S'opposer au développement? - entretien avec Rémy Pagani

entretien avec Rémy Pagani

Le Courrier du 19 janvier évoquait le débat au Municipal de la Ville de Genève à propos du plan directeur cantonal et de la politique de développement de la région. Avec une citation de notre camarade Rémy Pagani, conseiller administratif en charge des constructions et de l’aménagement: « On ne peut pas s’opposer au développement d’une ville, il faut l’accompagner. » Le groupe écosocialiste et la coordination de solidaritéS ont souhaité que notre magistrat clarifie son point de vue et voulu relancer le débat à solidaritéS sur le développement régional.

 

Quels sont, pour toi, les principaux enjeux sur le développement de la région ?

     Rémy Pagani : Rappelons quelques chiffres. La Ville de GE a un très gros déséquilibre logements/emplois, puisque nous avons seulement 0.66 logement pour 1 emploi, contrairement aux villes comparables de Suisse qui ont un équilibre de 1 pour 1. Mais le problème est plus large : au niveau cantonal, pour accompagner l’augmentation démographique, nous devrions construire 2500 logements par an. Or, ces trois dernières années, le canton a péniblement construit 1500 logements/an, dont les 2/3 en PPE (propriété par étage) ou en villas. Mais, pour répondre vraiment aux besoins de la majorité de la population, c’est la proportion inverse qu’il faudrait, puisque nous devrions avoir deux tiers de logements sociaux (soit un taux d’effort pour le loyer correspondant à 15 %-20 % du revenu). Or depuis que Mark Muller est aux affaires, on voit une forte recrudescence de logements en vente à prix spéculatifs.

 

A ce propos, quelle politique mène la Ville en matière de logement social ?

RP : Notre but est de participer à hauteur de 15% de l’effort du projet d’agglomération alors que nous ne représentons que 6% du territoire cantonal, à savoir 350 à 400 logements par année, dont plus de la moitié en logements locatifs. Surtout, notre objectif est qu’un quart de ceux-ci soit construit soit par la Ville de Genève, soit en coopérative, soit par la Fondation pour le logement social de la Ville, et donc à des prix abordables (Fr. 3600.- la pièce par an).

 

Plus globalement, qu’en est-il du plan directeur cantonal ?

RP : En novembre, j’ai déposé le plan directeur cantonal, validé par le Conseil d’Etat, sur le bureau du Conseil municipal. Ce plan directeur cantonal propose plusieurs mesures, dont certaines dans le bon sens (densification le long des axes de transport collectif, développement du réseau des espaces verts, densification des zones villa, développement de la mobilité douce, espace rural à protéger, dimension transfrontalière, développement durable et solidarité sociale, préservation du capital naturel, etc.) et d’autres bien plus contestables (poursuite de la croissance démographique, surélévation et densification des quartiers centraux etc.)

     Tout en m’interrogeant sur la faisabilité de réaliser 50 000 nouveaux logements d’ici à 2030, j’ai proposé au Conseil municipal de faire notamment entrer dans ce document l’équilibre 1 logement pour 1 emploi, au niveau cantonal. J’ai déposé une série de recommandations qui figurent dans les arrêtés votés au final par une majorité du Municipal. Ceci pour aller vers un développement qualitatif de la cité et mettre un frein réel au développement néolibéral du territoire.

 

Quelles conditions as-tu mises à un vote de soutien à ce Plan ?

RP : En commission la majorité de droite a biffé l’ensemble de mes conditions. Lors du plénum, elles ont été réintroduites sur proposition de notre groupe. Citons notamment : l’opposition à la politique systématique de surélévation, qui n’est pas du renouvellement urbain de qualité. La majorité a validé mon désaccord sur les surélévations systématiques en considérant que ça n’empêche pas de densifier la zone de développement qui ceinture encore aujourd’hui notre ville (Eidguenots, Petite-Boissière, par ex.)

     Je me suis aussi opposé au fait que le centre-ville soit uniquement destiné à l’implantation d’activités « à forte valeur ajoutée ». J’ai émis de forts doutes sur l’agrandissement de la Gare Cornavin sans démonstration chiffrée, car celle-ci n’a peut-être plus vocation à être la seule gare principale du canton eu égard aux impacts urbains et sociaux de son agrandissement sur les quartiers voisins. Nous avons encore obtenu la révision du taux de stationnement par logement, l’obligation de réaliser des plans localisés de quartiers, le maintien de la diversité des activités pour éviter la monoculture d’activités économiques à forte valeur ajoutée, le maintien de la Gare routière Pl. Dorcière, la coordination des efforts pour réaliser des logements sociaux, la réalisation d’espaces verts dans les secteurs de développement, l’intégration de corridors écologiques et leur continuité, le maintien des entités paysagères et leurs fonctionnalités pour la biodiversité, une planification énergétique cohérente au niveau cantonal, etc.

 

Construire du logement permettrait certes de rééquilibrer la part logement/emploi mais ne répond pas sur le fond à la question de la fuite en avant du développement, qui ne peut pas être infini.

RP : ll y a évidemment un problème avec le type de développement actuel. Il faut en particulier dénoncer la politique de « promotion économique » menée activement par le canton, et qui consiste pour l’essentiel à rendre Genève la plus attractive possible pour les multinationales. Celles-ci viennent généralement avec des centaines de collaborateurs-trices, notamment des cadres, pour lesquels elles paient parfois des loyers exorbitants, ce qui fait exploser les prix sur le marché du logement. Il y a donc une réforme fiscale de fond à mener au niveau cantonal, qui irait au rebours de la politique menée par David Hiler pour réduire encore drastiquement la fiscalité des entreprises, afin de pouvoir maintenir une situation de dumping fiscal indéfendable, sans parler des exonérations fiscales indécentes, pointées du doigt par le Contrôle fédéral des finances qu’évoquait Le Courrier du 15 février.

 

Mais d’une manière générale, penses-tu vraiment qu’on ne peut pas s’opposer au développement ?

RP : La citation dans Le Courrier était une formule malheureuse. Sortie de son contexte, elle se prête à de mauvaises interprétations. Je pense, comme je l’ai expliqué ci-dessus qu’on peut – et qu’on doit – tout mettre en œuvre pour « accompagner » et infléchir radicalement le développement de la région vers des activités, des logements et une mobilité socialement et écologiquement acceptables, y compris en refusant certaines activités. Mais, pour moi il reste une part de mystère sur ce qui « fait » la Ville, et sur les raisons qui poussent les gens à se concentrer en un lieu donné. En ce sens, il me paraît absurde de chercher à tout maîtriser. On doit accepter une part d’incontrôlable: quelles que soient les limites qu’on lui mette, la ville débordera toujours… 

 

Rémy Pagani

Propos recueillis et mis en forme par notre rédaction.