Graves menaces sur la Caisse de pension de l'état de Genève

Les mesures brutales envisagées par le Comité de la Caisse de pension de l’Etat de Genève (CPEG) pourraient déboucher sur une baisse des rentes de l’ordre 10 à 15 % (en plus des 5 % déjà actés), soit 15 à 20 % en tout! Après une première baisse de 12 % en 2014, cela représenterait une perte totale de plus de 30 % sur les prestations.

Que représente la rente moyenne des 46 500 pensionnés de la CPEG? Environ 3000 francs par mois, ce qui implique que la réduction planifiée pourrait la ramener à 2400-2550 francs d’ici la fin de la décennie… De surcroît, ces mesures feraient porter l’essentiel de l’effort sur la génération des 40 à 65 ans.

Un président de choc

Cette attaque brutale est conduite au pas de charge par un avocat d’affaires, Me Eric Alves de Souza, cité dans les Panama Papers, qui a été désigné «en qualité de président des représentants de l’employeur au comité de la Caisse de pension de l’Etat de Genève» par un arrêté du Conseil d’Etat du 21 décembre dernier, dépourvu de bases légales et réglementaires. Bien sûr, sa désignation a été confirmée a posteriori par la délégation employeur du Comité. Toutefois, avait-elle le choix? L’autonomie de la Caisse n’a-t-elle pas été grossièrement violée? Et surtout, dans quel but?

Le nouveau président est un habitué de la collaboration avec le Conseil d’Etat genevois. De surcroît, pour le travail qui dépasse sa rémunération de la CPEG, il recevra des honoraires de 450 francs de l’heure en tant que mandataire du gouvernement. Il dispose donc de facto d’un double mandat de la Caisse et du Conseil d’Etat, ce qui est contraire aux dispositions du droit fédéral qui prévoient une stricte séparation des compétences entre les instances politiques et les organes suprêmes des institutions de prévoyance de corporations de droit public.

L’Etat veut passer en primauté de cotisations

Pourquoi ces grandes ma­­nœuvres, sous la houlette du président du Conseil d’Etat, François Longchamp (PLR)? Parce que l’expert agréé de la Caisse, suite à la décision de la Chambre suisse des experts en caisses de pension de baisser le taux technique de référence de 2,75 à 2,25 %, a recommandé de diminuer celui de la CPEG de 3 % à 2,5 %. Une décision qui a fait bondir mécaniquement les engagements de la Caisse de près de 1,5 milliard.

En baissant massivement les prestations, l’Etat vise en réalité un objectif structurel: réduire le coût d’un passage en «primauté de cotisations», qui ne garantirait plus un salaire assuré, quel qu’il soit, en fin de carrière. La hausse de l’âge pivot et la baisse du salaire assuré de 60 % à 51 % (voire 54 %) du dernier salaire est un premier pas important dans ce sens.

Après une mauvaise année 2015 (-0,4 %), la CPEG a certes réalisé d’excellents rendements sur sa fortune en 2016 (5,5 %). Mais la moyenne de ceux-ci sur 10 ans (2007–2016) a été de 3,6 % (contre 4,8 % sur les 20 dernières années). Et sur ce taux moyen de 3,6 %, il faut compter 0,5 % pour compenser l’accroissment de la longévité, ce qui le ramène à 3,1 % net. De surcroît, sur ces 3,1 %, la loi fédérale impose une forte ponction pour la recapitalisation de la caisse, dont les intérêts devraient couvrir seuls 60 % du total de ses engagements en 2020, 75 % de ceux-ci en 2030 et 80 % en 2052.

Des difficultés créées par le droit fédéral

Alors que tout irait bien à la CPEG en gardant une forte proportion de répartition (les actifs paient pour les pensionnés), la recapitalisation à marche forcée imposée par le droit fédéral, dès 2012, a mis la Caisse en difficulté. Pour suivre le «chemin de croissance» de sa recapitalisation, il lui manque dans l’immédiat 1 milliard, si le Comité confirme sa décision d’élever l’âge pivot (qui donne droit à la retraite) de 64 à 65 ans, et représente déjà une baisse des prestations de l’ordre de 400 millions.

Pour combler ce «trou», créé répétons-le par les exigences du droit fédéral, le président Alves de Souza veut imposer une baisse des prestations totale de 15 à 20 %, alors qu’il suffirait d’une recapitalisation immédiate de 800 millions de la part de l’Etat, déjà en partie provisionnée dans les comptes publics, en plus de l’élévation d’un an de l’âge pivot, pour que la Caisse soit sur de bons rails. Bien sûr… si les marchés financiers n’amputent pas encore, à l’avenir les rendements de la CPEG.

Et là, nous touchons au mécanisme infernal des retraites en capitalisation (2e pilier), qui fait dépendre les rentes des aléas des marchés financiers, en particulier dans une période où leur croissance ralentit à long terme. C’est pourquoi, plus fondamentalement et au niveau fédéral, solidaritéS défend l’intégration du 2e pilier à l’AVS, pour un système de retraites en répartition, avec un fonds de réserve, qui garantirait des rentes plus élevées, plus sûres et plus solidaires. Mais du point de vue du timing et des rapports de force nécessaires, ceci est bien sûr une autre histoire…

Jean Batou