Vente de l’hôtel Carlton les spéculateurs n’ont pas fait la loi!

Vente de l’hôtel Carlton les spéculateurs n’ont pas fait la loi!

Le 28 novembre, le résultat du référendum Carlton tombait: 51,4% des votants du canton de Genève ont préféré cent-vingt logements au centre ville à un nouvel hôtel de luxe. Résultat plus qu’encourageant, si l’on songe au fait que le référendum contre cette vente avait été lancé par des étudiant-e-s et des personnes à bas revenus, avec un soutien important de solidaritéS et du Parti du travail. En face, la droite et les milieux immobiliers avaient mené une campagne haineuse et mensongère sur le thème: les squatters ne feront pas la loi…

Au lendemain des votations, le petit monde politique et médiatique genevois faisait mine de découvrir qu’il y avait un très grave problème du logement dans le canton. Ainsi, le Conseil d’Etat, le socialiste Laurent Moutinot en tête, reconnaît le bienfondé de l’acceptation du référendum, qui le conforte dans sa volonté d’entreprendre une politique «active» du logement. Les Verts félicitent ces «gentils étudiants» qui ont eu bien raison de lancer ce référendum. Quant à la droite, elle fait profil bas et reconnaît la volonté du peuple, qu’elle intereprète comme un signal pour accélérer la construction. Plusieurs voix se font entendre pour modifier les statuts de la Fondation de Valorisation des actifs (surévalués) de la Banque cantonale genevoise (BCGe), repris par l’Etat pour éviter la faillite de cet établissement, et qui avait décidé la vente aujourd’hui annulée. Enfin, les médias ont fait l’éloge de l’action des étudiants et alerté la population sur les possibilités de créer du logement.

Bizarre… vous avez dit bizarre?… quelque chose sonne faux…. Remontons six mois en arrière. Le 19 mai 2004, une centaine de personne en formation et à bas revenus occupaient l’hôtel Carlton, laissé à l’abandon depuis plusieurs mois. Comme cet «hôtel» se prêtait très bien au logement étudiant, rapidement la décision fut prise de lancer un référendum pour bloquer sa vente à un nouvel investisseur. Les occupants du Carlton ont reçu l’appui immédiat de solidaritéS, du PdT et des Syndicats, par le biais de la CGAS, discrètement rejoints par le PS.

L’Entente bourgeoise et l’UDC dénonçaient les squats. Les Verts étaient farouchement opposés au référendum (pas trop de vague avant les élections pour le Grand Conseil 2005). Laurent Moutinot, pour sa part, développait la maladie habituelle des élus du PS aux exécutifs: une surdité profonde, en dépit des décisions de la base de son parti. Il a ainsi refusé de négocier avec les nouveaux habitants du Carlton et condamné sévèrement leurs actions et revendications. Pour lui, il n’y avait tout simplement pas de problème de logement étudiant… puisqu’il promettait d’en construire.

La Fondation de valorisation des actifs de la BCGe, toujours aussi arrogante, refusait catégoriquement de négocier avec le collectif Carlton et portait rapidement plainte, ce qui allait entraîner l’évacuation de ses occupant-e-s après dix jours d’auto-gestion intelligente et respectueuse. Il est vrai que les médias avaient accordé une certaine sympathie à ce mouvement d’étudiants et de jeunes à bas revenus qui avaient occupé cet hôtel désaffecté par nécessité. Après une mobilisation extraordinaire, très largement soutenus par la population, le collectif déposait près de 10000 signatures récoltées en deux semaines. Malgré ce succès spectaculaire, la Fondation de valorisation et les autorités refusaient toujours toute négociation.

Mi-octobre, la campagne débutait avec un comité unitaire comprenant notamment des syndicats, des associations de locataires et les partis de gauche… sauf les verts, qui ont totalement snobé le travail du comité référendaire. Dans leur journal, le député David Hiler s’acharne contre ce référendum, même si, en fin de compte, leur affiche appellera à voter non à la vente du Carlton.

Le comité référendaire a décidé de mener une campagne de fond sur la problématique du logement à Genève. Honnête et très argumenté, la campagne pour «120 logements à la place d’un hôtel de luxe», a eu aussi pour objectif de donner un signal fort aux autorités afin qu’elles rompent avec leur immobilisme en matière de logement et d’appeler à la modification incontournable des statuts de la Fondation de valorisation afin qu’elle prenne clairement en compte la priorité du logement.

L’Entente bourgeoise, comme d’habitude main dans la main avec l’UDC, a mené une campagne scandaleuse avec, comme seul argumentation «les squatters ne feront pas la loi». Quel scandale! Des «squatters» qui lancent un référendum… La démocratie et le droit de référendum, voyez-vous, ce n’est pas pour tout le monde. Les squatters sont ainsi stigmatisés comme des hors-la-loi, une frange obscure de la population, alors que le choix d’occuper un immeuble est motivé par le besoin essentiel d’avoir un toît. L’Entente a complètement oublié que le logement est un droit inscrit dans la constitution depuis dix ans et que les «squatters» sont des citoyen-ne-s comme les autres, avec des droits. Les milieux bourgeois ont surtout été motivés par la défense de leurs amis spéculateurs et par la peur de créer un précédent.

La palme de la mauvaise fois revient cependant au Conseiller d’Etat socialiste Laurent Moutinot, incapable de soutenir son propre parti, qui appelait à s’opposer à la vente du Carlton. Il avait été jusqu’à sortir de son chapeau, pendant la campagne, de nouveaux projets totalement vides de contenus. Au lendemain du 28 novembre, tout ce petit monde qui ne pensait absolument pas que des «squatters» puissent gagner devant la population a tranquillement retourné sa veste. En effet, pour beaucoup d’acteurs politiques, la seule et unique préoccupation se résume aujourd’hui à une échéance: les élections du Grand conseil de l’automne 2005.

Aujourd’hui, la première mesure à prendre, c’est de transformer rapidement le Carlton en logements. Ceci doit être fait par une négociation entre le Conseil d’Etat, la Fondation de valorisation et le collectif Carlton, qui a développé un projet de coopérative. Le projet des étudiant-e-s doit être largement pris en compte. Sans leur recours à l’action directe et la campagne qu’ils ont menée après leur expulsion, les questions les plus importantes seraient restées enfouies et les Pâquis «bénéficieraient» aujourd’hui d’un énième Hôtel de luxe.

Romain KULL