L'écologie à la sauce McDonald's

L´écologie à la sauce McDonald´s


Campagnes contre la malbouffe, démontage de fast food et inculpation de José Bové, dénonciation des risques sanitaires, alimentaires et écologiques, publication de l´enquête de Paul Ariès, «Les fils de MacDo»1, journée annuelle mondiale de boycott les 16 octobre… rien ne semble l´arrêter: «Ces attaques ne nous empêcheront pas de continuer à nous développer» proclame McDominateur2. En effet, rien ne pourra freiner la croissance du monstre tant que le fric dont il s´alimente ne sera pas tari.



Son inventeur-promoteur, le McDodu Ray Kroc ne s´en cache pas: «Ce que je veux c´est de l´argent, exactement comme l´on veut que la lumière s´allume lorsqu´on appuie sur l´interrupteur»3. «Venez à moi les petits enfants avec vos ventres vides et vos poches pleines, j´ai cousu celles de tous mes employés dans le monde, ainsi seule la mienne accueillera vos petits sous qui font ma grande fortune. Comme vous n´avez pas le choix, vous les chômeurs, les fauchés, les précaires, venez chez moi, vous travaillerez beaucoup pour peu d´argent car il n´y a pas de raisons que mon sacro-saint «Facteur 4» – 2 fois plus avec 2 fois moins4 – ne vous soit appliqué.»



Il y a 20 ans, lorsque Gunter Wallraff, ce génial enquêteur déguisé en Turc, réussissait une sorte de «McDo, portes ouvertes» sur l´ignoble, l´Allemagne comptait 207 «restaurants». Aujourd´hui, il y en a plus de 16000 dans le monde où un resto s´ouvre en moyenne toutes les 7 heures, un par jour en Europe5. En Suisse, le premier resto était inauguré en 1976; il y en a actuellement plus de 130, occupant 7000 personnes dont la majorité à temps partiel. L´objectif de la multinationale est clair: s´implanter partout à raison d´un établissement pour 20000 habitants.

Comment expliquer cette monstrueuse déferlante de la malbouffe?

L´opposition serait-elle trop faible, les consommateurs piégés, les alternatives rares ou trop chères? Rien de tout cela, McDomination répond à un besoin sans quoi il aurait fait faillite depuis longtemps. Mais il ne s´agit plus du besoin vital, quotidien, gastronomique et ludique de s´alimenter mais du besoin aliéné, remanié par le système capitaliste pour des millions de personnes, consistant à devoir manger lorsqu´elles sont dépossédées de leur temps, d´argent en suffisance, de leur droit de choisir quoi manger, de se faire à manger chez eux et même du temps de déglutir et de digérer en paix, puisque l´objectif de McDollar – «Facteur 4» oblige – est «que les clients commandent davantage, qu´ils mangent vite et quittent rapidement l´établissement»6. Les conditions qui assurent le développement de McDo sont donc la dégradation constante et croissante des conditions de vie des populations: plus il y aura de misère, de chômage, d´intensification et de flexibilisation du temps de travail, de distances entre les lieux d´habitation et d´activité et plus l´indispensabilité des McDo sera unanimement reconnue.

Le cancer capitaliste

Tel est le cas de toute multinationale, qu´elles marchandisent l´énergie, la santé, l´information, la communication, les transports ou la nourriture. Le projet humanitaire du capital a fait chou-blanc. Après un siècle et demi il a dispersé les établissements humains forçant leurs habitant-e-s à se déplacer toujours plus loin, plus souvent et plus vite; il a réduit leur temps libre les forçant à l´épargner; il y a accru leur dépendance à l´énergie les forçant à la dilapider; il a accru les risques sanitaires les rendant de plus en plus dépendants des médicaments. Le processus de production capitaliste engendre des destructions dont la réparation induit de nouvelles productions: une spirale infernale menant à l´épuisement des êtres humains et de leurs ressources. Mais cet échec cuisant d´un système – qui promettait l´épanouissement de l´humanité par le développement des forces productives – est aussi son salut: la pénurie engendre l´abondance de nouveaux besoins, donc de nouveaux marchés, donc de nouveaux produits, donc de nouveaux profits. Le capitalisme se développe grâce aux désastres qu´il engendre comme une tumeur par la prolifération de ses métastases. Les pré-conditions du développement de McDo – leader de la sous-bouffe – comme de celles des multinationales qui sont ses partenaires depuis 1955: Coca-Cola – leader de la sous-boisson – et Disney – leader de la sous-culture – sont là et se renforcent. Ces pré-conditions apparaissent maintenant dans les pays immergés et émergents tels l´ex URSS et la Chine où le chômage chronique, le démantèlement des cantines publiques, la réduction des temps de pause-repas, le manque de temps et de moyens nécessaire à faire les achats et cuisiner à domicile aiguise l´appétit vorace de McDomination. Lors de son ouverture à Pékin en 1992, il a servi 40000 clients…



Mais la faim ne suffit pas: McDoctrine doit noyer les inquiétudes des consommateurs forcés sous des flots de publicité. Dixième annonceur mondial, il dépense des millions en «messages» à la TV et sur Internet. Mais rien n´étant plus trompeur qu´une générosité feinte, McDonateur lance des campagnes du genre «Offrons un sourire» pour payer l´opération des lèvres aux enfants belges, nés avec une fente labiale, les faisant ainsi ressembler à son clown-mascotte souriant Ronald McDonald.7

Pub, mensonges et hamburgers

Les MacDo ont gagné!

