Transports publics gratuits: point de vue d'un élu vert

Transports publics gratuits: point de vue d’un élu vert

Aujourd’hui, c’est un magistrat vert, Robert Cramer, qui se prononce pour la réouverture du dossier de la traversée de la rade – refusée par une majorité de votant-e-s en 1996 – et justifie une importante hausse des tickets de transports, de 2,40 Frs à 3,20 Frs. De surcroît, les Verts viennent de refuser de soutenir l’initiative que nous avons lancée, avec Les Communistes (à ne pas confondre avec le Parti du Travail), pour la gratuité des transports publics… Le lobby des automobilistes et des bétonneurs paraît moins frileux, quand il propose une hausse de 50% de l’impôt auto pour financer la nouvelle traversée de la rade…

Revenons quelques années en arrière… En 1999, les Verts genevois tenaient un Congrès. A cette occasion, ils dénonçaient «une hausse inadmissible des tarifs TPG, heureusement refusée par le Conseil d’État! (…) On aurait voulu provoquer une augmentation du nombre de voitures, disaient-ils alors, qu’on ne s’y serait pas pris autrement: non seulement les automobilistes ne sont pas incités à changer de mode de transport, mais certains usagers actuels, après un rapide calcul financier, renoncent aux transports publics. Avec une telle politique, poursuivaient-ils, on enterre tout simplement le report modal de l’automobile vers les transports en commun (…) En disant non à la traversée de la Rade et encore non à un parking sous la place Neuve, les Genevois ont pourtant clairement exprimé leur refus d’une politique qui fait une place excessive à la voiture. Malgré cela, notre canton continue à étouffer dans le trafic» («Pour une politique de transports durable», www.verts.ch/GE/idees-vertes/congres/99transports.html).

Deux époques deux langages? Au moment où apparaît un nouveau parti à Zurich, les Grauen-Liberale, emmenés par une Conseillère d’Etat issue des Grünen, n’est-il pas grand temps de discuter sérieusement l’orientation des Verts genevois.

Pour en savoir plus sur l’état d’esprit d’un Vert engagé dans la politique locale, nous avons demandé à Alain Marquet, Conseiller Municipal, qu’il nous donne son point de vue personnel sur la gratuité des transports publics. Nous partageons son analyse sur les bénéfices sociaux indirects de la gratuité des transports publics, qui compensent largement ses coûts directs. En revanche, il nous paraît faux de repousser des pistes de financement, même partiel – hausse des impôts sur les voitures de luxe, 4X4, etc., suppression des déductions fiscales sur les voitures de fonction, etc. – sous prétexte que ça ne suffirait pas. De plus, nous rejetons l’idée selon laquelle ce qui est gratuit a moins de valeur. C’est ce même argument typiquement libéral que les Verts avançaient lorsqu’ils défendaient l’entrée payante dans les musées. En juin 1997, 74% de la population leur ont donné tort sur ce point… (jb)

Evoquer la gratuité des transports publics est un sujet très vaste dont il est nécessaire d’étudier en toute honnêteté, tous les tenants et aboutissants. Cela doit se faire en tenant compte de contraintes diverses, la plus importante étant à mon sens la contrainte financière que représente une telle charge, et les choix qu’elle pourrait imposer dans la période budgétaire actuelle.

Contraintes habituelles

Selon les sources, c’est grossomodo entre 80 et 120 millions qui seraient nécessaires pour compenser la diminution des rentrées par le biais de l’achat des titres de transports. Il ne s’agit en outre pas d’une somme versée une fois pour toutes, mais bel et bien d’un engagement sur le moyen, voire même plutôt le long terme.

D’autre part, il faut tenir compte du fait qu’une telle gratuité implique (et vise) un important transfert modal de ceux qui considèrent encore le prix du billet comme un obstacle au choix des transports publics pour leurs déplacements, et que, conséquence immédiate de l’augmentation probable du nombre de passagers-ères, il faudrait équiper les TPG en matériels roulants complémentaires et donc aussi en chauffeurs. Si le coût en matériel est une dépense plutôt de nature conjoncturelle, les salaires du personnel sont aussi un engagement sur le long terme.

Quelques objections…

Je souhaite dire ici que le coût des motrices est largement obéré par le fait que, contrairement à d’autres villes suisses qui ont conservé leurs anciens trams en état de rouler (Zurich, Berne, Bâle, etc) nos TPG se trouvent contraints d’acheter du matériel flambant neuf et donc très cher.

Un autre argument énonce que tout service a un coût, que par exemple, nous sommes d’accord de payer le timbre pour notre courrier ou nos communications téléphoniques. Ainsi donc, pour garder sa vraie valeur à la prestation, il conviendrait de lui rattacher un coût direct à payer par l’utilisateur.

