Après Swissmetal, grève à Filtrona: un printemps en hiver?

Après Swissmetal, grève à Filtrona: un printemps en hiver?

Au moment où ces lignes sont écrites, les travailleurs et les travailleuses de Filtrona ont gagné leur premier bras de fer, la direction ayant accepté de s’asseoir à la table de négociation, pour discuter de l’avenir de l’entreprise, d’un éventuel plan social et d’une convention collective. C’est une indiscutable victoire d’étape, fruit de la détermination des grévistes et du soutien sans faille de leur syndicat «comedia».

Une nouvelle fois, après Reconvillier, l’arrogance patronale, la morgue de ceux qui se veulent seigneurs et maîtres ont été battues en brèche. Dans l’Ouest lausannois, où les fermetures d’entreprises et les négociations de plans sociaux ne se comptent plus, l’éclaircie est belle. Et ce n’est pas par hasard si, parmi les premières commissions d’entreprise à réagir solidairement, on trouve celles de Sapal et de Matisa, en sus de Swissmetal. Sapal, dont le personnel poursuit depuis cinq ans un épuisant combat, pied à pied, contre le grignotage des emplois; Matisa, symbole historique d’une lutte victorieuse au bout d’un mois de grève il y a plus d’une décennie.

Que des travailleuses licenciées il y a deux ans, lors de la fermeture d’Iril se retrouvent aujourd’hui en lutte chez Filtrona montre que l’idéologie démoralisante de la mondialisation inexorable et sans frein n’a pas envahi tous les cœurs et les esprits. Qu’un personnel composé de huit nationalités différentes agisse dans une ferme unité rappelle avec force que «multinational» peut aussi se conjuguer avec solidarité et non pas exclusivement avec rapacité.

Question de rapacité et de cynisme, la direction de Filtrona, en réalité du trust britannique Bunzl, a fait fort. L’appropriation, la succion, du savoir-faire des travailleurs et travailleuses de l’entreprise et des technologies qu’ils maîtrisent, on en a déjà eu la démonstration en Italie, à Rovereto. En décembre 2002, le personnel reçoit les vœux de fin d’année de la direction; en janvier 2003, il apprend la fermeture de l’entreprise pour avril et le déménagement des machines en Angleterre, avec 134 licenciements à la clé. Le directeur est le même que celui à l’œuvre aujourd’hui à Crissier, Dylan Jones. À Filtrona aussi, des machines ont déjà pris le chemin de l’Angleterre…

Ce style de «sauvageon» capitaliste, de voyou de la rentabilité financière, représente un choc pour des ouvriers et des ouvrières travaillant pour la plupart de longue date dans l’entreprise – treize ans d’ancienneté en moyenne – et plus habitués au paternalisme de l’ancienne direction familiale qu’aux diktats sans explication de la City londonienne. Ici, le parallélisme avec Swissmetal est patent. Ici comme là, à la dignité bafouée se sont ajouté les tensions, quelquefois l’angoisse, entraînées par la grève. Il fallait oser. Oser rompre le pacte inconscient de la soumission, défier un pouvoir patronal, oser l’aventure incertaine de la lutte. Car tout était à réinventer, ou presque. Le mouvement ouvrier helvétique n’est pas si riche de traditions de lutte pour que la confiance s’installe dès le départ, qu’il ne faille pas, elle aussi, la conquérir, jour après jour, et apprendre à la transmettre aux autres. Cette expérience, les travailleuses de Filtrona, qui ont joué un rôle essentiel dans le renforcement de la détermination de tous et toutes, l’ont faites et se disent aujourd’hui plus conscientes de leurs droits, de leur force et de la légitimité de leurs revendications, égalité salariale comprise.

Pour que cette réappropriation, dans la pratique, des armes légitimes de la lutte ouvrière puisse se réaliser, s’étendre si nécessaire, pour que la riposte et la sanction du despotisme patronal deviennent la règle, des progrès sont nécessaires. Un exemple suffira: le 3 décembre, une manifestation de soutien à la grève de Filtrona s’est déroulée à Renens. Alors que le mouvement des ouvriers et des ouvrières bénéficiait sans aucun doute d’une forte sympathie régionale et médiatique, seules quelques petites centaines de manifestant-e-s se rassemblèrent ce samedi matin. Bien sûr, la manifestation avait été convoquée dans l’urgence. Elle ne fut cependant pas à la hauteur de l’événement. Agir pour transformer la sympathie en mobilisation, reconstituer les réseaux de soutien et de solidarité, faire passer le plus grand nombre possible de l’état de spectateur approbatif à celui d’acteur conscient: la tâche de la gauche syndicale et de l’ensemble des forces de résistance au néo-libéralisme est grande. Sa responsabilité aussi.

Daniel SÜRI