Chamonix 29 mai, manif contre… «Le profit avant l’homme»

Chamonix 29 mai, manif contre… «Le profit avant l’homme»

Titre d’un livre de Chomsky, c’est le bilan par les habitant-e-s de la vallée de Chamonix de quatre ans de lutte anti-camions, après l’accident qui a coûté 39 vies. La population mobilisée s’est confrontée à un Etat alternant fausse compassion, promesses creuses, immobilisme quant au ferroutage et au fluvio-maritime, déni de démocratie et répression. Des médias ont tronqué ce combat et monté les vallées l’une contre l’autre. Le 21 mars, l’Association pour le Respect du Site du Mont-Blanc (ARSMB) a renouvelé son équipe dirigeante. Avec Jean-Pierre Coméliau, son nouveau président, retour sur ces quatre ans et les perspectives du mouvement.

Votre lutte anti-camions a parfois été vue comme celle de nantis pour «leur» vallée, sans remise en cause du rôle des transports routiers dans toutes les vallées.

J.-P. C: L’idée «riches de Chamonix contre prolos de la Maurienne», a été exploitée par les médias. C’est un faux débat qui fait mal aux relations entre vallées et occultant le problème global. Ainsi, M. Bouvard, député de Maurienne, autrefois administrateur et encore actionnaire de la Société du Tunnel du Fréjus, se plaignait avant l’accident de la concurrence accrue du Mont-Blanc. Après celui-ci et la récupération de tout le trafic, les Mauriennais protestent, Bouvard en tête, mais le même est bien content d’encaisser les profits liés au trafic accru.

Pendant qu’on opposait les vallées, quelles mesures ont été prises pour faire face à l’augmentation du trafic routier?

– La pseudo-opposition Mt-Blanc/Maurienne a servi à l’Etat à masquer le vrai problème et aucune solution n’a été avancée pour que les camions circulent moins au Fréjus et au Mt-Blanc. On a parlé ferroutage, sans aller au-delà de déclarations: ni ligne du Tonkin, ni Dijon-Vallorbe n’ont été réhabilitées! Lyon-Turin est resté un projet, maintenant abandonné. Après la catastrophe, Chirac disait «raisonnablement les camions ne peuvent plus passer» au Mt-Blanc. Mais les Italiens ont poursuivi les méga-travaux de l’autoroute Aoste-Courmayeur, confirmant le refus de modifier quoi que ce soit. Benetton, principal investisseur, compte rentabiliser les sommes colossales englouties dans cette autoroute alpine, à l’impact redouté sur la circulation des camions au Mt-Blanc.

Des aménagements côté français seront nécessaires…

– Oui, voilà les limites des revendications de sécurité, certes légitimes. Les mesures de sécurité permettent le transport de tonnages augmentés avec un seuil «tolérable» d’accidents. L’autoroute italienne ouvrira: deuxième tube et rampe d’accès seront prônés, comme au Fréjus, pour digérer le surplus de trafic. Le tunnel du Mt-Blanc a un gros déficit. L’Etat veut le rentabiliser, donc équilibrer le trafic entre Maurienne et Mt-Blanc en diminuant les contraintes de sécurité (distances entre véhicules, limites de vitesse) décourageant les chauffeurs, l’alternat ayant été supprimé sans modifier réellement le trafic. Notre exigence de sécurité, pour populations et usagers, risque de se retourner contre nous avec plus d’infrastructures coûteuses en milieu fragile. C’était légitime d’évoquer ces exigences, surtout après l’accident, mais ce n’est pas à l’ARSMB de les assumer.

On peut parler de nouvelle orientation?

– On doit en finir avec l’opposition Mt-Blanc/Maurienne, trouver des solutions transnationales, tenant compte des besoins des populations. Nous voulons élargir notre combat à ceux partageant notre éthique. C’est le sens de la présence de militant-e-s de l’ARSMB à l’ouverture du Somport (Pyrénées). Pour nous, exigences environnementales et avis des populations passent avant le profit. Les reports de trafic d’une vallée à l’autre montrent que la réponse aux fausses oppositions entre vallées passe par une rupture dans l’organisation des transports de marchandises. L’ARSMB a 2000 membres et doit augmenter son audience. Nous partagerons avec d’autres associations nos expériences et outils de lutte, logo, combinaisons blanches…

Quelle appréciation sur ces quatre ans de lutte?

– Du gouvernement «gauche plurielle», on aurait pu attendre plus de sincérité et d’actes. On a vu la pression policière sur la population: gardes mobiles stationnés dans un 3 étoiles, écoutes téléphoniques avouées, balises sous les voitures de militants, relevés d’empreintes, études graphologiques, véhicules saisis après une opération escargot et arrestations dignes du grand banditisme. Le 25 juin 2002, les CRS utilisent gaz et brutalités pour déloger des militants pacifiques, abasourdis par ce déploiement disproportionné. Puis on a changé de préfet, moins obtus, moins brutal, et de ministre des Transports. Celui-ci a hypocritement créé un comité de suivi pour faire croire à la concertation, mort avec la suppression de l’alternat, contre son gré.

Plusieurs manifs, à Chambéry, à Aoste, participation au congrès ITE (Initiative Transport Europe) à Bolzano, activités dans le cadre du contre-G8, est-ce qu’on peut parler d’une radicalisation de l’ARSMB?

Les camions roulent en deux sens, les militant-e-s en ont assez de se faire rouler. Mais nos combats ont montré les réalités du système économique lié à la mondialisation: populations et environnement méprisés, primat du profit. Derrière la hausse des flux routiers, on a une augmentation de circulation des marchandises bien supérieure à la hausse de la production. La politique de stockage externalisé sur les routes impose toujours plus de camions. La politique des transports est soumise au diktat de l’argent. Nous voulons une autre politique, où environnement et populations passent avant le profit. Cette revendication nous la porterons jeudi 29 mai, en vélo dans la vallée de Chamonix, en ouverture au contre-G8, pour dire aux «maîtres du monde» qu’ils ne peuvent disposer de la planète comme ils veulent. Sur cette route, d’habitude envahie de camions, nous appelons à une grande manif populaire, festive, pacifique «VERS D’AUTRES SOMMETS QUE CEUX DU PROFIT»!


Interview par Maryse CREVEAU, LCR 74