L'initiative 1:12, une étape vers l'établissement des salaires moins inégaux

Le 24 novembre prochain, la population sera appelée à se prononcer sur l’initiative 1:12, rebaptisée « Pour des salaires équitables » de la Jeunesse Socialiste Suisse. Lancée en octobre 2009, cette initiative a pris pour base une réflexion simple et parlante selon laquelle aucun manager ne mérite de gagner plus en 1 mois que le montant touché par les sa-la-rié·e·s les moins payés de l’entreprise en 1 an. 

 

Si l’on peut regretter les accents de « moralisation du capitalisme » de l’argumentaire des Jeunesses Socialistes profondément orienté sur les rémunérations des « top-manager », le contenu de cette initiative possède un potentiel pour ouvrir à nouveau le débat sur la répartition des revenus et de la masse salariale d’une part, et sur le rôle de l’Etat dans les mécanismes de fixation des salaires du secteur privé d’autre part. En ce sens, elle s’attaque à deux des tabous majeurs du système helvétique et ouvre la voie de la campagne pour un salaire minimum légal de 4000 francs qui sera vraisemblablement votée au printemps prochain.

 

La masse salariale, ce gros gâteau si mal réparti

A Genève, en 2010, 50 % des sa­la­rié·e·s les moins bien payés devaient se contenter du quart de la masse salariale, tandis que les 10 % des sa­la­rié·e·s les mieux payés se partageaient 30 % de la masse salariale totale.

En ouvrant le débat, non sur un salaire maximal fixe, mais bien sur une fourchette salariale, l’initiative 1:12 permet justement de poser la question de la répartition de la masse salariale en l’orientant de manière à rendre visible le lien étroit unissant les salaires les plus hauts et les plus bas. En cela, elle s’attaque à une illusion socialement partagée et activement véhiculée par les discours bourgeois selon lesquelles la richesse et la pauvreté seraient fruits de compétences, efforts, réussites et échecs individuels à considérer de manière isolée, ou encore que les effets d’entraînements permettraient inéluctablement que l’accroissement des richesses produites profitent à l’ensemble des sa­la­rié·e·s.

Ce sont précisément ces mêmes illusions que l’on retrouve à l’œuvre dans la campagne entamée par le Conseil fédéral contre le salaire minimum lorsqu’il affirme privilégier les mesures de prévention comme l’investissement dans la formation pour lutter contre la pauvreté, en oubliant que plus d’un tiers des personnes qui touchent un bas salaire disposent pourtant d’une certificat fédéral de capacité. A l’opposé de l’argumentation victimaire servie par le camp bourgeois contre le salaire minimum, qui tourne autour des petits patrons qui devront mettre la clé sous la porte, la campagne contre l’initiative 1:12 permet en outre de mettre en lumière l’avidité des chefs d’entreprise qui refusent de rogner sur leur part et jeter le doute sur la réelle impossibilité des entreprises à verser des salaires décents.

Ce qui ressort de l’initiative 1:12 c’est précisément l’idée que l’argent est là, mais qu’il est mal réparti. 

 

Vers un affaiblissement du diktat de la paix du travail

Chaque lutte sociale pour l’amélioration générale des conditions de travail est opposée au mythe de la paix du travail et du dialogue social dans lequel l’Etat n’interviendrait pas, ou le moins possible, système présenté comme garant du « miracle suisse ». En fait de contribuer au « miracle suisse », le mythe de la paix du travail ne se révèle aujourd’hui qu’être un frein aux avancées sociales dans lequel le dialogue entre partenaires sociaux se réduit généralement au mieux à un consensus mou, au pire à des vetos patronaux, quand les maigres cacahuètes accordées aux sa­la­rié·e·s ne sont pas monnayées en échange d’avantage certains pour le patronat comme des extensions d’heures d’ouverture des magasins.

Dans ce contexte, toute nouvelle réglementation permettant d’encadrer les rapports de travail est une prérogative retirée au patronat en faveur du contrôle démocratique, comme le souligne le soutien de l’Union Syndicale Suisse à l’initiative 1:12, et un pas de plus vers l’affaiblissement du diktat de la paix du travail. 

 

1:12, des salaires moins inégaux?

Disons-le d’emblée, un écart salarial de 1 à 12 est déjà un écart ahurissant, tellement ahurissant qu’il ne concerne, selon une étude indépendante relayée par les médias début octobre, que 1200 entreprises sur le territoire suisse. Même passé ce point, fixé de toute évidence pour des raisons pragmatiques, reste néanmoins un goût d’inachevé. Alors que le contenu de l’initiative 1:12 permet en effet le développement d’un débat posé en terme de classes, dans lequel la richesse encaissée par les hauts revenus apparaît directement reliée à l’exploitation des masses salariées, l’argumentaire développé par les ini­tiant·e·s semble rester fixé sur la pointe la plus émergée de l’iceberg, mettant en avant les écarts les plus mirobolants exprimés par exemple par le salaire d’un Brady Dougan.

Si cette communication choc peut évidemment se révéler payante, la démesure qu’elle met en lumière peut également avoir pour effet pervers de faire apparaître comme quantité négligeable les écarts de salaire rencontrés dans le quotidien, voire donner caution à des entreprises en fixant un seuil socialement acceptable d’inégalité salariale. C’est en ce sens que l’initiative 1:12 n’échappe pas à l’écueil d’une forme de « moralisation du capitalisme », assumée dans le propre argumentaire de la Jeunesse Socialiste Suisse qui entend empêcher par son introduction les « dérives néo-libérales ». 

1:12 est donc un essai, une forme de préparation vers l’introduction d’un salaire minimum légal qui changera cette fois réellement le quotidien de milliers de sa­la­rié·e·s de ce pays. A nous de savoir profiter des portes qu’ouvre cette initiative.

 

Evelyne Wirthlin