Chantiers

Chantiers : Danger, maçons en colère

« Journée de succès » pour Pietro Carobbio, d’Unia Vaud, « Magnifique manif de colère » pour Alessandro Pelizzari d’Unia Genève : la mobilisation du vendredi 25 novembre a fait descendre dans la rue des milliers de travailleurs de la construction — 7 000 selon le syndicat Unia — pendant cette journée de protestation.

Ce sont surtout les points d’appui traditionnels de Genève et de Vaud qui ont fourni le gros des troupes, avant la manifestation tessinoise du 2 décembre. Zurich et Berne, plus faiblement organisés, ayant moins contribué à la réussite de cette journée et devant faire face à une répression plus ouverte (forces de police devant les chantiers, p. ex.)

Un succès qu’il faut mettre en regard des modifications structurelles profondes que le secteur a connues, avec le développement de la sous-traitance, du précariat et de la sous-enchère salariale. La pression patronale est forte. Sur les conditions de travail : dans Le Courrier du 26 novembre, un maçon portugais, José, explique : « on nous demande de travailler dans des délais toujours plus courts et on nous fait beaucoup plus travailler sous la pluie qu’il y a vingt ans ». Malgré une situation économique favorable dans le secteur et une productivité en hausse, le patronat cherche à imposer sa discipline sans discussion. Ceux et celles qui ont participé le matin du 25 à la tournée des chantiers pour mobiliser les hésitants ont pu constater que le principal motif de refus était bien la peur des représailles patronales, réelles ou supposées. « T’es pas content ? La porte est là ! » semble bien être un refrain souvent entonné sur les lieux de travail. Cela sur fond d’absence de tradition de lutte dans le pays tout entier, qui fait apparaître le fait de poser ses outils pour un acte exceptionnel.

La SSE cherche la confrontation

Le communiqué de presse publié par l’organisation patronale du secteur, la Société suisse des entrepreneurs (SSE), ne grandit pas cette association, qui, sur son site, se plaint que « la population suisse — allez savoir pourquoi ! — se forge parfois des idées erronées des conditions de travail dans la construction ».

Il faut tout de même rappeler ici que c’est bien la SSE qui a constamment utilisé l’arme de la provocation durant ces négociations ouvertes depuis le 10 février. La première consistait à revendiquer un rétrécissement du champ d’application de la Convention nationale du secteur principal de la construction (CN). Devaient en être exclus les chauffeurs et travailleurs des sables, graviers, des décharges, du recyclage, des paysagistes et des transports de la construction. La raison ? Ce sont des activités profitables, surtout pour les grosses entreprises. Une revendication bien sûr soutenue par l’ASTAG, la très poétique organisation patronale des transporteurs routiers. Le président central de l’ASTAG n’est autre qu’Adrian Amstutz, ancien conseiller aux Etats UDC, récemment renvoyé à ses camions par les électeurs et électrices bernois.

La seconde provocation visait à inverser la procédure d’adoption de la CN. Cette convention est en effet déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral. Ce que l’on appelle la déclaration d’extension du champ d’application de la convention suit donc logiquement son approbation par les partenaires sociaux signataires. Soudain, la SSE décrète qu’elle n’acceptera la CN qu’une fois étendue par le gouvernement. C’est du temps de gagné (un semestre, en gros), mais aussi un possible imbroglio juridique, puisque le Conseil fédéral ne peut prononcer l’extension que si la convention est… conclue !

Troisième provocation, l’irruption en dernière journée de négociation de la possibilité, pour les patrons, de descendre sous les salaires minimaux conventionnels lorsque les travailleurs ont moins de six mois d’expérience dans la construction ou lorsqu’ils sont considérés comme « moins productifs », ce qui vise particulièrement les travailleurs âgés. A ce jugement sur la productivité du travailleur, largement ouvert à l’arbitraire patronal, s’ajoute enfin la revendication de réduction draconienne de la durée pendant laquelle un travailleur de moins de 45 ans ne peut être licencié lorsqu’il est malade ou accidenté (de 720 jours actuellement à 90, respectivement 30 jours, en fonction de l’ancienneté).

Pourquoi refuser la prolongation de l’actuelle convention ?

Pour faire bonne figure, la SSE avance un argument de prime abord frappé au coin du bon sens : en attendant de conclure une nouvelle CN, prolongeons la validité de l’ancienne. Ce que les deux syndicats impliqués nationalement, Unia et Syna, refusent de faire. Non seulement parce que la menace du vide conventionnel pèse aussi sur les patrons du secteur, vu la concurrence sauvage qu’ils s’y livrent et où la sous-traitance en cascade permet abus sur abus. Mais aussi parce que la prolongation joue la montre contre la mobilisation et laisserait croire que les revendications de dernière minute de la SSE — porteuse d’une dégradation forte de la convention collective — sont des exigences banales. La mobilisation du 25 novembre risque donc fort de n’être qu’un prélude.

Daniel Süri