Hongrie: main basse sur l’héritage desconseils ouvriers

Hongrie: main basse sur l’héritage des
conseils ouvriers


Depuis le 18 septembre,
plusieurs manifestations importantes se sont
déroulées à Budapest. Elles
résultent d’un aveu du premier ministre
social-libéral Ferenc Gyursány (lors
d’une séance interne de son parti), selon lequel
il avait sciemment trompé les électeurs sur la
situation du pays. Or, ces propos (enregistrés à
l’insu de leur auteur) ont été transmis
aux médias et suscitent le mécontentement
populaire. Le parti de droite FIDESZ et
l’extrême-droite utilisent l’absence
d’une alternative de gauche au social-libéralisme
pour instrumentaliser les protestations. Et à
l’approche du 50e anniversaire de la révolution
d’octobre 1956, la droite compare les
événements d’hier et
d’aujourd’hui. Signe des temps:
l’histoire du demi-siècle
écoulé dans les anciens «pays
socialistes» est (re)lue selon le schéma
d’une «lutte anticommuniste
prolongée», ayant triomphé en
1989-1991. Pour rétablir les faits, nous avons
résumé un article, extrait du site www.sinpermiso.info

La droite criant aujourd’hui dans les rues de Budapest
«56! 56!» fait preuve d’une
mémoire très sélective. Il y eut
d’autres dates symboliques avant 1956: par exemple 1919,
lorsque les travailleurs hongrois tentèrent d’en
finir avec l’oppression et la guerre (la Hongrie ayant
été notamment l’un des champs de
bataille de la Grande Guerre de 14-18). Sans oublier le
régime militaro-fasciste de l’amiral Horthy, qui
ouvrit des camps de concentration pour les
«communistes» bien avant Hitler, s’allia
au régime nazi et jeta la Hongrie dans une autre guerre.
Lorsqu’après 1945 les communistes
(appuyés sur les baïonnettes de
l’Armée rouge) prirent le pouvoir, il
n’y eut pas de protestation contre la nationalisation des
industries et des banques, ou contre la réforme agraire.1 Le
socialisme ne fut jamais un problème. S’il y avait
à cette époque peu de socialisme et beaucoup de
police, aujourd’hui il n’y a pas davantage de
socialisme. Ferenc Gyursány est de gauche par rapport
à la droite, mais il doit mentir car il ne peut pas
appliquer son programme électoral. Punir le mensonge
mènerait Bush, Berlusconi et Aznar à
Guantanamo…

1956, l’Octobre hongrois des Conseils ouvriers

(…) Le 23 octobre 1956, 155’000 manifestants
défilaient à Budapest «en
solidarité avec nos frères et sœurs de
Pologne».2 Les plus audacieux, en se rendant à la
station de radio, s’arrêtèrent pour
détruire une énorme statue de Staline. Le
«petit père des peuples»
était à terre et, dès lors, le nombre
des «croyants» déclina vite. Mais la
station de radio était surveillée par
l’AVO, la police de sécurité
haïe. Sans sommation, certains membres de l’AVO
mitraillèrent la foule pacifique. Les morts se
comptèrent par dizaines, et dès lors
l’AVO devint la principale cible des résistants.

La révolution hongroise avait commencé: les
travailleurs occupèrent les usines; des milliers
d’armes furent distribués par camion au centre de
Budapest. Les conseils ouvriers (une résurgence de 1919)
s’organisèrent dans toutes les entreprises, en
exigeant la fin du contrôle bureaucratique. Une partie des
policiers et des soldats s’unirent au peuple. Le lendemain,
les insurgés contrôlaient la majorité
de Budapest, et la grève générale se
développa dans toute la Hongrie. Rejetant les gouvernants
staliniens3, le peuple soutenait les opposants au stalinisme, comme
Imre Nagy.4 Khrouchtchev montra alors les limites de son
«réformisme» en envoyant les tanks
russes, une intervention qui rencontra une farouche
résistance.

(…) Dès le premier jour, les stations de radio
libérées affirmaient qu’il
n’était pas question de revenir à la
situation de 1945 ou de remettre en cause le socialisme. Dans le cours
de la grève générale, les conseils
commencèrent à se fédérer
et en à peine une semaine ils établirent leur
pouvoir. Le gouvernement prosoviétique cessa
d’exister5 et les troupes russes quittèrent la
Hongrie le 30 octobre.

La révolution semblait avoir triomphé, mais les
tanks n’avaient reculé que pour revenir, le 4
novembre 1956. 15 divisions russes (avec 6000 tanks)
s’abattirent sur le peuple hongrois. Toutes les villes furent
bombardées. A Budapest, les quartiers ouvriers
résistèrent durant 10 jours, avant de
déposer les armes. L’intervention russe installa
un nouveau gouvernement, dirigé par Janos Kadar
(ex-secrétaire du MDP, emprisonné de 1951
à 1955).

A notre époque, où le
«ministère de la
vérité»
néolibéral tente d’imposer son histoire
officielle, il vaut la peine de connaître la
vérité. Crier «56!»
n’a de sens qu’en combinant liberté et
socialisme et en remettant les travailleurs et leurs Conseils au centre
des événements.


Pepe GUTÍERREZ-ÁLVAREZ



Ancien militant de la LCR espagnole, historien du mouvement ouvrier,
l’un des animateurs de la «Fundació
Andreu Nin» (www.fundanin.org/)



(Résumé & trad.: H.P. Renk)


  1. Sauf la hiérarchie
    catholique, qui s’opposa aussi à la proclamation
    de la République et à la
    sécularisation de l’enseignement
  2. En Pologne, l’ex-prisonnier
    politique et secrétaire du POUP Gomulka venait de revenir au
    pouvoir.
  3. De 1945 à
    l’été 1956, le Parti des travailleurs
    hongrois (MDP) –parti unique depuis 1948 –
    était dirigé par Mathias Rakosi, «le
    meilleur disciple hongrois de Staline», responsable des
    procès truqués des années 1950.
  4. Membre du PC hongrois depuis 1919, Imre
    Nagy s’exila en URSS dans les années 1930.
    Ministre de la réforme agraire après la guerre,
    il s’opposa – tel Nicolas Boukharine, en URSS
    – à la collectivisation forcée de
    l’agriculture.
  5. Le gouvernement Nagy, fin octobre,
    regroupait le PC rénové, les partis
    social-démocrate et paysan.