Eco-logique

Eco-logique : Derrière le scandale Volkswagen, l'industrie capitaliste de l'automobile

Le scandale VW  mériterait de figurer dans une anthologie d’exemples concrets montrant l’impossibilité du capitalisme vert. On connaît les faits : le géant allemand de l’automobile a triché pour faire croire que ses véhicules diesel respectaient les normes américaines de pollution aux NOX (différents oxydes d’azotes qui contribuent à la formation du smog). La tricherie est grossière et délibérée : les voitures sont équipées d’un petit logiciel qui, en situation de test, active le dispositif de recirculation des gaz d’échappement et le désactive en conditions normales. La limite de l’émission de NOX aux Etats-Unis est fixée à 0,04 g/km par le Clean Air Act. Au laboratoire, grâce à la recirculation des gaz, elle est respectée – la voiture est « propre » ; sur la route, elle est dépassée plus de quarante fois – la voiture est (très) sale. Le pot-aux-roses a été révélé le 18 septembre par l’Agence US de l’environnement (EPA). Onze millions de véhicules sont concernés au niveau mondial. Le choc est énorme.

 

 

Pour VW, ça va douiller

 

La note promet d’être salée pour le constructeur. En théorie, le Département américain de la Justice pourrait lui infliger une amende allant jusqu’à 18 milliards de dollars. En pratique, sur base de la jurisprudence, les juges US seront très probablement plus indulgents. Mais il faut tenir compte du fait que des consommateurs individuels aussi peuvent intenter des actions. Pour faire face à celles-ci, VW a provisionné une somme de 6,5 milliards d’euros, que certains observateurs estiment d’ores et déjà insuffisante. Ce n’est pas tout : ayant été grugés, les Etats qui ont offert des primes pour l’acquisition d’un véhicule « propre » seront tentés d’en exiger le remboursement auprès du constructeur (la Wallonie vient d’annoncer une décision dans ce sens). Enfin, il faudra voir l’impact de l’affaire sur le bras financier de VW : pesant 164 milliards d’euros, il serait assez dépendant d’emprunts, de dépôts et d’obligations à court terme, et son portefeuille de produits financiers dérivés pourrait constituer une menace. D’ores et déjà, l’action a plongé de 26 % en bourse, et ce n’est sans doute pas fini.

 

 

Pourquoi ?

 

Pourquoi le premier constructeur mondial, le fleuron de la qualité made in Germany a-t-il eu recours à une tricherie aussi flagrante, malgré le risque d’être pris la main dans le sac ? L’hebdomadaire ultralibéral The Economist apporte trois réponses qui sont liées entre elles et valent leur pesant de cacahuètes (éditions du 26.9 au 2.10.2015). La première est la compétition pour le leadership mondial : pour battre Toyota d’une courte longueur, il était d’une importance stratégique que VW l’emporte sur le (petit) marché US des voitures diesel où les normes pour les NOX sont plus restrictives qu’en Europe. La seconde est le coût : les techniques catalytiques de réduction de la pollution étant plus chères pour les moteurs diesel que pour les moteurs à essence, VW a trouvé l’œuf de Colomb adapté à l’univers ultra-­concurrentiel de l’industrie automobile – faire semblant de respecter les normes, tout simplement !

La troisième raison est la meilleure, et je ne résiste pas au plaisir de citer le libéralissime hebdomadaire qui porte haut les couleurs du capitalisme depuis septembre 1843 : «Les constructeurs automobiles, les européens en particulier, sont habitués à s’en sortir à bon compte dans ce genre d’affaires. Leur tricherie est un secret de polichinelle (an open secret) au sein de l’industrie. Ceci pourrait expliquer pourquoi les concurrents de VW voient aussi leurs actions chuter. Le crime de VW est sans doute particulier, mais c’est loin d’être le seul fabricant à produire des véhicules qui sont loin au-dessous des performances attendues par les régulateurs. L’Union Européenne n’est pas aussi exigeante en matière de NOX que les Etats-Unis. Elle se concentre plus sur l’efficience énergétique et les émissions de CO2, où ses standards sont les plus élevés du monde. Le problème est que ces limites sévères ont peu de ressemblance avec ce que les véhicules émettent une fois qu’ils sont sur la route. Selon Transport & Environment, un groupe de pression vert, le fossé entre les chiffres supposés d’économie de carburant [donc les émissions de CO2 – DT] et les chiffres réalisés par un conducteur moyen a grandi de 40% au cours des dernières années».

