Face à l’ALENA, la 1ère révolte altermondialiste

Face à l’ALENA, la 1ère révolte altermondialiste

Contrairement à la mise en place du MERCOSUR, qui est passée pratiquement inaperçue, les discussions autour de l’ALENA ont suscité de nombreuses oppositions, tant au nord qu’au sud du Rio Bravo. Le péril impérialiste étasunien sur le sud du continent était d’autant plus grand que George Bush père voyait dans son projet confiné au Mexique, aux USA et au Canada, le premier pas vers son rêve: la création d’une vaste zone de libre échange allant des glaces de l’Alaska aux neiges de la Patagonie. Dans ce contexte, le lancement de l’insurrection zapatiste, le 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur de l’ALENA, n’était pas un choix anodin. Il a non seulement propulsé cette première guérilla «post-communiste» à la une de tous les médias du monde entier, mais il lui a surtout donné un statut bien plus important que celui d’une énième révolte d’indigènes oubliés: celui de précurseur de l’altermondialisme. Dix ans après l’insurrection zapatiste, alors même qu’aujourd’hui les discussions sur la Zone de Libre échange des Amériques battent leur plein, il n’est pas inutile de revenir sur l’impact de l’ALENA.

L’ALENA est le projet de libéralisation économique le plus ambitieux qui ait abouti en Amérique. Il a notamment comme objectifs d’«éliminer les obstacles au commerce de produits et de services» et d’«augmenter substantiellement les possibilités d’investissement». Conçu comme une zone de libre-échange, il prévoit une réduction drastique des tarifs douaniers et des entraves non-tarifaires au commerce sur quinze ans. Mais l’ALENA va également beaucoup plus loin en s’attaquant aux secteurs des services et des investissements, dont la libéralisation se heurte à des résistances au sein de l’OMC. Ainsi, l’ALENA prévoit, par exemple, l’abandon au Mexique de toute restriction relative à la détention de banques par des intérêts étrangers ainsi qu’un libre accès au marché des assurances.

Par ailleurs, les nationalisations ou expropriations sont par principe exclues, sauf en cas d’intérêt national reconnu, auquel cas des indemnisations définies dans la procédure de règlement des différends doivent être payées intégralement avant l’expropriation ou la nationalisation. L’ALENA prévoit également un organe de règlement des différends face auquel les parties, mais aussi des tiers privés peuvent porter plainte. Enfin, en terme de développement, l’ALENA a eu des conséquences dramatiques sur le Mexique, notamment par l’explosion des investissements dans la zone franche où le niveau moyen des salaires a diminué de 50% entre 1994 et 1998.

Contre-réforme agraire

Avant même la signature de l’ALENA, qui a été l’aboutissement de la politique néolibérale de Carlos Salinas de Gortari, le gouvernement mexicain a pris un certain nombre de mesures visant à libéraliser le pays. Parmi celles-ci, il en est une qui concerne particulièrement les populations rurales du Chiapas: la contre-réforme agraire. Son but était de faciliter la concentration des ressources aux dimensions requises pour la production spécialisée à grande échelle, c’est-à-dire, de favoriser le développement de l’agro-industrie fortement capitalisée au détriment de la petite paysannerie traditionnelle. Il s’agissait, au fond, d’être le plus attractif possible du point de vue des avantages comparatifs dans la perspective de l’entrée dans l’ALENA et de favoriser certains secteurs agricoles à hauts rendements et axés vers l’exportation, tels que l’élevage, l’exploitation forestière ou la grande agriculture.

Par ailleurs, la libéralisation de l’économie mexicaine s’est concrétisée par toutes sortes de privatisations. Divers organismes de la Compagnie nationale de subsistances populaires (CONASUPO), qui monopolisait au début des années quatre-vingt le commerce des douze produits agricoles les plus importants, ont disparu et fait place au libre marché. D’une manière générale, ce sont les mécanismes de protection de l’agriculture nationale qui ont été abandonnés. Dans ce contexte, l’entrée en vigueur de l’ALENA n’a fait qu’accentuer une polarisation sociale profonde.

En effet, avec l’abolition progressive des barrières douanières et des obstacles non tarifaires au commerce, tout comme avec l’interdiction des subventions à l’agriculture, c’est une mise en concurrence directe avec les produits agricoles étasuniens et canadiens que les paysans mexicains ont du subire, ce qui a renforcé une structure économique à deux vitesses. Le nord, dynamisé par la zone frontalière avec les Etats-Unis, où se développent les usines de sous-traitance, et le sud agricole, qui devient de plus en plus pauvre. L’ALENA, en déstabilisant fortement le secteur agricole mexicain, dont les coûts de production sont nettement supérieurs à ceux de ses partenaires du Nord, constitue une régression vis-à-vis de la sécurité alimentaire du Mexique, qui ne peut espérer concurrencer les USA qui contrôlent plus de 70% des exportations mondiales de céréales.

Premières visées par ces structures de l’échange inégal au sein du système capitaliste dérégulé, les populations rurales du Sud-Mexique se sont soulevées le premier janvier 1994. Plus que de témoigner brièvement de leur situation, elles ont inspiré ce qui allait devenir le mouvement alter-mondialiste.

Erik GROBET