Ne laissons pas de place au fémonationalisme !

La nomination de Marlène Schiappa au poste de ministre déléguée en charge de la Citoyenneté, a relancé en France le débat autour de l’utilisation de rhétoriques « féministes » à des fins répressives et racistes. En Suisse aussi, on voit poindre les premières esquisses de telles politiques fémonationalistes.

Greve féministe 2020, Lausanne
Greve féministe 2020, Lausanne

Fémonationalisme à la française

Depuis son entrée en fonction en 2017, Marlène Schiappa a œuvré – sous couvert de lutte pour les droits des femmes et contre les violences sexistes – à la mise en place de mesures politiques répressives et racistes. On pense notamment à la verbalisation, par un corps de police spécifique, des insultes sexistes proférées dans l’espace public ou à l’instauration de la double peine pour les étrangers coupables de violences sexistes ou sexuelles. Dans un entretien pour le Journal du Dimanche le 11 juillet dernier, elle annonçait vouloir travailler pour « des opérations de reconquête républicaine » notamment par la « prise en charge de l’engagement de forces de l’ordre dans la protection des femmes face aux violences »

Dans les jours qui ont suivi, on a vu se multiplier les tribunes de militantes et collectifs féministes qui s’opposent fermement à ces propos. Plus largement, elles dénoncent la participation active de Marlène Schiappa et d’un ensemble d’organes et de personnalités publiques se définissant comme féministes à un projet politique fémonationaliste, punitif et sécuritaire.

Dans un article paru sur Contretemps.eu le 19 juillet dernier, une camarade féministe française, Charlene Calderaro, situe l’arrivée des rhétoriques et politiques fémonationalistes en France au moment de la loi sur interdiction du port du voile dans les écoles publiques en 2004. Ce projet a suscité un vif débat au sein du mouvement féministe français. Depuis, les oppositions entre les militantes se revendiquant d’un féminisme résolument antiraciste, anticarcéral et non punitif et celles qui ont choisi de s’allier à l’État pour défendre un féminisme « universaliste » – répressif, islamophobe et bourgeois – n’ont fait que se renforcer. 

Et en Suisse… ?

Les différentes initiatives de ces dernières années autour de la migration ou de la « laïcité » n’ont que peu utilisé d’arguments qui présenteraient la lutte contre l’islam ou contre l’immigration comme un outil de défense des droits des femmes. Au moment de la campagne pour l’interdiction du port du voile dans les écoles publiques en Valais, l’UDC intitulait tout de même une partie de son argumentaire en faveur de l’interdiction « Non à la soumission de la femme ! » et présentait le voile comme « une forme ostentatoire d’une discrimination fondamentale entre hommes et femmes ».

Sans tirer aucune conclusion, on peut se demander si l’absence d’un mouvement féministe structuré et fort en Suisse entre la fin des années 80 – avec la dissolution du MLF – et la création des premiers collectifs pour une grève féministe en 2018 n’a pas contribué au « retard » pris dans l’intégration d’une rhétorique fémonationaliste aux politiques institutionnelles.

Pour autant, nous connaissons depuis plus de deux ans un renouveau impressionnant des luttes pour les droits des femmes et des personnes trans et non binaires dans notre pays. Ces questions occupent désormais une place importante dans les médias et au sein des parlements. On voit aussi apparaître des esquisses de projets et revendications qui, sous un vernis féministe et progressif, cachent des visées racistes, répressives et punitives à l’encontre de populations fortement précarisées et discriminées. 

Le traitement médiatique et politique du harcèlement de rue en est un exemple. À Lausanne, depuis novembre 2019, il est par exemple possible de géolocaliser et de dénoncer des cas de « regards insistants » dans l’espace public. Choisir de faire du harcèlement de rue le cheval de bataille de la lutte antisexiste plutôt que les violences conjugales ou le harcèlement au travail permet opportunément de renforcer le contrôle policier de l’espace public. De nombreux témoignages rapportent pourtant l’incompétence actuelle des forces de l’ordre à prendre en charge des cas d’agressions sexistes. En parallèle, cette police est pointée du doigt pour la violence qu’elle déploie à l’encontre des plus précaires dans ce même espace public. 

Nous ne devons pas être dupes face aux réels objectifs de ces politiques. Nous ne devons pas attendre que ces projets se trouvent sur le devant de la scène politique pour réagir. Le mouvement porté par les collectifs de la grève féministe doit se positionner dès aujourd’hui contre tout projet et argumentaire issus d’un féminisme qui, loin de militer pour l’amélioration des conditions d’existence de tou·te·s, travaille en fait main dans la main avec un État répressif et raciste.   

Noémie Rentsch