Danse noire

Avec un groupe de personnes gravitant autour de la musicienne genevoise Aïsha Devi, Niels Wehrspann, collaborateur et graphiste de ce journal, vient de se fonder un nouveau label : Danse Noire. Nous en profitons pour lui poser quelques questions.

Pourquoi créer un label aujourd’hui? Qu’est-ce que cela signifie, économiquement et artistiquement?

 

Economiquement, cela n’a évidemment aucun sens. Et mis à part la très grande facilité de le faire grâce aux moyens actuels de diffusion, l’intention n’est pas très différente de celle des labels indépendants qui ont essaimé dans la foulée du mouvement punk : créer son propre univers, énoncer son propre statement à propos de la musique et de la culture actuelles en donnant toujours à l’indépendance sa fonction cardinale.

 

 

Quel style de musique souhaitez-vous proposer? Est-ce que vous pensez la cohérence du label en terme d’identité sonore?

 

Notre horizon stylistique se limite pour l’instant au contenu des deux premiers EP, qui forment un ensemble très cohérent, qu’on pourrait qualifier de revival IDM (Intelligent Dance Music). Cette musique électronique du début des années 1990, qu’on appelait aussi electronica, et qui contenait encore en elle les développements stylistiques qui allaient advenir durant les deux décennies suivantes. Le premier, Out of Body du Turinois Vaghe Stelle vient juste de sortir et a déjà reçu un très bon accueil. Le second, Aura 4 Everyone de Aïsha Devi – qui a déjà sorti deux albums sous le pseudonyme de Kate Wax – sortira début juin. Pour l’instant en format digital seulement.

Ce qui semblait important dès le début, c’était de se situer immédiatement au niveau mondial (ou en tout cas occidental). Non pas par mégalomanie, mais parce qu’aujourd’hui les références et les influences circulent instantanément autour du globe et créent des sous-cultures ou des niches stylistiques qui ne sont plus du tout liées à une localisation géographique, mais fondées sur un ensemble de valeurs communes.

Et pour la suite, en plus de débattre longuement entre nous sur la direction à prendre, nous cherchons justement à trouver, aux quatre coins du globe, des créateurs·trices qui partagent un certain nombre des valeurs qui nous ont amené à fonder Danse Noire.

 

 

Le nom du label commence par la danse? Comment se situe-t-il par rapport à cette dernière et plus largement au domaine de la fête? Si le son se rapproche de la musique électronique, peut-on pour autant parler de musique de club?

 

C’est évident que la musique électronique en général et celle orientée dancefloor est notre référence centrale. Mais aucun des morceaux ne sera le tube de l’été 2013 à Ibiza. Tous sont à différents degrés des échos de l’agitation de la piste de danse, parfois bancals, parfois méditatifs, souvent étranges.

L’autre aspect important est le choix des remixeurs (qui ont également donné lieu à de longues discussions) qui, finalement, forment une liste des musiciens que nous considérons comme parmi les plus excitants dans la musique actuelle – et dont, il va sans dire, nous sommes très fiers : Peaking Lights et Nguzunguzu pour Vaghe Stelle et Willie Burns et Cooly G pour Aïsha Devi. Et ces remixes sont un peu plus dansants que les originaux.

 

 

Le label comporte aussi l’adjectif noir, évoquant à la fois des danses macabres et un contexte sombre. Est-ce qu’il se situe véritablement dans cette optique?

 

Oui, car c’est notre vision du monde. Rien à faire, nous croyons sérieusement que le monde se dirige dans une impasse. Notre idée est de proposer la bande originale de l’apocalypse, ou plutôt de la première danse d’après. Celle où les humains auront cessé leurs idioties et se seront rapprochés des valeurs de justice, de partage et de solidarité. Et tout ça est sombre, car il semble de plus en plus certain que les changements de société à venir seront constitués de très nombreuses catastrophes – même dans le cas où ce sont ceux qui aboutiront à la libération des op­pri­mé·e·s qui s’imposeront.

L’idée est aussi de ne pas emprunter le chemin de la mainstreamisation joyeuse, comme cela pouvait sembler envisageable il y a peu, mais au contraire de rester exigeant, de faire en quelque sorte écho à la complexité des mécanismes de la crise actuelle, dont la puissance ne peut pas être pris à la légère.

 

Propos recueillis par Pierre Raboud

 

www.dansenoire.com

dansenoire.bandcamp.co