Mobilisation difficile dans les universités françaises

Mobilisation difficile dans les universités françaises

Le combat des étudiant-e-s en France contre l’application du processus de Bologne est suivi de près en Suisse. Sud-étudiant joue un rôle de premier plan dans ces mobilisations. Ce syndicat s’est formé dans le sillage du mouvement de grève massif des travailleurs-euses du secteur public et des étudiant-e-s, à la fin 1995 en France, dans le but de constituer une organisation d’étudiant-e-s plus combative et plus en lien avec les luttes du monde du travail que le grand syndicat UNEF. Cet automne, le gouvernement Raffarin va avancer à grands pas dans la mise en vigueur de la réforme d’harmonisation européenne des diplômes, appelée LMD (Licence-Master-Doctorat) et du système des crédits capitalisables et transférables (ECTS). Où en est la résistance des universités en France? Nicolas Dreyer, étudiant en sociologie à l’Université de Tours et secrétaire fédéral de Sud-étudiant a répondu à nos questions.

La réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) est appliquée dans certaines universités françaises depuis 2003-2004. A cette rentrée 2004-2005, elle a été élargie à la majorité des autres hautes écoles. Quelles sont les raisons pour lesquelles Sud-étudiant se bat contre cette réforme?

Effectivement, à la rentrée 2004/2005 les trois-quarts des universités françaises sont passées au système LMD. Réforme contre laquelle nous nous battons depuis plusieurs années pour différentes raisons:

Tout d’abord ce système apporte un nombre incalculable de reculs sur les droits étudiant-e-s de «base» comme la fin de la compensation annuelle, la semestrialisation totale, la fin de la session de septembre, la perte du DEUG [Diplôme d’Etudes Universitaires Générales, obtenu après les deux premières années d’études] et de la maîtrise, reculs dont les effets négatifs seront d’autant plus forts pour les étudiant-e-s salarié-e-s.

Deuxièmement, cette réforme apporte une individualisation à outrance des «parcours de formations», sans cohérence aucune. Ainsi l’université de Grenoble a mis en place un simulateur de parcours qui, en fonction de vos goûts, vous compose votre diplôme presque sur mesure… La casse du cadre national des diplômes par cette «individualisation des parcours», ainsi que par l’apparition de l’annexe descriptive propre à chaque diplôme, aura des conséquences pour l’étudiant-e sur le marché du travail.

De plus, la concurrence grandissante entre universités, productrices de marchandises éducatives, couplée au développement d’un marché international de l’éducation sur lequel il ne faut pas être en reste, fait que cette réforme tend dans ses fondements vers une privatisation larvée de l’université. C’est l’avènement d’une université à deux vitesses: d’un côté, une université professionnalisante s’arrêtant à la licence pour la majorité des étudiant-es et de l’autre une université de niveau internationale, sélective et coûteuse pour les plus favorisés.

Qu’est-ce que vous reprochez au système des crédits capitalisables et transférables (ECTS)?

Le système des ECTS et le système LMD sont intimement liés et procèdent de la même logique de contre-réforme libérale. Le système ECTS introduit la notion de crédit, de capitalisation, loin de la complémentarité des connaissances, de la cohérence d’un cursus, les étudiant-es devront accumuler le nombre de crédits nécessaires à l’obtention du diplôme: 180 pour une licence, 120 de plus pour un master. Comme on va faire ses courses… De plus, les crédits, tant loués pour leur propension à améliorer la mobilité, ne sont qu’un leurre. En effet, ceux-ci ne valent pas la même chose selon les pays européens, et les diplômes ne valent pas le même nombre de crédits…

Le Ministère de l’éducation nationale affirme que les réformes envisagées vont favoriser la mobilité des étudiant-e-s. Qu’en penses-tu?

La mobilité internationale est d’abord une question financière: le nombre de bourses de mobilité délivrées, ainsi que le montant de celles-ci, sont une aberration aujourd’hui. La mobilité européenne, peut-être, mais seulement pour une élite fortunée, voilà le problème.

Quel bilan tires-tu de la mobilisation des étudiant-e-s en France depuis l’annonce des projets de réforme «de Bologne» il y a cinq ans? Quelles difficultés Sud-étudiant rencontre-t-il dans la mobilisation des étudiant-e-s sur ce terrain?

Le bilan est rude: cinq années de luttes contres ces réformes et elles sont toujours là. De plus, la réalité se fait chaque jour plus pressante. Nous avons mobilisé de nombreuses fois, et nous avons rencontré plusieurs problèmes récurrents.

D’abord, l’étalement de l’application des réformes dans le temps, toutes les universités ne passant pas en même temps au nouveau système et à l’intérieur des universités mêmes, l’application pouvant se faire de façon progressive, a été un frein à l’impulsion d’une lutte au plan national.

La question européenne a été un autre problème récurrent pour les luttes. En effet, la presse aidant, les étudiant-e-s en luttes et les syndicats s’étant positionnés contre ces réformes ont souvent été catégorisés comme des anti-européens primaires, puisque nous luttions contre une réforme «d’harmonisation européenne».

Enfin, l’éclatement des changements en une série de décrets, en divers projets et annonces, rendait très compliquée la vision globale de cette réforme, et nous nous sommes bien souvent empêtrés dans des explications techniques.

Comment envisagez-vous la mobilisation pour cette rentrée 2004-2005?

L’axe de mobilisation de la fédération des syndicats SUD-Etudiant en ce début d’année sera clairement une opposition aux réformes libérales, à la sélection sociale, et la revendication d’un engagement financier massif de l’Etat dans l’enseignement supérieur public. En effet, le gouvernement se moque délibérément des étudiant-e-s: il augmente les frais d’inscriptions, le prix du logement et de la restauration, tout en n’adaptant pas les bourses au renchérissement du coût de la vie. Parallèlement, il nous présente un budget en trompe l’œil pour 2005 et croit pouvoir endormir les étudiant-e-s à coup d’ordinateurs portables à 1 euro/jour.

Mais les préoccupations estudiantines sont bien loin des ordinateurs portables. Ce sont les préoccupations immédiates qui prennent le pas, les préoccupations financières trop nombreuses, les préoccupations pédagogiques, avec l’application du LMD dans de nombreuses universités qui s’apparente trop souvent à une catastrophe. C’est sur ces thématiques que nous informerons les étudiant-e-s, pour essayer de construire une mobilisation d’ampleur nationale contre les réformes libérales.

Les réformes entreprises en France s’inscrivent dans un projet commun des 29 pays européens ayant signé la déclaration de Bologne, en juin 1999. Comment juges-tu les possibilités de coordonner la résistance à Bologne avec les mouvements des autres universités européennes?

La construction d’un réseau syndical étudiant européen est chose difficile, compte tenu des disparités d’organisation, de structurations et de pratiques des organisations étudiantes des différents pays européens. Mais nous nous attelons, depuis déjà quelques années, à nouer des liens avec les organisations combattives présentes dans les universités européennes. Ainsi, le Forum Social Européen de Londres ou le Forum Européen de l’Education (à Bergen en Norvège), au printemps 2005, seront de nouvelles occasions de rencontrer des camarades qui luttent sur les mêmes thématiques, contre les réformes néolibérales, afin de débattre de l’application de celles-ci, d’échanger les expériences de lutte, de poser les bases d’un véritable réseau européen d’organisations étudiantes radicales, en capacité d’impulser des mobilisations à l’échelle européenne.

Entretien réalisé par Janick Marina SCHAUFELBUEHL