Les arts graphiques se préparent à la lutte

Les arts graphiques se préparent à la lutte

Dans les arts graphiques, les négociations pour le renouvellement du contrat collectif de travail (CCT) ont échoué. Depuis le Premier Mai, il y a donc un vide conventionnel. L’association patronale VISCOM a manifesté une intransigeance totale face aux propositions syndicales portées par COMEDIA, syndicat de la branche. Les principales revendications des salarié-e-s sont la compensation automatique du renchérissement, l’augmentation des salaires minimaux (50 Fr. par an, soit moins de 1% par an durant 4 ans), une meilleure protection contre les licenciements, des avancées concrètes en matière de force obligatoire et d’extension du champ d’application de la CCT. Face à ce blocage patronal, Comedia a organisé une votation générale, le 25 mai, dans le secteur des arts graphiques, pour déterminer, avec tous les salarié-e-s concernés, quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour développer la mobilisation et faire revenir les employeurs sur leurs positions. Nous faisons le point avec Pierre-André Charrière, secrétaire central de COMEDIA, après cette votation générale et la discussion au Comité d’action national (CAN) à propos des prochaines étapes de cette lutte syndicale.

Quelle a été la participation et le résultat de cette votation générale? Que signifie-t-elle?

Cette votation générale représentait en fait le premier test sérieux de cette campagne CCT 04. Nous étions confiants quant à la volonté des salarié-e-s les plus actifs de donner au comité d’action national la compétence de lancer des mesures de luttes (la votation portait en fait sur cette question). Une majorité de 2/3 des voix était nécessaire et elle a été largement dépassée (près de 90% de OUI). Ce résultat est très positif, puisqu’en 1999, lors d’une votation similaire, la majorité de OUI avait tout juste atteint 75%. Le vote de 2004 est également réjouissant par son homogénéité: 89% de JA, 93% de OUI et 96% de SI.

Nous étions par contre relativement inquiets quant à la participation. Il faut dire ici que nous avions encore tous en mémoire le taux de participation plus que moyen de la votation de 1999 (25%). On a donc combiné, cette année, votation sur le lieu de travail (là ou le réseau syndical permettait de garantir la fiabilité des opérations de vote) et votation par la poste. Nous avons donc été très satisfaits que 42% des membres de COMEDIA travaillant dans l’industrie graphique (les retraité-e-s ne votaient pas) se soient exprimés. Ce qui est intéressant, c’est que la participation est plus forte qu’en 1999 tant pour le vote sur le lieu de travail (58%) que pour le vote par la poste (35%). Cela montre que la campagne de 2004 rencontre auprès des salarié-e-s un écho plus grand que celle de 1999.

Tous les travailleurs et travailleuses des arts graphiques bénéficient-ils/elles de la CCT?

Il y a là effectivement un problème. On estime que 20000 personnes environ travaillent «à la production» dans l’industrie graphique, donc pourraient être soumises au contrat collectif national. Dans les faits, il n’y a que 12000 salarié-e-s formellement soumis au CCT VISCOM (l’association patronale)-COMEDIA-SYNA, dont environ 6000 sont syndiqués. Pour obtenir un CCT pour tous (c’est une des revendications prioritaires), nous devons agir sur deux tableaux. Définir de façon plus précise le champ d’application quant aux personnes, en intégrant notamment le personnel technique des rédactions, les services de maintenance, de livraison, l’ensemble des activités de production des annonces. Nous voulons également une disposition soumettant très clairement le personnel des agences de travail temporaire au CCT, lorsqu’ils travaillent dans l’industrie graphique, et non plus une «application par analogie» comme le prévoit l’article actuel. Mais nous voulons également que ce contrat s’applique à toutes les entreprises de la branche. En Suisse romande notamment, il y a trop de grosses boîtes qui sont à l’écart du CCT (Edipresse, Hersant, Presses Centrales etc.). Cette situation n’est plus tolérable, car elle reflète en fait un refus de reconnaître le syndicat, une négation de la liberté de coalition. Nous avons donc comme objectif de déposer une demande d’extension du CCT auprès du Conseil fédéral comme le permet la loi. Le hic, c’est que cette démarche doit être faite par toutes les parties signataires d’un CCT et que, pour le moment, VISCOM refuse de s’y associer. C’est donc également l’un des enjeux de la mobilisation en cours: obtenir, par la lutte, l’accord des employeurs pour demander l’extension du CCT.

Quels sont les objectifs de VISCOM, en adoptant une politique aussi dure?

Les employeurs déterminent les concessions qu’ils doivent faire en fonction de la capacité des salarié×e×s de se mobiliser. Autrement dit, VISCOM a pour le moment le sentiment que les syndicats ne sont pas en mesure de construire un véritable mouvement de grève. Ils s’en tiennent donc provisoirement à un refus total des revendications ouvrières. Ils se contentent d’expliquer que le CCT actuel coûte déjà trop cher et qu’il s’agit de le rendre meilleur marché. D’un autre côté, les employeurs sont sensibles à la garantie de paix du travail qu’apporte un CCT. Ils hésitent donc à se lancer dans la logique des accords d’entreprise, négociés avec les commissions du personnel, qui ne donnent aucune garantie de paix du travail. Ils l’écrivent d’ailleurs ouvertement: «Les délégués de VISCOM devront décider s’ils retourneront à la table des négociations ou si, adoptant une conception nouvelle, ils entendent réaménager le partenariat social au niveau de l’entreprise». (Viscom print&communication, 25 mai). Mais à plus long terme, Viscom vise méthodiquement à renforcer le pouvoir patronal dans l’entreprise: en éjectant du CCT les dispositions trop contraignantes, en privilégiant les commissions du personnel comme «partenaire social», en combattant toute forme d’organisation autonome des salarié-e-s.

Quelles mesures de lutte seront mise en oeuvre pour surmonter ce diktat patronal?

Nous allons commencer par un débrayage national de quelques heures le 17 juin. C’est nécessaire d’avoir une première action avant les vacances, c’est utile de «mettre la pression» (c’est le slogan de la campagne) sur les employeurs qui tiennent leur assemblée des délégués ce même jour. Mais nous devons évidemment préparer un mouvement d’une tout autre ampleur pour l’automne. Nous travaillons à des scénarios de grèves reconductibles, qui mettent un maximum de pression sur les employeurs et qui peuvent enclencher une véritable dynamique de lutte. Certaines revendications, qui nous paraissent difficiles à obtenir aujourd’hui, pourraient alors rapidement être considérées comme réalisables.

Entretien réalisé par Jean-Michel DOLIVO