Le 15 février 2002, les salariés du restaurant McDonald´s de Strasbourg-Saint-Denis, en grève depuis le 24 octobre 2001 (soit 115 jours), ont remporté une victoire totale dans leur mouvement revendicatif contre les licenciements. La direction, […] cède sur l´ensemble des revendications des grévistes, à savoir:

  • annulation des licenciements;
  • réembauche des cinq salariés licenciés avec maintien de leur qualification antérieure et de leur ancienneté;
  • paiement de 45% des jours de grève;
  • promesse […] de ne pas exercer de représailles pour faits de grève;
  • paiement intégral des salaires pendant la durée des travaux, soit 3 semaines.
  • La plus longue grève jamais engagée chez McDonald´s et dans le secteur de la restauration rapide s´est conclue par une victoire totale pour les salariés.
  • Grâce à leur unité et à leur détermination dans la lutte, et avec l´aide de leur comité de soutien, ils ont su faire plier leur gérant et la société McDonald´s.
  • Il ne fait aucun doute que ce conflit, de par ses formes d´action et sa conclusion victorieuse, aura des répercussions sur l´ensemble du monde du travail, en particulier dans tous les secteurs où le travail précaire et la répression anti-syndicale veulent s´imposer comme norme sociale;

Oui, il est possible de lutter, il est possible de gagner.



Les salariés du restaurant de Strasbourg-Saint-Denis et le comité de soutien.


Mais ce baratin n´émeut pas encore tous les scientifiques s´occupant d´agriculture, de diététique, d´écologie ou de développement durable dont McDogme doit affronter le démontage acerbe de ses «études». Pour les contrer, il a exhibé avec force publicité, il y a dix ans, un premier écobilan8 selon lequel McDoctoral consommerait 6 fois moins d´énergie, 7 fois moins d´eau et produirait 5 fois moins de déchets par client qu´un restaurant conventionnel! Il a fallu plusieurs années pour déceler l´arnaque. Selon une publication de l´EPFL de 19999: «Plusieurs processus défavorables à McDonald´s ont été exclus des limites du système» Après avoir révisé, corrigé et limité cet écobilan à la comparaison entre un McDo et un fast food «Silberkügel» comparable10 «On arrive alors à la conclusion que la charge environnementale provoquée par un restaurant McDonald´s est environ double par rapport à celle de l´autre fast-food»11. Malgré ces baffes académiques, McGreen (sic) s´enferre et diffuse en 2000 les résultats de son nouvel écobilan dont la direction Suisse dit «Nous sommes, bien entendu, fiers de nos succès»12, s´agissant d´une pure opération de propagande, on s´en serait douté. Malheureusement, l´EPFL à invité le 7 février dernier Madame B. Balsinger, consultante pour l´environnement chez McDonald´s, à disserter devant 35 professeur-e-s et étudiant·e·s sur «La responsabilité écologique de McDonald´s Suisse» en se basant sur des graphiques aussi savants qu´invérifiables, ce qui nous inspire quelques réflexions.

Ecobilans truqués

La méthode qui consiste à évacuer les externalités d´une approche restrictive dont McDo dit pourtant «Pour la première fois, nous nous appuyons sur l´écobilan complet [sic] de nos activités» est inacceptable:

  • Le coût social de l´alimentation carnée n´est pas pris en compte or comme il faut 7 tonnes de végétaux pour obtenir une tonne de viande, «Si chaque habitant de la planète Terre devait manger un régime carné, il faudrait doubler voir tripler les récoltes au siècle prochain»13 une prouesse inconcevable dans une production agricole mondiale déjà insuffisante… et les OGM chers à McDo n´y changeront rien.
  • Autre «oubli», les effets secondaires induits par les conditions de travail chez McDo de près d´un million de ses salarié-e-s dans le monde, surexploités et privés de syndicats – en Russie, ils sont engagés à temps partiel pour échapper au droit du travail russe. McDo pour qui «Ce qui compte c´est la motivation, le salaire vient après»14 engendre des externalités cliniques difficilement calculables mais sans doute très élevées15. Le «miracle» d´un serveur MacDo faisant le travail de 150 serveurs dans un vrai restaurant se paiera d´une façon ou d´une autre, un jour ou l´autre.
  • Ces externalités se vérifieront avec le temps également pour les ingurgiteurs de big-macs, privés volontairement du temps de se reposer pendant les repas en les pressant vers la sortie dès leur dernière bouchée: «A cette fin sont utilisés, dans chaque resto, le marquage au sol, les sièges inconfortables, l´absence d´intimité, la froideur du cadre, la luminosité trop vive et blanche, le fond sonore, le nettoyage entre les jambes des clients…»16
  • Les déplacements motorisés aux combustibles fossiles des marchandises et des clients de fast food engendrent des pollutions dont le coût en effet de serre est tout aussi incalculable que prévisible et irrémédiable.
  • Les consommations d´énergie électrique nécessaire à geler, dégeler et griller les hamburger sur des plaques à 180° C constitue le plus gros souci de McGreen puisque sa consommation électrique représenterait le 53% des charges écologiques qu´il fait peser sur l´environnement. Il sera alors tenté d´«arranger» son écobilan en favorisant l´électricité nucléaire qui, comme on le sait… ne produit pas de gaz à effets de serre dommageables à l´environnement!

