Tirer toutes les leçons…de notre échec électoral!

Tirer toutes les leçons…de notre échec électoral!

Nous publions ici une contribution de Rémy Pagani au débat ouvert dans notre dernier numéro suite aux élections au Grand Conseil genevois du 9 octobre…

Dans le dernier journal, un article nous a proposé un bilan de la campagne électorale qui s’achève sans faire, à aucun moment, allusion à l’échec de notre mouvement. Or, comment peut-on affirmer que tous les autres portent une responsabilité dans cette débâcle, à savoir: le renforcement de l’extrême droite, les Indépendants, le PdT, le Conseil d’Etat – qui n’a pas présenté le budget 2006 avant ces élections – sans reconnaître formellement notre échec et donc notre part de responsabilité, si infime soit-elle?

Or un fait demeure incontournable: le 9 octobre 2005, solidaritéS n’a pas atteint le quorum. Ainsi, la stratégie mise en œuvre par notre mouvement s’est soldée par une défaite. A quelques voix près (exactement 250 personnes qui n’ont pas pris notre bulletin ou 25000 qui n’ont pas rajouté sur la liste de leur choix un-e candidat-e de notre mouvement), cela a suffi pour passer d’une victoire possible, à une défaite.

solidaritéS à 9%: un leurre!

En tentant de comprendre les raisons de cet échec, on constate que c’était un leurre d’avoir imaginé que solidaritéS pouvait, seul, engranger 9% de suffrages et, plus encore, que l’AdG dans son ensemble pouvait aller au-delà de 15 %. Les scores de 17 à 28% (sur le Canton et en Ville de Genève respectivement) que l’ADG a connu dans le passé étaient largement dus aux orientations des dirigeant-e-s du Parti Socialiste s’éloignant des valeurs de résistances au néolibéralisme et donc à un repli temporaire d’une fraction critique de l’électorat socialiste dans les rangs de nos électeurs-trices. Cet effet fut encore renforcé par le départ de Christian Grobet du PS en 1993. En conséquence, on ne peut considérer que l’ouverture de la liste large qu’a présentée l’ADG à son origine soit l’aspect principal du dépassement important du socle d’électeurs-trices de 15% qui nous soutient. Or ces quatre dernières années, face à une droite arrogante et à notre présence parlementaire, le PS a été contraint d’adopter une posture de résistance, ainsi lors de cette élection, son électorat critique n’allait pas le lâcher une nouvelle fois, à moins que ce soit sa fraction de droite blairiste. Et c’est bien ce qui s’est passé, plus de 900 personnes du parti socialiste ont voté au centre pour les Verts (voir Tribune de Genève, enquête parue le 15-16 octobre 2005). Ces considérations nous imposent de comprendre, et surtout de confirmer, que seul-e-s, même avec une plus grande ouverture de notre mouvement à d’autres forces, nous n’arriverons pas à construire dans la durée un pôle de résistance à la gauche du PS.

Des alliés respectables ou représentatifs

Dès lors qu’on parle d’alliance à la gauche du Parti Socialiste, il ne peut, à priori, être question de dicter leurs orientations à nos allié-e-s potentiels. La question la plus fondamentale, lorsqu’on reconnaît la nécessité d’une coalition, c’est de savoir si tous les alliés représentent les intérêts d’une catégorie sociale. C’est à ce titre que les alliances prennent toute leur dimension.

Personne ne peut nier que le Parti du Travail représente encore aujourd’hui, peu ou prou, la classe ouvrière au sens où elle existait à Genève du temps des grands regroupements industriels, classe sociale (suisse et immigrée) qui subsiste de manière fragmentée dans les petites et moyennes entreprises actuelles. De même, les Indépendants représentent une fraction de la petite bourgeoisie qui se reconnaît dans des valeurs de justice sociale, de défense du service public et, surtout, de défense de l’Etat redistributeur. De son côté, la formation des Communistes a regroupé environ un millier de personnes dont il faut évaluer l’ancrage social. Ainsi, le type d’alliance que nous devons reconstruire ne pourra pas se faire sans les Indépendants, le Parti du Travail et, si possible, les Communistes, comme représentants et défenseurs des intérêts des catégories sociales populaires, situées à la gauche du PS.