 

 

Cosi fan tutti

 

Comment est-ce possible? Tout simplement parce que le régulateur européen qui émet des normes antipollution ne se charge pas d’en vérifier l’application. The Economist poursuit et explique : «Il est possible que certaines compagnies utilisent une supercherie informatique pour tricher lors des tests européens d’efficience énergétique. Mais, comme le dit Nick Molden d’Emission Analytics, un consultant britannique, le régime européen de test est si dépassé et propre aux abus que les constructeurs automobiles n’ont pas à s’embarrasser de telles subtilités. Les compagnies testent leurs propres véhicules sous les auspices d’organismes de test certifiés par les gouvernements nationaux. Mais ces organismes sont des entreprises commerciales en concurrence pour faire des affaires. […] Elles sont conscientes du fait que leur capacité à ‹optimiser› les procédures de test est une manière de gagner des clients. En pratique cela signifie faire tout ce qui est possible pour que les voitures testées fassent beaucoup mieux que les versions conduites dans le monde réel».

 

 

Un simulacre de tests

 

Et l’auteur de l’article de donner des détails : «Les voitures qui sont testées ont généralement été modifiées pour être aussi frugales que possible. Ce qui ajoute du poids, comme la sono, est enlevé. Le frottement est réduit en enlevant les rétroviseurs latéraux et en mettant de l’autocollant sur les fentes entre les éléments. Des lubrifiants spéciaux font tourner le moteur plus doucement. Des pneus à faible frottement sont hyper-gonflés avec des mélanges de gaz spéciaux. L’alternateur est déconnecté, de sorte que plus de puissance est transmise aux roues mais que la batterie est déchargée à la fin (du test). Les voitures peuvent être poussées à trop haut régime et il est courant que les tests soient effectués à la plus haute température ambiante autorisée – un autre moyen de booster l’efficience. »

«Le pire cependant – c’est toujours The Economist qui le dit – est qu’une fois que ce simulacre a produit une déclaration d’efficience du véhicule [donc du respect des limites d’émission de CO2/km – DT], personne ne vérifie si cette déclaration est correcte ou pas. En Amérique aussi les constructeurs automobiles sont responsables de leurs propres tests. Mais là, l’EPA achète des véhicules au hasard pour les tester ultérieurement et voir si les véhicules vendus au public sont conformes aux déclarations. Si les chiffres ne collent pas, des amendes substantielles peuvent s’ensuivre. En 2014, Hyundai-Kia a dû payer 300 millions de dollars pour fausse déclaration de ses chiffres de consommation. »

 

 

« Purement théoriques »

 

«L’Europe n’a pas de tel système pour punir ceux qui transgressent (les normes). En conséquence, plus de la moitié des gains d’efficience (des moteurs) déclarés par l’Europe depuis 2008 ont été ‹purement théoriques[il faudrait plutôt dire : frauduleux, basés sur des mensonges – DT], selon T&E. Et l’industrie dans son ensemble a développé un comportement désinvolte [a gaming attitude] face aux tests qu’elle devrait prendre au sérieux. Comme l’observe Drew Kodjac de l’ICCT (International Council on Clean Transportation, une ONG), les activités de VW en Amérique font partie d’un système de comportement que le système européen a créé. Il peut apparaître que d’autres fabricants utilisent des softwares similaires pour tricher lors des tests, soit sur les émissions de NOX ou sur celles de CO2. Les émissions de NOX des nouvelles voitures diesel en Europe sont en moyenne cinq fois plus élevées sur route que lors des tests; certaines voitures roulent à dix fois la limite, selon T&E. »

Le lecteur nous pardonnera d’avoir recouru si longuement à la citation. Cela en valait la peine. Précisons encore quatre éléments significatifs. Premièrement, le logiciel incriminé a été acquis par VW en 2007 auprès de l’équipementier Bosch, qui l’aurait avisé du fait que son utilisation serait « illégale ». Le journal allemand Bild, qui donne cette information, a interrogé la direction de Bosch sur la réaction de Volkswagen à ces mises en garde. Réponse d’un porte-parole : «dans le cadre des relations commerciales avec Volkswagen, nous sommes tenus à la confidentialité» (RTBF-Info, 27.9.2015).

Deuxièmement, le gouvernement allemand et l’Union Européenne étaient au courant de la tricherie, au moins depuis cet été (et fort probablement avant), comme en témoigne une réponse du ministre compétent à une question posée par un élu vert au Bundestag (Le Soir, 22.9.2015).

