance. Nous ne voulons pas de ces valeurs que
la droite prétend nous imposer par la peur du féminicide,
limpunité et les crimes, produits de la militarisation du
pays.
Si Susana a été tuée pour
sêtre risquée à vivre librement, cest
une preuve supplémentaire quelle a bel et bien
été assassinée parce quelle était
une femme. Connaissant sa trajectoire, ce quelle écrivait
et pensait, les raisons qui la poussaient à lutter, les menaces
continues contre sa famille et ses amis, les menaces contre
dautres activistes, il est évident que son assassinat
représente aussi une agression ouverte contre lensemble
du mouvement de défense des droits humains, au travers de
lune de ses figures les plus limpides et les plus sensibles.
Une seule solution : la lutte collective
Un député du PRI du Chihuahua, apprenant la tenue de
protestations publiques face au Palais gouvernemental, a
conseillé aux activistes dallumer des cierges à la
cathédrale, endroit mieux indiqué, selon lui, pour
senfermer et prier afin que la violence cesse. Nous refusons les
leçons de morale du PRI et du PAN (catholique conservateur).
Nous disons non à la résignation, non à
lacceptation de la situation actuelle comme « mal
naturel », non à lexplication commode des
« dégâts collatéraux ».
Ce nest pas en nous enfermant chez nous que
cette situation prendra fin, mais en luttant politiquement, en occupant
la rue, en nous organisant. Celle-ci a commencé avec
larrivée au pouvoir de ce gouvernement criminel, champion
de la nécropolitique dEtat, responsable de la violation
des lois et des droits, de latteinte à la vie, à
laccès à la justice, au bien-être social et
à la dignité humaine de la population. Ainsi seulement,
le rêve de Susana qui criait « Pas une morte
de plus ! » pourra-t-il devenir
réalité.
Rejoignez les mobilisations et
campagnes nationales et internationales contre le féminicide et
la militarisation du Mexique !
Ce texte est une version traduite, raccourcie et adaptée par
notre rédaction, dune déclaration du PRT, section
mexicaine de la Quatrième internationale, publiée en
janvier dernier.www.prt.org.mx
Titre et intertitres de notre rédaction.