Il faut distinguer chômeurs et sans-emplois

Il faut distinguer chômeurs et sans-emplois

En Suisse, la cause est entendue: les chiffres du chômage sont ceux du seco, le Secrétariat d’Etat à l’économie, dirigé par Jean-Daniel Gerber qui exerça auparavant ses grands talents d’humaniste à la tête de l’Office fédéral des réfugiés.

Tous les mois, le seco tient conférence de presse et avance ses chiffres, repris tels quels dans les médias. La perception de l’ampleur du chômage est ainsi façonnée mois après mois par les statisticiens du Secrétariat d’Etat. Qui prennent soin de mentionner que leurs données ne prennent en compte que les personnes inscrites auprès des Offices régionaux de placement (ORP).

Ce que ne saisit pas immédiatement le lecteur-trice ou le téléspectateur-trice non averti, c’est la sous-estimation systématique de la réalité du chômage en Suisse qu’implique cette restriction. Non seulement les personnes en fin de droits ne font pas partie des chômeurs et chômeuses ainsi recensés, mais aussi et surtout les seul-e-s inscrit-e-s aux ORP sont loin de représenter l’ensemble de la population sans emploi en Suisse.

Petite différence
et grosse conséquence

Ainsi en septembre, le seco dénombre 142728 chômeurs et chômeuses. Au même moment (deuxième trimestre 2005), l’enquête suisse, annuelle, sur la population active (ESPA) de l’Office fédéral de la statistique établit que 78000 sans-emploi n’étaient pas enregistrés auprès d’un ORP. Plus de 40% de ce que la statistique appelle des «chômeurs selon les normes internationales» échappent donc aux doctes considérations du seco!

Connaissant le fonctionnement sélectif du marché du travail helvétique, on ne s’étonnera pas de trouver nombre de jeunes et de femmes sans emploi parmi ceux et celles qui renoncent à s’enregistrer auprès d’un ORP. Les jeunes sans-emploi de 15 à 24 ans sont 58% à ne pas être inscrits et les femmes sont 49% (contre 34% chez les hommes).

Les traces du temps
partiel contraint

La même ESPA indique que 388000 personnes à temps partiel désireraient relever leur taux d’occupation, soit 9,3% de la population active. Cela signifie que pour ces gens-là, le travail à temps partiel n’est pas ce prétendu libre choix de la qualité de vie tant vanté, mais bien une option forcée. Un peu plus d’un tiers de ces salarié-e-s choisiraient carrément un plein temps et un cinquième au moins 20 heures (!) de plus d’occupation par semaine. Ce dernier chiffre est l’indice, parmi d’autres, d’un sous-emploi important parmi les salarié-e-s.

L’Office fédéral de la statistique (OFS) estime que les sans-emploi et les personnes en sous-emploi représenteraient 13,8% de la population active du pays. On est assez loin du petit 3,6% de chômage du seco… Ce besoin d’emplois mis en évidence par l’OFS correspond à 263000 postes à plein temps. Sur ce total, 150000 emplois sont imputables au chômage proprement dit et 113000 au sous-emploi.

Voilà des chiffres qui mettent crûment en lumière la pertinence des propositions couchepinesques d’augmentation de l’âge de la retraite. Et soulignent en retour leur fonction politique: il ne s’agit pas de résoudre la crise, il s’agit d’en transférer le coût sur les salarié-e-s.

Daniel SÜRI