Troisièmement, un détail technico-­économique qui a son importance est qu’on ne peut pas, sans faire exploser les coûts, réduire à la fois les émissions de NOX et celles de CO2 des moteurs diesel tout en gardant les performances de puissance auxquelles les constructeurs ont habitué leurs clients.

Quatrièmement, outre le CO2 et les NOX, les moteurs diesel et les moteurs à essence sont responsables de l’émission massive de particules fines qui augmentent très significativement le risque de cancer, de maladies cardio-vasculaires et de troubles respiratoires. Mais de cela, les protagonistes préfèrent ne pas trop parler, quel que soit le côté de l’Atlantique où ils se trouvent.

 

 

Clair comme de l’eau de roche

 

Et maintenant, tirons quelques conclusions. Elles sont claires comme de l’eau de roche – et d’autant moins contournables qu’elles découlent des aveux faits spontanément par un organe de presse qui est vraiment au-dessus de tout soupçon d’anticapitalisme (c’est un euphémisme).

La tricherie de VW est ancrée naturellement dans les mécanismes capitalistes de la concurrence pour le profit. Les équipementiers y participent, tout en prétendant que leur main gauche ignore ce que fait leur main droite.

L’opprobre tombe sur VW mais il est extrêmement probable que tous les constructeurs automobiles trichent, soit pour satisfaire les limites d’émission de NOX (plus sévères aux USA qu’en Europe), soit pour satisfaire les limites d’émission de CO2 (plus sévères en Europe), ou pour les deux raisons à la fois.

Toutes ces magouilles sont couvertes par le « secret commercial » ou le « secret industriel », applications particulières du « droit de propriété » capitaliste.

Dans l’UE, cette fraude à la pollution est institutionnalisée grâce à un système de « régulation » dont les gouvernements savent qu’il n’existe que pour amuser la galerie et pour procurer un marché à des organismes de certification bidon… dont le but premier est de contourner les normes pour s’attirer des clients.

De nombreux rapports sur l’état de l’environnement et de nombreux plans d’action sur sa protection (notamment de nombreux rapports sur la protection du climat) ainsi que celle de notre santé sont biaisés parce que basés sur des données de pollution factices, résultant de faux tests qui donnent une image mensongère de la réalité.

Distribuées par les pouvoirs publics sans la moindre vérification de conformité, les primes aux acheteurs de « voitures propres » se révèlent comme un système de soutien indirect à la stratégie d’innovation technologique (ou de pseudo-­innovation !) des groupes bien plus que comme un moyen d’action en faveur de la transition énergétique.

 

 

Impasse de l’automobile, impasse du capital

 

Ces conclusions doivent être interprétées en tenant compte de la place centrale que l’industrie automobile occupe dans l’économie capitaliste depuis la seconde guerre mondiale. Avec sa production de masse, cette industrie a joué un rôle clé pour « tirer » l’onde longue d’expansion des « Trente glorieuses ». Depuis le milieu des années 70, elle connaît un processus mondial ininterrompu de restructurations, de fusions et de concentrations dans un environnement concurrentiel sans pitié, tout en restant un pilier du système. Les nouvelles exigences environnementales viennent imposer une contrainte supplémentaire à ce pilier puisqu’il s’agit, dans les trois à quatre décennies qui viennent, de trouver une alternative à la combustion des combustibles fossiles. Une alternative, mais laquelle : hydrogène ou électricité ? Bien malin qui peut dire quelle filière l’emportera mais une chose est sûre : dans les deux cas, les coûts seront énormes. Que le premier groupe mondial coure le risque de tricher pour contourner les normes sur la pollution en dit long sur l’extrême âpreté de la lutte inter-capitaliste dans ce contexte. Que les gouvernements de la « démocratique » Europe et les instances de l’UE couvrent ces malversations en dit long sur leur nature de valets du capital.

Pour toutes ces raisons, l’affaire VW restera probablement dans l’histoire comme un évènement au sens fort du terme, c’est-à-dire avec un « avant » et un « après ». L’impasse de l’industrie automobile condense en effet la double impasse du capitalisme tout entier. Impasse sociale, d’abord, dans la mesure où les gigantesques investissements en capital constant mettent le taux de profit sous une pression de plus en plus difficile à compenser par l’augmentation de l’exploitation du travail. Impasse écologique, ensuite, car la transition à la voiture électrique, ou à l’hydrogène, ne fait que déplacer le problème de fond, qui est évidemment celui de l’antagonisme entre les exigences de croissance du capital et la finitude des ressources terrestres, y compris la finitude des espaces terrestres. Pour le dire simplement : l’auto verte, c’est comme le capitalisme vert – une contradiction dans les termes.