Ces arguments ne me laissent pas insensible, mais je mets sur l’autre plateau de la balance des arguments qui m’interpellent aussi…

Le billet à plus de 3 francs

En premier, celui de l’accessibilité à un réseau performant de transports, dont je me sens actuellement exclu du fait du coût du billet récemment porté à plus de 3 francs. En effet, je suis essentiellement piéton et cycliste dans mes déplacements urbains et je comprends mal de devoir payer plus de 3 francs le jour où la pluie, la fatigue ou une autre contrainte m’amènerait à avoir besoin de prendre les TPG. Evoquer le prix bas de l’abonnement ne me concerne pas. Mais mon attitude n’aura aucune influence puisqu’il est évident que de telles contraintes ne me porteront pas vers la voiture. Je me considère donc comme ce qu’on pourrait appeler un «non client contraint»

Impact sanitaire

Ensuite, celui essentiel de l’impact d’une telle mesure sur l’état sanitaire de la population. Si effectivement on parvient ainsi à un important report modal, voire à la justification de mesures encore plus pointues de diminution du trafic privé, les premiers bénéficiaires en seront les poumons, les oreilles de nos concitoyen-ne-s. Une telle mesure amènerait forcément une importante diminution du bruit dû au trafic motorisé privé et une toute aussi importante amélioration de la qualité de l’air de notre canton. Ce qui, par voie de conséquence permettrait de voir diminuer de façon sensible toutes les affections liées à ce type de nuisances. D’où forcément de très importantes économies en matière de santé publique. C’est là une évidence qu’il importe de rappeler. Sans compter que cette diminution corollaire du trafic permettrait également de substantielles économies en matière d’infrastructures entretenues ou construites aux seules fins automobilistiques.

Traversée de la Rade…

Concernant le dossier Traversée de la Rade, j’avais déjà pris position très clairement contre les premières velléités du magistrat de nous resservir ce plat totalement ringard. Je continuerai à m’y opposer en m’appuyant sur le principe simple que toute création de nouvelle voie de trafic génère un trafic supplémentaire jusqu’à saturation de cette nouvelle voie qui justifierait la création de nouvelle voie qui, etc…. Et que, pour rester en lien avec ce sujet, les entreprises locales trouveraient aussi leur compte dans la gratuité des transports publics, par le biais des investissements en infrastructures, qu’une telle mesure pourrait amener dans le cadre d’une extension soutenue du réseau.

Et le financment?

Concernant le financement d’une mesure telle que la gratuité des transports publics, l’économie réalisée sur les contrôleurs me parait peu crédible car s’il n’y a plus de contrôleurs de titre de transport, il est à craindre qu’une surveillance accrue ne soit nécessaire dans les rames, ne serait-ce que du fait que la gratuité ôterait le dernier obstacle à l’accessibilité d’une partie de la population qui, sans avoir besoin de se déplacer, pourrait utiliser les véhicules pour toutes sortes d’autres activités: Si le repos, la lecture ne me posent aucun problème, le possible vandalisme me préoccupe.

D’autre part, penser pouvoir financer un tel projet par le biais de l’impôt auto, relève aussi pour moi d’une certaine candeur car c’est pratiquement de 500 francs par an et par voiture privée qu’il faudrait l’augmenter!

Taxer les 4×4 n’apporterait une manne que provisoirement, même si c’est un projet qui doit aboutir pour d’autres raisons environnementales évidentes.

Des économies induites
qui compensent largement
la dépense!

En fait, je persiste à croire que la principale économie, et donc la principale source de financement indirect, serait le report de charges du domaine de la santé publique et du domaine des aménagements et constructions vers le financement de cette gratuité. Et, là, je reste convaincu que le solde de la balance peut être positif, à défaut d’être précisément quantifiable.

Nous sommes face à un choix de société et je considère que la position en faveur de la gratuité est cohérente avec nos engagements verts et programmatique en matière de mobilité, programme qui prônait tour à tour «une nouvelle politique des transports», «l’éco-mobilité» et «de fortes mesures d’incitation à l’usage des transports en commun».

Alain MARQUET*

 

* Conseiller municipal vert en ville de Genève et rédacteur en chef de http://www.lautrinfo.org est l’auteur d’une motion déposée avec la signature conjointe de Michèle Kunzler(députée) en novembre 2000 et demandant d’étudier la possibilité de rendre gratuit l’accès aux tronçons de lignes de tram Rive-Plainpalais et Cornavin-Place de Neuve. Cette demande transmise au Conseil Administratif par une majorité du Conseil municipal avait été déclinée par le Conseil administratif au motif du coût.