Vive les hamburgrèves!

Mais les conséquences à long terme de McDommage sont peut être plus graves et sournoises encore. Le célèbre clochard George Orwell, disculpait le sale caractère de son compagnon d´infortune en l´attribuant à la malbouffe: «A force d´absorber cette répugnante imitation de nourriture, il était devenu, corps et âme, une sorte d´homme au rabais. C´était la malnutrition, et non quelque tare congénitale, qui avait détruit en lui l´être humain».17



Le problème que nous pose McDonald est le même que celui posé par toute autre multinationale. Leur production découle d´un calcul de rentabilité immédiate les conduisant à l´ouverture de nouveaux marchés, à l´endoctrinement de nouveaux consommateurs, au lancement de nouvelles marchandises permettant la capitalisation de nouvelles plus values. C´est pourquoi «Il est vital pour l´avenir de la planète et de sa population que les sujets qui touchent l´exploitation des gens, des animaux et de l´environnement soient débattus librement et ouvertement et que le citoyen puisse exprimer ses vues là-dessus; cela afin que soit défiée la propagande des multinationales», comme l´écrit la coodination internationale des campagnes contre McDonald´s.18



La réponse ne peut venir que de l´analyse rigoureusement fondée sur l´épanouissement sur le long terme pour l´ensemble des êtres humains, en l´occurrence, des besoins alimentaires et de l´inventaire des ressources nécessaires à les satisfaire. Seule cette approche permet de construire solidement et durablement la conscience et la détermination des consommateurs/trices et des salarié-e-s. Seule la lutte paie. Pour preuve, après trois mois de «hamburgrève», manifs, meetings, occupations de restaurants, McDo Lyon a été condamné pour harcèlement, licenciement abusif et pratiques illégales dans 20 procès gagnés par un syndicat. Et puis, le 24 janvier dernier la condamnation de la direction du McDo de Strasbourg-Saint-Denis, par le conseil des prud´hommes pour licenciements abusifs avec l´obligation d´en réintégrer les salarié-e-s.19 Ce n´est qu´un début…



François ISELIN

  1. L´Harmattan, 1997
  2. Cité par Günter Walraff, Tête de turc, La Découverte 1986, p. 26
  3. Ibid, p. 37
  4. Conférence à l´EPFL de Béatrice Balsinger, consultante de McDo
  5. Alternative Libertaire, «Contre Mac Domination», http://users.skynet.be/AL/archive/98/211-nov/mac211.htm
  6. Alternative Libertaire, cit.
  7. (http://users.skynet.be/am018682/macdo)
  8. Electrowatt Ingenieurunternehmung AG Zürich,1990 «Vergleich von Materialflüssen, Energie und Wasserverbrauch eines McDonald´sRestaurants mit conventionallen Restaurationbetrieben»
  9. Olivier Jolliet et Pierre Crettaz, «Analyse environnementale du cycle de vie» EPFL, polycopié de cours 1999
  10. B. Lang et al., Wo speist man ökologischer? Möglichkeiten und Grenzen von Õekobilanzen im Restaurant-Vergleich, Gaia 3, n°2, pp. 108-115, 1994
  11. O. Jolliet, cit.
  12. McDonalds Suisse Restaurants, «Rapport environnemental 2000» non daté
  13. Susan George, «La sécurité alimentaire dans le siècle à venir», janvier 2000, Grain de sable, 17.12.01
  14. Vidéo «éducative» reprise dans le film de Peter Guyer, «Big Mac, Small World», Suisse 2001
  15. V. F. Iselin, «Santé des marchés contre santé des salarié-e-s», solidaritéS n° 3, 7.2.2002
  16. http://users.skynet.be/AL/archive/98/211-nov/mac211.htm
  17. George Orwell, «Dans la dèche à Paris et à Londres», 10/18, 2001
  18. McLibel Support Campaign
  19. D. Mezzi, «Refusons la Mc Précarité», Rouge, 31.1.2002