Équilibrisme budgétaire et besoins sociaux au rencart

Équilibrisme budgétaire et besoins sociaux au rencart

Lors de sa session de mi-décembre, le Grand Conseil genevois a suspendu le projet de budget 2006 et voté la reconduction, pour six mois, des «douzièmes provisionnels», soit des montants figurant au budget de l’an dernier. Le Conseil d’Etat nouvellement élu reviendra devant le parlement fin mars avec de nouvelles propositions…

Rappelons que le budget 2006 ainsi «suspendu», déposé illégalement par l’ancien Conseil d’Etat après les élections cantonales d’octobre, alors quil devait l’être en septembre, représentait une attaque en règle contre les prestations sociales genevoises et contre le secteur public: chômeurs-euses, handicapé-e-s, retraité-e-s et assuré-e-s maladie… Les fonctionnaires, en matière tant de salaires que d’effectifs, étaient également appelés à «passer à la caisse» comme jamais au nom du redressement des finances cantonales par les chemins de l’austérité antisociale.

Ce budget 2006 représentait un clair «refus d’obtempérer» du gouvernement face au NON sec adressé par la population genevoise au Conseil d’Etat, le 24 avril dernier, en votation référendaire. Les électrices et les électeurs avaient repoussé une série de mesures antisociales que tentait d’imposer la droite.

La recette?
Pas de nouvelles recettes…

Or aujourd’hui – avec une majorité de droite renforcée au parlement– ce même budget est suspendu. On le doit bien sûr au nouveau Conseil d’Etat à majorité PS-Verts, et en particulier au nouveau chef des finances cantonales, le vert David Hiler, et à l’«état de grâce» bienveillant que lui accorde la droite.

A quel prix cette bienveillance a-t-elle été obtenue et où mène-t-elle? Le premier acte s’est passé lors du «Discours de Saint-Pierre» le 5 décembre, lors duquel le nouveau Conseil d’Etat a pris position en affirmant qu’«à la logique des besoins s’oppose celle des moyens» et qu’il n’entendait pas proposer de «hausses d’impôts» tant qu’il n’aurait pas «fait aboutir la réorganisation de l’Etat.» Cette déclaration d’un Conseil d’Etat à majorité «de gauche» présente à la droite genevoise une «absolution générale» pour le demi-milliard par an environ de trou dans le budget de l’Etat, que celle-ci a creusé par ses cadeaux fiscaux successifs aux riches au cours de ces dernières années et qui est la cause première de la crise des finances publiques genevoises.

Elle représente en particulier le désaveu d’une proposition politique que les élu-e-s verts et du PS – majoritaires au gouvernement – devraient soutenir, celle de nos deux initiatives fiscales cantonales, soutenues officiellement par l’ensemble de la gauche, des verts et des syndicats, portant l’une sur un retour en arrière pour les très hauts revenus sur la baisse d’impôts de 12% que les libéraux avaient réussi à faire passer (les réductions d’impôts pour le 86% des contribuables étant maintenues) et l’autre instituant une contribution de solidarité pour les grandes fortunes dont le nombre et le volume croit sans cesse à Genève. Or le Conseil d’Etat, dans les mois qui viennent doit rendre un rapport prenant position sur ces initiatives, qui rapporteraient de l’ordre de 250 millions de francs de recettes. Il s’est ainsi, d’ores et déjà implicitement engagé à les combattre, alors qu’elles auraient pu et dû lui servir de point d’appui pour ses nouvelles propositions budgétaires.

Réalisme politique
ou écran de fumée?

On dira que le Conseil d’Etat a privilégié le «réalisme» politique. Vraiment? Examinons les pistes qu’il propose… Le 12 décembre, dans Le Temps , le Conseiller d’Etat vert Robert Cramer s’explique: « Il faut trouver des majorités dans ce parlement à majorité de droite. Et convaincre aussi la forte opposition extraparlementaire de soutenir notre action, sinon on ira à l’échec.» Ceci tout en déplorant «qu’au cours de la dernière législature ce sont les discours partisans qui ont mené à l’échec des projets d’économies… » Et en effet, ce sont nos discours «partisans» et nos combats référendaires, auxquels son parti s’est associé, qui ont conduit au refus devant le peuple des propositions de coupes antisociales de la droite. Aujourd’hui, nous continuerons à animer la «forte opposition extraparlementaire» en question – dans la rue et dans les urnes – et l’idée de nous voir soutenir «les projets» d’une majorité du Grand Conseil actuel relève du rêve éveillé.

Efficience sans conscience… de classe

Le vert David Hiler – nouveau responsable cantonal des finances – partage et propage ce rêve consensuel. « Notre proposition, c’est de n’appliquer que des mesures acceptées par tous ici et qui ne sont pas susceptibles d’être refusées devant le peuple. » dira-t-il dans la Tribune du 17 décembre. Par quoi se traduit ce «refus» du recours «devant le peuple», par le refus de mener bataille en faveur des recettes nouvelles proposées par nos initiatives bien sûr, mais aussi par un discours qui égrène des généralités gestionnaires « Le but essentiel est de retrouver l’efficience », il y aurait à l’Etat un « gisement de productivité pour un montant de 300 millions de francs », il faut lutter contre la fraude fiscale… trouver « une nouvelle manière de rémunérer les fonctionnaires »… mais sans « compter là-dessus pour faire des économies. » Mais il faudra « à un certain stade prendre des mesures qui font mal .» Et ainsi de suite…

La caractéristique essentielle de ce discours est de tenter de gommer les contradictions réelles qui traversent la société genevoise. Des intérêts divergents s’affrontent, ceux des chômeurs-euses et des banquiers ne sont pas identiques, ceux des locataires et des propriétaires s’opposent, ceux des travailleurs-euses et des patrons sont en conflit… La droite et la gauche ne sont pas des inventions d’idéologues, mais l’expression d’oppositions réelles. La résolution concrète de ces contradictions à un moment donné dépend d’un rapport de forces social en présence. Or, à vouloir escamoter cette réalité – comme s’y emploie avec énergie le duo vert qui donne le ton au Conseil d’Etat genevois – on sert, qu’on le veuille ou non, les intérêts des dominants.

Pierre VANEK