Licencier en Suisse: simple et pas cher!

Licencier en Suisse: simple et pas cher!

La révolte sociale en France contre l’extension de la précarité, dont le contrat de première embauche (CPE) est l’illustration, éclaire d’une lumière particulièrement blafarde la réalité des droits des salarié-e-s en Suisse en matière de licenciement. Force est de constater que ces droits sont d’une extrême minceur et que la précarité constitue la règle, pas seulement pour les jeunes!

Liberté contractuelle et égalité des parties

Le droit du travail en matière de résiliation du contrat, selon le Code des obligations (CO), est fondé sur deux présupposés, à savoir qu’employeurs et employés sont libres de nouer des relations de travail et que les parties au contrat de travail sont sur pied d’égalité. Le droit du travail fait ainsi totalement abstraction du rapport structurellement inégal entre les parties au contrat et consacre la liberté de licencier, dès lors que le droit à une réintégration d’un-e employé-e licencié n’est pas ouvert. Le juge ne pourra qu’accorder ou non des indemnités liées au caractère abusif des motifs de licenciement, indemnités qui ne dépasseront pas l’équivalent de six mois de salaire au mieux. En matière de licenciements collectifs, les droits sont réduits à une portion encore plus congrue, puisque la procédure d’information et de consultation des salarié-e-s ou de leurs représentants ne débouche sur aucune possibilité réelle de contrecarrer les décisions patronales et qu’il n’existe aucune obligation pour l’employeur de mettre sur pied un plan social. Si cette procédure n’est pas respectée, les salarié-e-s concernés pourront au mieux obtenir l’équivalent de deux mois de salaire.

Aucune obligation de motiver le congé

Après avoir travaillé 10 ou 12 ans dans la même entreprise, vous pouvez être licencié-e avec un délai de trois mois. De surcroît votre employeur peut, en toute mauvaise foi, indiquer que votre congé est lié à une dégradation de vos prestations de travail ou à votre incompétence! Rappelons qu’un contrat de travail de durée indéterminée débute par un temps d’essai d’une durée d’un mois. Ce temps d’essai peut être prolongé jusqu’à trois mois au maximum. Pendant le temps d’essai, l’employeur et l’employé peuvent résilier le contrat moyennant un délai de congé de sept jours. Après le temps d’essai, ce contrat peut être résilié moyennant un délai de congé d’un mois pendant la 1ère année de service, de deux mois de la 2e à la 9e année de service et de trois mois ultérieurement. La résiliation est valable même si aucun motif du congé n’est précisé ou si le motif indiqué ne constitue pas le motif véritable! Si l’employeur refuse de communiquer ses motifs, les rapports de travail prennent tout de même fin, au terme du délai de congé. II n’y a ainsi aucune sanction au refus de l’employeur de communiquer ses motifs. La seule sanction éventuelle est celle qui pourrait faire suite au dépôt par l’employé-e d’une demande en justice se fondant sur l’existence d’un licenciement pour motif abusif.

Prouver le caractère abusif de son licenciement

C’est au salarié-e qui invoque le caractère abusif de son congé de prouver que le motif en est effectivement abusif et que c’est ce motif qui est à l’origine de la rupture des rapports de travail. Un chemin de croix, car l’employeur va bien entendu se garder d’écrire noir sur blanc, ou d’énoncer devant témoin, un motif qui pourrait être sanctionné par une obligation de verser une indemnité. Un congé est abusif au sens de la loi notamment lorsqu’il s’agit d’un congé de représailles. La travailleuse ou le travailleur ou est licencié parce qu’il ou elle a fait valoir de bonne foi des prétentions découlant de son contrat de travail, par exemple une augmentation de salaire ou le paiement du 13e salaire. Un licenciement est également abusif lorsqu’il a pour objectif d’empêcher la naissance de prétentions juridiques résultant du contrat de travail. II s’agit de prétentions qui naîtraient dans un avenir proche si les rapports de travail n’étaient pas rompus, une gratification, une prime d’ancienneté, une augmentation du droit aux vacances par exemple. Autre motif abusif d’une résiliation, celui lié à l’appartenance à une organisation syndicale ou motivé par l’exercice d’une activité syndicale dans l’entreprise ou alors un congé notifié à un employé pendant la durée de son mandat au sein d’une commission d’entreprise. Celui ou celle qui entend invoquer le caractère abusif du congé reçu doit, dans tous les cas, faire opposition à son licenciement auprès de l’employeur par écrit, dans le délai de congé, et saisir la justice dans les six mois à compter de la fin de son contrat.

Le CPE existe déjà pour tout le monde!

Un constat s’impose, ni le Conseil fédéral ni économiesuisse n’ont besoin de réformer le droit du travail pour introduire plus de flexibilité. La Suisse est déjà un paradis en matière de droit de licencier pour les employeurs: après des années de «bons et loyaux services», le ou la salarié-e peut être mise à la porte sans aucune difficulté, comme on jette un kleenex après usage. La Suisse n’est pas seulement le pays des banques ou du chocolat, mais aussi celui du travailleur et de la travailleuse jetable!

Jean-Michel DOLIVO