«VW, Das Auto. », dit l’arrogante publicité du groupe. Inhabituel dans ce genre de message, le point final traduit une détermination de fer, tyrannique et exclusive. Cette détermination n’est pas seulement celle des patrons de la firme de Wolfsburg. C’est celle de Das Kapital en général, de tous ces loups que la logique du profit contraint, pour survivre, à prendre toute mesure nécessaire à la poursuite de leur œuvre destructrice sur le dos des exploité·e·s, de leur santé et de leur environnement.

Daniel Tanuro

 


 

Rudolf Diesel, un anti-impérialiste?

Rudolf Diesel est un ingénieur allemand d’origine modeste, né à Paris en 1858, où sa famille a immigré. Il disparaît en septembre 1913, dans des conditions énigmatiques, à la veille de la Première Guerre mondiale. Après ses études d’ingénieur, il a mis au point le fameux moteur qui porte son nom, avec le soutien financier du magnat de la sidérurgie, Friedrich Alfred Krupp.

 

L’invention  à laquelle il a voué sa vie était sensée venir en aide aux petits artisans en remplaçant la machine à vapeur, très chère et extrêmement gourmande en charbon, par un moteur à la portée de tou·te·s. En effet, celui-ci devait être beaucoup plus petit, moins coûteux, et alimenté par des combustibles bon marché et largement disponibles, huiles lourdes, mais surtout agrocarburants. Il serait ainsi un antidote au monopole croissant des grands groupes industriels et stimulerait la production agricole.

 

 

Un moteur pour tous

 

Comment fonctionne son moteur révolutionnaire? L’air admis dans la chambre de combustion est chauffé par compression et le carburant, injecté dans un deuxième temps, s’enflamme au contact de ce gaz surchauffé. En augmentant le taux de compression, Diesel comptait pouvoir utiliser n’importe quel type de combustible. Mais pour cela, il lui fallait trouver des matériaux assez résistants et développer un procédé qui permette la mise en contact du carburant avec l’air à haute température. L’injection était le problème le plus complexe qu’il lui fallait impérativement résoudre.

Pour avancer, il a besoin de construire un prototype, ce qui va l’inciter à rechercher activement des financements en publiant un ouvrage en faveur des nombreux mérites de son moteur. Il réussit ainsi à attirer l’attention des fabrique Buz d’Augsburg et du grand magnat de la sidérurgie, Friedrich Alfred Krupp. L’invention d’un moteur à allumage spontané intéresse en effet l’industrie, même si Diesel, qui a réussi à breveter son invention en 1892, se heurte au scepticisme des experts.

La mise au point de sa machine, depuis ses premiers essais prometteurs de 1893, pose cependant des problèmes apparemment insolubles. Diesel parviendra à en venir à bout en 1896-1897. Désormais, il s’efforce de développer une machine capable d’utiliser un carburant bon marché – les huiles lourdes, résidus du raffinage du pétrole brut, mais surtout les agrocarburants. Entre-temps il a dû céder l’exploitation de ses premiers brevets à une société qui échappe à son contrôle. Ses applications intéressent d’emblée les centrales électriques, mais elles vont surtout se révéler capitales pour la marine marchande et militaire.

 

 

Contre les monopoles

 

A l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, où il reçoit le grand prix pour son invention, Rudolf Diesel est parvenu à faire fonctionner sa machine à l’huile d’arachide. Il continue en effet à travailler au développement d’un mécanisme bon marché qui soit vraiment à la portée de tout le monde. C’est le début de la conquête de la planète par le moteur Diesel, qui est adopté par de nombreuses industries et centrales électriques. Il sera utilisé pour la première fois par un paquebot transatlantique en 1912.

Qu’est devenu son rêve d’un moteur « démocratique », à la portée de tou·te·s, permettant de lutter contre les grands monopoles ? Rappelons que pour Diesel, sa découverte devait contribuer à la décentralisation industrielle et au retour en force de la petite production. De plus en plus hostile aux barons de l’industrie et à leur politique étrangère impérialiste, il défend ses conceptions dans un essai intitulé Solidarisme: le salut économique naturel de l’homme (réédité en 2012), qu’il publie en 1903.

