Finances vaudoises: le cri du nanti que l'on égratigne

Finances vaudoises: le cri du nanti que l’on égratigne

On dit que Brigitte Bardot va s’en mêler, pour cause de traitements cruels. Le pape lui-même, malgré sa santé défaillante, aurait promis son aide. Les millionnaires vaudois sont en effet menacés de payer, exceptionnellement, quelques menues contributions supplémentaires. Référendum et campagne scandalisée du patronat et de la droite dure sur le thème de l’étranglement fiscal. Appel pontifiant à la raison et au nécessaire prix à payer pour la paix sociale au centre-gauche. Mine ravie de la social-démocratie qui endosse le rôle d’un Robin des Bois gouvernemental, qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Fêterait-on Carnaval au pays de Vinet?

Le canton de Vaud semble en effet saisi par la lutte des classes pour 45 millions de rentrées fiscales supplémentaires. Soit 0,54% de la dette du canton (8,3 milliards) ou encore 0,72% des revenus budgétés de l’Etat en 2005 (6,2 milliards). Des peanuts, aurait dit Jimmy Carter. L’enjeu n’est donc pas fiscal ou économique, mais bien symbolique et politique. Chaque parti tente ainsi de remporter une victoire emblématique de son orientation politique, dans la perspective des élections communales (2006) et cantonales (2007).

Les décrets «scélérats»

Ce sont quatre décrets fiscaux qui ont été attaqués par référendum. Le premier augmente de 5% l’impôt sur la fortune, soit 7 francs annuels pour une fortune déclarée de plus de 100000 francs ou 2524 francs annuels pour 10 millions de fortune. Rappelons que le canton de Vaud accueille sept des dix plus grandes fortunes romandes. Par hasard? La deuxième décret concerne les étrangers sans activité lucrative résidant dans le canton qui peuvent payer un impôt forfaitaire dit «de la dépense du contribuable et de sa famille». Cet impôt augmenterait de 4%, entraînant une augmentation mensuelle moyenne de 150 francs pour 1100 personnes. Le troisième décret vise les profits réalisés par les propriétaires privés d’immeubles, lors d’une vente rapide. Ces profits sont taxés d’un impôt dégressif, dont la durée de calcul a été allongée. Le dernier décret touche les gains provenant des intérêts sur les capitaux d’épargne. Ils peuvent être déduits, jusqu’à une limite maximale, de la déclaration d’impôts. Il est prévu d’abaisser cette limite.

Le référendum a été lancé par la fine fleur du patronat vaudois: C. Amstein et F. del Pero (Chambre immobilière vaudoise), H. Barde et J.-L. Strohm (Chambre vaudoise de commerce et d’industrie), J.-F. Cavin et Ph. Ramelet (Centre patronal). S’y ajoute une brochette de députés libéraux (comme Ph. Leuba) ou radicaux (comme O. Feller) qui jouent la carte de la réduction des impôts à la Bush-Reagan. Encore une fois, il s’agit moins des sommes en jeu que d’affirmer comme l’un des principes intangibles de la politique publique un refus de tout impôt supplémentaire. La réduction des ressources de l’Etat devant ainsi l’amener à se «réformer». Comme il n’est pas de bonne politique de dire ouvertement qu’il s’agit de s’en prendre au personnel de la fonction publique et aux prestations sociales, le Comité «Non à tout nouvel impôt» ferraille alors contre la technocratie et le gonflement des états-majors, bien que nombre de ses supporteurs en fasse partie.

Le «susucre» de la paix sociale

La droite n’est cependant pas homogène. Si l’UDC, appliquant avec un effort intellectuel remarqué les recettes de Friederich Hayek, rejette elle aussi les quatre décrets fiscaux, les démocrates-chrétiens (mais le pluriel s’impose tout juste) en repoussent trois, acceptant l’impôt extraordinaire sur la dépense. Le Parti radical se divise: les Jeunesses radicales rejoignent les référendaires, alors que les notables soutiennent deux décrets (sur la fortune et la dépense) et rejettent les deux autres. Les libéraux non plus ne sont pas unis. Leur Père Fouettard, le député J.-A. Haury, se prononce pour les projets gouvernementaux, au nom du maintien de la paix sociale. Un argument repris par la direction du Parti radical: «c’est au nom de la cohésion sociale que les radicaux souhaitent convaincre les Vaudois du fait que cet effort de solidarité est exigé de contribuable qui peuvent l’assumer sans en souffrir vraiment, alors que le budget 2005 a prévu de nombreuses mesures d’économie qui toucheront directement le porte-monnaie d’habitants moins bien nantis, à commencer par la réduction de la subvention à l’assurance-maladie, qui touche au moins un quart des habitants de ce canton!» (Michel Mouquin, président du groupe radical, Nouvelle revue, no 1, janvier 2005).

Dans la continuité
de l’austérité antérieure

La déclaration de M. Mouquin est doublement limpide. D’une part quant à la prétendue symétrie des sacrifices entre les différentes couches et classes sociales. D’autre part quant à la poursuite d’une politique d’austérité ayant pour cible l’équilibre budgétaire en 2007. Car ces quatre décrets ne représentent nullement une rupture d’avec la politique poursuivie jusqu’alors ou un changement de cap. Depuis les cadeaux fiscaux aux plus aisés des années 80 et 90 (2,5 milliards de ressources publiques en moins) en passant par les suppressions d’emplois dans la fonction publique, les ponctions sur les salaires, la baisse des prestations sociales, la dégradation de l’enseignement, comme celle de la santé, le bilan est plus que parlant. Et ça continue: les résidents des EMS sont dans le collimateur et le budget 2005 est un des plus austères de ces dernières années.

La situation politique de départ est une aubaine pour le PS. Avec les Verts, le PS apparaît à la fois comme le parti le plus fidèle au gouvernement et comme le pourfendeur résolu des inégalités sociales. Ah, s’il y avait plus de sociaux-démocrates au gouvernement (suivez mon regard électoral…) qu’est-ce que la justice sociale se porterait mieux!

A nous de lui rappeler – avec toute l’humilité requise lorsque l’on s’adresse à un parti dont le magistrat vedette a réussi le tour de force de rouvrir douze (oui: douze!) lits au CHUV –, que lorsque les besoins sociaux explosent, le soutien résolu à la politique de «compression de l’Etat» revendiquée par Anne-Catherine Lyon, conseillère d’Etat socialiste, n’est rien d’autre qu’un refus de répondre à cette demande sociale. Quant, de 1985 à 2003, le nombre des personnes à l’aide sociale passe de 9873 à 21791 et que durant la même période celui des personnes recevant des subsides pour l’assurance maladie bondit de 46710 à 149861, nul besoin de doctorat en mathématiques pour comprendre les effets de cette politique de «compression». Voter quatre fois oui aux décrets fiscaux du gouvernement ne saurait exonérer les piliers de la collaboration gouvernementale de leurs responsabilités, écrasantes dans la situation actuelle.

Daniel SÜRI