Evo Morales président: renforcer la mobilisation

Evo Morales président: renforcer la mobilisation

L’élection d’Evo Morales à la présidence de la Bolivie par 51% des suffrages exprimés constitue un événement historique. Il traduit avant tout le renforcement des mouvements sociaux et de la gauche indigène dans leur résistance au néolibéralisme, ce nouvel avatar du colonialisme. En effet, un tel résultat aurait été inconcevable sans les énormes mobilisations de ces dernières années, contre la privatisation de l’eau, pour la nationalisation des hydrocarbures et pour la défense des producteurs de feuilles de coca.

Dirigeant du MAS (Movimiento al socialismo), Evo Morales est aujourd’hui le seul président indigène de toute l’Amérique «latine». Il défend clairement une politique économique souveraine et s’est engagé à convoquer une Assemblée Constituante pour l’extension des droits populaires. « L’ampleur de notre victoire nous a surpris nous-mêmes. Je suis ému, et je remercie tous les mouvements sociaux, ceux qui ont lutté pour récupérer nos ressources naturelles, ceux qui se sont battus pour nos droits, ceux qui ont lutté pour changer le cours de l’histoire en Bolivie », telles ont été ses premières paroles.

En attendant, si un tel résultat était définitivement confirmé, le MAS pourrait théoriquement gouverner seul, sans compromis avec la droite. Jorge Tuto Quiroga, le candidat du regroupement libéral «Pouvoir Démocratique et Social» (PODEMOS) n’a en effet recueilli que 31% des suffrages, celui de l’Union Nationale (centre-droite), Samuel Doria Medina, 8%, enfin, celui du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR), Michiaki Nagatani, considéré comme responsable des massacres de la «guerre du gaz» d’octobre 2003, 7%. Le camp néolibéral conserve cependant une majorité à la Chambre des députés et au Sénat, qui lui permettra de mettre le gouvernement en difficulté.

Le véritable espoir de l’exécutif réside dans le maintien et le renforcement de la mobilisation populaire, qui implique la satisfaction d’un certain nombre de ses revendications. Par exemple, l’arrêt immédiat de la privatisation des entreprises publiques et la nationalisation des hydrocarbures constituent des objectifs essentiels, de même que la convocation effective de l’Assemblée Constituante, en août prochain. La défense intransigeante des droits des indigènes, contre les discriminations et le racisme d’Etat, hérité de la colonisation, constitue aussi une priorité.

A l’échelle continentale, la victoire d’Evo Morales renforce le projet d’Alternative Bolivarienne des Amériques (ALBA), que Hugo Chavez oppose à l’ALCA, mais qui ne regroupe pour l’instant que le Venezuela et Cuba. L’impérialisme états-unien a immédiatement réagi en affirmant, par la voix d’Otto Reich, ex-représentant personnel de G. W. Bush pour l’Hémisphère Occidentale et consultant de plusieurs multinationales US en Amérique latine, qu’il attendait que le nouveau président ne mette pas en pratique ses engagements électoraux, au risque de se voir privé de l’«aide» des Etats-Unis…

Il y a un peu plus de cent cinquante ans, en 1848 déjà, Isidoro Belzú avait été porté à la présidence de la Bolivie par un soulèvement des artisans, ruinés par le libre-échange. Fils d’une mère indigène et d’un père immigré d’origine arabe, adepte de Jean-Jacques Rousseau, de Charles Fourier et de Pierre-Joseph Proudhon, il s’était lancé dans un programme social audacieux: taxation des profits des mines, hausse des droits de douane, arrêt de la spoliation des communautés indigènes, éducation populaire, etc.

« Je suis comme vous, disait-il, pauvre et sans nom, fils déshérité du peuple. Pour cela, les nobles et les riches me haïssent… Mais je saurai les punir comme il se doit en leur saisissant les fortunes avec lesquelles ils me font la guerre pour les répartir entre vous ». L’Empire britannique avait rapidement mis la Bolivie au banc des nations en rompant ses relations diplomatiques avec elle. Après un coup d’Etat militaire ourdi par l’oligarchie, Belzú avait cependant été réinstallé au pouvoir par la rue, en 1863, avant de mourir assassiné… Une expérience largement oubliée, dont il importe aujourd’hui de tirer tous les enseignements…

Aujourd’hui, la victoire d’Evo Morales peut favoriser un changement profond en Bolivie et en Amérique latine, pour autant que le nouveau gouvernement s’engage sans attendre sur la voie des revendications populaires en favorisant la mobilisation et l’organisation autonomes des mouvements sociaux. Come le montre l’exemple du Venezuela, beaucoup de choses sont possibles! C’est pourquoi, les forces progressistes du monde entier doivent soutenir toute initiative dans ce sens et dénoncer les entreprises de sabotage que les Etats-Unis et l’Union Européenne ne manqueront pas de développer pour défendre les intérêts de leurs multinationales.

Jean BATOU