Fraudeurs sociaux

Fraudeurs sociaux : Une législation d'exception

Après un intense lobbyisme des assurances privées et de la Caisse nationale d’assurance (SUVA), le Conseil national a approuvé un texte qui donne à ces dernières plus de pouvoirs qu’aux autorités judiciaires ou aux services secrets. Pour mener la chasse aux «fraudeurs sociaux» ou supposés tels.

Fâché, le Blick parle de «carte blanche donnée aux assureurs», alors que le Beobachter explique que les fameux détectives sociaux auront plus de pouvoirs que la police. Le Matin lui, donne dans une retenue de bon goût en titrant «Critères resserrés pour surveiller les fraudeurs aux assurances sociales».

Rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme avait tapé sur les doigts de la Suisse en 2016 pour avoir autorisé ces pratiques de surveillance clandestine sans une base légale suffisante.

Du coup, l’Office fédéral des assurances sociales a concocté rapidement un texte pour autoriser la surveillance, par des détectives privés, de personnes suspectées de frauder les assurances sociales ou les services sociaux. Alors que le Code pénal connaît déjà un article traitant de l’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale.

«Elle parlait joyeusement, avec vivacité»

Un tiers au moins de ces surveillances – on dit observations dans le jargon – se sont révélées sans objet. Comme lorsque l’assurance Concordia a fait surveiller une assurée pendant huit jours. Elle souffrait de stress post-traumatique à la suite d’une agression ; le détective avait, lui, jugé qu’elle «parlait joyeusement, avec vivacité». Concordia lui a donc envoyé une facture de plus de 14 000 francs pour les frais de surveillance! Un recours permettra à l’assurée de ne pas payer et d’obtenir la destruction du dossier.

Voilà le genre de joyeusetés que nous promet cette nouvelle base légale, une fois adoptée par le Conseil des Etats.

Les fouineurs à l’œuvre

Mandatés par des assurances (SUVA, AI et privées), des détectives pourront ainsi écouter vos conversations, vous suivre, vous filmer et photographier votre chez-soi, à partir d’un balcon voisin. Les drones ne sont pas exclus. Et tout cela sans l’autorisation d’un juge. Seul l’usage d’instruments de géolocalisation, comme les traceurs GPS, nécessitera une autorisation. Ce n’est plus l’Etat qui fouine, mais les privés. Qui, évidemment, auront tendance à confirmer les soupçons de leur mandant.

Et ça rapporte au moins? Pas toujours. L’aide sociale de la ville de Zurich dispose d’un inspectorat social de huit personnes, pour un coût d’environ un million par an. En gros, la somme récupérée en 2016, 2015 et 2014. Pour sa part, la ville de Coire a jugé que le recours aux détectives privés n’était pas rentable.

Reste le flicage. La droite adore. Pour protéger les honnêtes gens, bien sûr. Pas pour généraliser la surveillance des bénéficiaires des assurances et mettre aux pas ces salauds de pauvres.

Comment? Vous avez dit fraude fiscale? Mais cela n’a rien à voir. La fraude fiscale concerne des milliards de francs. La fraude «sociale» quelques millions. Vous voyez bien qu’il n’y a pas de rapport.

Daniel Süri