Bien qu’il considère ses réponses à la question sociale comme plus importantes que ses inventions mécaniques, il ne vendra que 400 exemplaires de son volume, publié à compte d’auteur. En réalité, sa doctrine solidariste a vu le jour en France, sous la plume d’Alfred Fouillé, de Léon Bourgeois et d’Erich Durkheim, et elle a connu quelques succès dans les milieux républicains laïcs et scientistes, en réponse au socialisme et à la doctrine sociale de l’Eglise.

 

 

Au cœur de la course aux armements

 

 

Dès 1892, l’Empereur et l’amirauté ont décidé secrètement de faire de la marine allemande la rivale de celle du Royaume-Uni. Dans ce but, ils sont à la recherche de moyens de propulsion plus performants. Or, le moteur Diesel doit permettre de gagner de l’autonomie et de la place sur les navires en supprimant la chaudière et la soute à charbon. Mais Diesel ne veut pas entendre parler des usages militaires de son invention, ce qui n’empêchera pas l’armée de passer outre.

Dans le domaine de la marine de guerre, à la veille du premier conflit mondial, l’Allemagne n’est pas parvenue à rattraper l’Angleterre. Mais le moteur Diesel devrait lui apporter un avantage décisif pour la guerre sous-marine. Sur l’eau, il garantit une plus grande autonomie; sous l’eau, c’est le système le plus fiable pour charger les batteries des moteurs électriques. C’est ainsi qu’il devient un élément clé de la course aux armements. Et Rudolf Diesel ne peut s’opposer à ce nouvel usage.

A ce moment, l’inventeur semble d’ailleurs quasiment ruiné. Et pour son malheur, les transferts de technologies vers l’étranger sont désormais interdits. La marine de guerre allemande s’oppose ainsi à la signature de nouveaux contrats avec les Britanniques. En aucun cas, les Anglais ne doivent mettre la main sur les dernières innovations apportées au moteur Diesel.

En 1913, âgé de 55 ans, Diesel se prépare pourtant à rejoidre l’Angleterre pour inaugurer une usine de moteurs et participer à une réunion d’affaires. Il espère sans doute y trouver une solution à ses problèmes financiers, même si cela déplaît à son propre gouvernement. Sa femme tente de le retenir, alors que la presse présente la guerre comme imminente. Le 29 septembre, il traverse la Manche à bord du Dresden, au départ d’Anvers.

 

 

Qui a causé la mort de Rudolf Diesel?

 

En prenant congé de ses associés à 22 heures, à l’issue d’un repas à bord, Rudolf Diesel leur donne rendez-vous le lendemain matin, avant de disparaître sans laisser de trace au cours de la nuit. Dix jours plus tard, un bateau néérlandais retrouvera sa dépouille à la surface de l’eau, dans un état avancé de décomposition. L’un de ses fils reconnaîtra formellement les objets trouvés sur son corps.

Compte tenu des problèmes financiers qu’il avait dissimulés à sa famille, la thèse du suicide s’impose rapidement. Pourtant, Viktor Glass, auteur d’un récent roman biographique intitulé Diesel: La mort énigmatique du grand inventeur (2009), n’y croit pas. Son héros avait encore beaucoup de projets : il voulait relancer la distribution de son livre, il venait d’écrire une lettre enjouée à sa femme, à laquelle il ne laissera pourtant pas de lettre d’adieu… On a aussi retrouvé dans sa cabine, sa valise avec sa clé dans la serrure, comme s’il avait été surpris par une visite inattendue au moment de l’ouvrir. Il n’est donc pas exclu qu’il ait été victime d’un assassinat…

Les services secrets allemands se sont-ils débarrassés d’un homme qui refusait de soutenir la course aux armements de son pays, menaçant de collaborer avec les Britanniques ? Est-il tombé victime des barons du pétrole, lui qui travaillait activement au remplacement des combustibles fossiles par des agrocarburants, à tel point que John Davison Rockefeller Jr. a pu le considérer comme son ennemi mortel ? Aucun élément matériel ne permet de confirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses, si bien que les spéculations continuent sur cette étrange disparition, à quelques mois de la Grande Guerre.

Quelles que soient les circonstances de la fin de Rudolf Diesel, l’histoire de sa vie est emblématique de l’expropriation des inventeurs par les grands groupes capitalistes et de l’exploitation de leurs découvertes à des fins opposées à leurs objectifs initiaux. Dans le cas de Diesel, le contraste saute aux yeux. Cent-deux ans après la mort du grand inventeur, le scandale des véhicules Diesel de VW s’inscrit dans la lignée de la même imposture.

Jean Batou