Aliments sans OGM, OUI… pour un moratoire indispensable

Aliments sans OGM, OUI… pour un moratoire indispensable

Nous publions ci-dessous un entretien avec Valentina Hemmeler, agronome et future secrétaire syndicale à Uniterre, concernant l’initiative pour des aliments sans OGM qui est soumise au vote populaire le 27 novembre.

Peux-tu nous rappeler les raisons de cette initiative et ce qu’elle prévoit?

L’initiative institue un moratoire de cinq ans pendant lesquels la culture de plantes génétiquement modifiées ou l’utilisation d’animaux génétiquement modifiés dans l’agriculture seraient interdites. Elle s’applique aux domaines agricole, horticole et forestier. Ni recherche scientifique, ni médicaments ne sont concernés, contrairement à ce que certains des opposants tentent de faire croire. Notre pays a une loi sur le génie génétique relativement bien faite (Genlex), mais, – pour le moment, – il lui manque tout le dispositif indispensable d’ordonnances d’application. Par exemple, en matière de coexistence des cultures OGM/NON OGM l’ordonnance vient seulement d’être mise en consultation par le Conseil fédéral.… Au cours des débats parlementaires, plusieurs des votes serrés ont écarté l’idée d’un moratoire. Celui-ci a donc été repris sous forme d’une initiative qui a rallié une très large coalition d’organisations paysannes, de défense de l’environnement et de défense des consommateurs-trices… Elle s’appuie, du côté des consommateurs, sur une écrasante majorité de ceux-ci, qui ne veulent pas d’OGM dans leurs aliments, sur des paysans qui ne voient pas ce que les OGM pourraient apporter à l’agriculture de ce pays, au contraire, et sur un principe élémentaire de précaution qui veut qu’on se donne le temps d’étudier cette question, de mettre au point le dispositif légal prévu, etc. Il n’y a aucune espèce d’urgence en la matière si ce n’est celle que veut imposer un lobby constitué de multinationales du genre Monsanto et Sygenta qui défendent leurs intérêts économiques et commerciaux particuliers discutables.

Avec quels arguments?

Ils présentent les OGM comme un outil décisif pour régler le problème de la faim dans le monde. C’est une imposture comme l’était celle de promoteurs du nucléaire qui prétendaient il y a quelques dizaines d’années répondre une fois pour toute aux besoins en énergie de l’humanité… Depuis, on a eu Tchernobyl et une dépendance, accrue et dramatique face aux énergies fossiles comme le pétrole… Ce n’est pas les OGM qui vont permettre de sauver les petits paysans du Sud ou contribuer à l’autosuffisance alimentaire dans ces pays. Les produits promus par ces multinationales posent des problèmes aigus, par exemple la promotion d’OGM qui résistent à un herbicide donné, produit vendu par la même firme et qui tue toutes les autres plantes. Outre l’aspect d’emprise de plus en plus totale des firmes en question sur l’agriculture, qui est déjà éthiquement discutable, cela pose des problèmes écologiques graves avec le développement de résistances liées à l’utilisation systématique de l’herbicide concerné. D’autres OGM diffusent un insecticide, qui lui aussi à terme induira le développement de résistances problématiques…

Ce genre de problèmes montrent que ça vaut la peine d’avoir un moratoire qui donne le temps et le recul pour évaluer sérieusement ces nouvelles techniques, on y verra plus clair dans cinq ans…Les académiciens suisses, dans un communiqué du 2 novembre, affirment qu’il «faut absolument améliorer les connaissances sur les conséquences à long terme du recours aux OGM dans des systèmes complexes, naturels ou agricoles» .

Le moratoire de cinq ans est-il suffisant?

C’est mieux que rien… ou pour formuler la chose positivement, c’est un bon début. Cela donne en tous cas le temps de renforcer la législation sur le contrôle des OGM, que soient mises au point les ordonnances d’application nécessaires, mais aussi de voir si ça ne vaut pas la peine de renoncer aux OGM…. En effet, en Suisse le contrôle des OGM est particulièrement problématique au vu de la structure foncière du pays, avec nos petites parcelles. On n’est pas aux USA avec des exploitations de milliers d’hectares. Il y a des problèmes sérieux pour protéger les voisins contre la contamination.

A ce sujet deux études contradictoires ont été publiées, la station fédérale de recherche en agriculture à Reckenholz minimise le risques de contamination en se basant sur une « pollution » admise de 0.9%… Par contre l’Institut de recherches en agriculture biologique à Frick affirme qu’il y a des risques réels… Cette divergence provient des critères utilisés. Si on part du 0.1 % de pollution OGM qu’autorisent les labels bios ou ceux liés à l’agriculture intégrée, on est face à un vrai casse-tête, qui plaide au minimum pour le moratoire.

A part ça, sur ce thème, si les OGM sont autorisés, on va au devant d’un risque de renchérissement de produits sans OGM, la charge de la «preuve» risquant bien, comme trop souvent, d’être en bonne partie aux dépens de ceux qui veulent promouvoir ces produits, alors que ce sont les utilisateurs des OGM qui auront induit ces coûts.

Quels autres arguments utilisent encore
les opposants à l’initiative et qui sont-ils?

Ils martèlent que ce serait une mesure qui freinerait la recherche. Un signal négatif pour les chercheurs, étudiant-e-s, etc. Au contraire: le moratoire représenterait une ouverture du champ de la recherche, pas seulement sur les OGM, mais en ce qui concerne d’autres techniques alternatives… Concernant les OGM, les recherches resteront par ailleurs parfaitement possibles dans le cadre de ce qu’autorise la Genlex, dans des milieux confinés et à certaines conditions strictes en plein champ.

Les adversaires de l’initiative sont des multinationales comme Sygenta, qui ont mobilisé le secteur pharmaceutique contre l’initiative, en créant un flou en reparlant de la médecine qui n’a rien à voir… ils ont constitué un lobby avec tout le secteur de l’agrobusiness. Un porte-parole, dont ils se sont assurés les services est le conseiller national PDC valaisan Christophe Darbellay qui, après avoir plaidé pour la qualité des produits du terroir, les AOC, etc. défend l’inverse en embouchant les thèses des multinationales. Une partie de chercheurs suit ce lobby, mais pas tous!

A part ça, on nous ressert aussi les arguments traditionnels qu’on a entendus dans d’autres domaines: les partisans de l’initiative seraient des conservateurs, des neinsagers indécrottables, des opposants au «progrès» etc. Les OGM bien contrôlés représenteraient un risque zéro… En particulier, ils cherchent à établir une équivalence entre OGM et pratiques «traditionnelles» de croisement des plantes. Or, en faisant passer des gènes entre plantes ou d’un animal à une plante il y a un saut qualitatif qu’il ne faut pas minimiser. C’est une barrière naturelle qu’on rompt… avec des risques qui doivent être évalués.

Quant à l’issue du vote, es-tu confiante?

Oui… J’espère qu’elle va aboutir. Cela nous donnera 5 ans à exploiter pour un renforcement de la législation existante, mais aussi pour renforcer le camp de ceux qui pensent que la Suisse pourrait se profiler sur les produits complètement exempts d’OGM, cela représenterait une chance au niveau du marché intérieur, mais aussi de l’exportation pour certaines spécialités, fromages, etc. Aujourd’hui les OGM ne présentent aucun intérêt réel pour l’agriculture suisse, on peut continuer de manière traditionnelle… et dans 5 ans la prolongation du moratoire sera aussi une option.

Entretien réalisé par Pierre VANEK