Santé au travail et néolibéralisme

Santé au travail et néolibéralisme

L’Office fédéral de la statistique vient de publier, le 23 novembre, les résultats de l’Enquête suisse sur la santé de 2002: les résultats concernant le monde du travail (enquête auprès de 12000 personnes) sont édifiantes: 44% des salarié-e-s souffrent d’une très forte tension nerveuse liée à leur travail.

«Ce sont aujourd’hui des facteurs psychologiques et sociaux tels que forte charge de travail, pression de la demande, exigence de concentration durant de longues périodes, forte pression temporelle, croissance de l’interdépendance entre collègues de travail, qui sont à l’origine du stress et qui finissent par peser sur l’état de santé» reconnaît l’OFS. L’inquiétude quant à l’avenir professionnel pèse également lourdement sur la population active en Suisse. Ce deuxième type de stress vient aggraver l’état de santé physique et psychique des individus pour 37% d’entre eux selon cette étude.

Ces résultats viennent confirmer d’autres études effectuées en Suisse, en particulier celle réalisée par le syndicat Comedia (2002) et celles du Seco (1998, 2000). Les grandes enquêtes internationales, comme les enquêtes européennes sur les conditions de travail de la Fondation de Dublin, mettent aussi en évidence que les contraintes liées aux rythmes de travail ont massivement augmenté dans les années 90. Cette intensification correspond à la nouvelle phase d’organisation de travail, qu’ont bien décrite des auteurs comme Christophe Dejours, Philippe Zarifian ou Philippe Davezies en France ces dernières années.

Après l’organisation fordiste dite «scientifique» du travail, le nouveau management a pour obsession la réalisation du «chiffre d’affaires au moindre coût», délaissant le processus de production concret et la relation directe au personnel. Les relations de travail se sont ainsi profondément modifiées, avec un contrôle et une pression accrues de la hiérarchie sur les résultats, en termes quantitatifs purs, au détriment du travail «soigné». Or, les effets psychologiques d’une absence de reconnaissance, voire d’une dévalorisation de l’activité du personnel sont délétères pour la santé psychique au travail. La démoralisation et la démotivation accompagnent l’insécurité croissante dans de nombreuses entreprises. Les méthodes de management agressives, de type harcèlement, se sont développées aussi au cours de cette dernière décennie.

La santé psychique de près de la moitié des salarié-e-s a ainsi été sacrifiée sur l’autel de la rentabilité à tout prix et de la concurrence généralisée, sous la pression directe des licenciements. Ce constat donne la mesure de la violence quotidienne d’un système d’exploitation et d’oppression à l’ère néolibérale. Il faut cependant ajouter à ce tableau la souffrance d’un nombre croissant d’exclu-e-s du marché du travail, chômeurs et invalides, dont le statut est en bute à des attaques répétées depuis plusieurs années.

Des chercheurs suisses ont montré que le seul coût économique, sans parler du coût social, de cette péjoration de l’état de santé psychique de la population active pouvait être estimée à plus de 4 milliards de francs par année. Une mesure qui, répétons-le, ne tient pas compte de la souffrance elle-même. Le plus souvent enfin, pour «tenir le coup», une grande partie des victimes consomme occasionnellement ou régulièrement des médicaments psychotropes comme les sédatifs, les anxiolytiques et des médicaments analgésiques.

Le capitalisme rend aujourd’hui malade un salarié sur deux! Défendre le droit à la santé dans les entreprises devient donc une revendication de base pour la défense des conditions de travail. Ce combat commence à être pris en compte par plusieurs syndicats. A Genève, un Collectif Travail Santé Mondialisation s’est crée en 2001 pour faire avancer cette prise de conscience. Il regroupe des syndicalistes, des professionnel-les de la santé au travail, des professionnel-les de la santé et des militant-e-s altermondialistes. Un travail en profondeur est nécessaire pour passer de la prise de conscience à des revendications concrètes sur le lieu de travail. Mais il est évident que nous nous heurtons ici aux limites intrinsèques du capitalisme… Une raison de plus de lutter pour le renversement de la logique inhumaine de ce système.

Gilles GODINAT