Nous sommes contraints à cette alliance

Que cela nous plaise ou non, l’échec que nous venons de subir nous oblige à constater que, seul-e-s, nous ne parviendrons pas à construire et à pérenniser un pôle nécessaire de résistance à la gauche du PS, y compris lors des élections municipales et fédérales de 2007. En effet, si nous nous représentons divisés lors d’une prochaine élection, nous serons à nouveau battus. Plus encore, si nous voulons éviter les effets aléatoires et déplorables des votes de protestations pour des formations populistes et douteuses, nous ne pouvons plus nous permettre ce pari, stupide en politique, du quitte ou double. C’est pourquoi, il nous faut redéfinir un cadre qui prenne en compte le nouveau rapport de forces au sein de l’Alliance de Gauche à savoir une égalité de force entre le PdT et les Indépendant, alors que solidaritéS représente, à lui seul, la même force que les deux autres composantes réunies et devient donc, à l’évidence, le pôle le plus important de l’ADG. C’est à ce titre de nouveau «poids lourd» qu’incombe à solidaritéS la responsabilité de proposer une Alliance de Gauche refondée. Et c’est à ce stade que nous allons rencontrer les plus grandes difficultés.

Désigner les coupables

Dès la création de l’Alliance de Gauche en 1993, solidaritéS a dû prendre, à contrecœur peut-être, le train électoral du PdT et de Grobet qui allait démarrer. Et nous avons traîné cette obligation jusqu’à ce jour, sans toujours en reconnaître les aspects positifs, notamment celui de voir durant 12 ans, le PdT et la social-démocratie conséquente (les Indépendants) adopter un profil plus à gauche en rejoignant, sur bien des sujets, les positions de solidaritéS. Il est facile, après s’être séparé de nos allié-e-s le temps d’une campagne de votation (le 25 septembre, bilatérale II) et d’une campagne électorale (élection du Grand Conseil) de stigmatiser leurs positions politiques divergentes, comme si nous ne les reconnaissions pas dans leur histoire respective.

De même, nous ne pourrons indéfiniment nous réconforter dans l’idée que c’est Christian Grobet et les Indépendants qui sont les principaux responsables de l’échec de cette campagne. C’est effectivement les Indépendants qui ont refusé l’accord que nous avions construit avec le PdT, soit la présentation de 12 candidat-e-s du PdT, 12 des Indépendants, 12 pour solidaritéS, plus x personnalités acceptées par les trois composantes. Le PdT devant être aussi blâmé pour n’avoir pas concrétisé ce compromis en faisant jouer les statuts de l’ADG, ce qui aurait permis à la majorité (PdT, Sol) d’imposer ce compromis à la composante minoritaire.

Et notre responsabilité

Nous avons pourtant une part de responsabilité dans cet échec, dans la mesure où une majorité d’entre nous n’a pas reconnu que, nous renforçant électoralement au fil des ans et donc nos partenaires s’affaiblissant (par exemple, les élections fédérales de 2003 nous créditaient de 5,4% des voix et le PdT de 2,4%), nous nous devions de faire de plus grandes concessions pour préserver l’unité de l’ADG. Cette responsabilité-là (partie intégrante de notre échec), nous devons tous/toutes l’assumer aujourd’hui au sein de solidaritéS, c’est une question de courage politique. Ainsi, nous aurions peut-être dû descendre nos prétentions à 3 fois 11 candidat-e-s, voire même plus bas. La concession que nous avons faite d’accepter que le nombre des candidats des Indépendants soit identique au PdT ou à solidaritéS alors que par le passé il n’en n’avait que la moitié ne suffisait pas! Avec une liste restreinte, nous nous serions privés d’une campagne large et vivante, comme notre mouvement sait les faire, mais au regard des 4 années qui sont devant nous et des difficultés que nous allons rencontrer dans la défense des intérêts des catégories sociales, suisses et immigrées, que nous devons défendre, un tel risque valait-il réellement la peine d’être pris?

Avec cet échec, nous perdons non seulement une tribune par la présence des représentant-e-s des luttes de la base dans un espace politique parlementaire, mais aussi la possibilité d’inscrire dans la loi donc dans la durée les conquêtes sociales, par exemple, les 16 semaines de l’assurance maternité, la présence des milieux populaires dans des habitations du centre ville grâce à la LDTR etc., mais aussi la possibilité de ce que d’aucuns – à droite – ont appelé la «satellisation» du PS et des Verts et qu’on pourrait plus rationnellement qualifier d’obligation de résistance de ces partis du fait de notre «surveillance» parlementaire. Dans la situation actuelle d’attaque généralisée des conditions de travail et de vie des classes ouvrière et populaire, et par conséquent, de la majorité des habitant-e-s de la région, cette défaite est extrêmement grave pour toutes et tous.

En conclusion, il faut donc que chacun et chacune d’entre nous examine froidement ce que nous avons perdu et ce que nous avons gagné en pratiquant cette stratégie politique erronée et ce que nous gagnerons à reconstruire une unité nécessaire et indispensable, avec des partenaires incontournables. Il en va de notre responsabilité et de notre crédibilité auprès des personnes qui partagent nos combats et nos idéaux.

Rémy PAGANI