Chili: mort d’un assassin

Chili: mort d’un assassin

Le général Pinochet est
mort dans son lit, impuni, le 11 décembre 2006. Son coup
d’Etat du 11 septembre 1973 avait permis aux USA et à la
bourgeoisie chilienne d’en finir avec le gouvernement de
l’Unité populaire, au pouvoir depuis septembre 1970. Ce
putsch avait une double fonction: signifier qu’aucune
révolution ne serait tolérée en Amérique
latine (même par la «voie pacifique») et qu’en
Europe, de futurs gouvernements de gauche subiraient les mêmes
manœuvres déstabilisatrices. Le message fut reçu
cinq sur cinq en Italie: le dirigeant du Parti communiste italien,
Enrico Berlinguer, «découvrit» la
nécessité du «compromis historique» avec la
démocratie-chrétienne, quelques semaines après la
mort de Salvador Allende. Comme l’explique l’article
ci-dessous, Pinochet transforma le Chili en premier laboratoire
néolibéral. Pleuré par la baronne Margaret
Thatcher, le gorille défunt mérite bien
l’épitaphe «A Augusto Pinochet, le capitalisme
reconnaissant». (H.-P. Renk)

Nous trouvons dans son héritage les clés pour comprendre
la situation actuelle du Chili. En appliquant le projet
néolibéral avec plus de 25 ans d’avance sur
Margaret Thatcher et Ronald Reagan, la dictature de Pinochet a
plongé dans la misère de larges couches de la population.
En 1990, après sa défaite au plébiscite de 1988,
lorsqu’il cède le pouvoir à Patricio Aylwin, 45 %
de la population chilienne vivait dans des conditions
misérables. Aujourd’hui, même s’il est vrai
que la pauvreté dite «extrême» a
reculé, le Chili est un des pays où le fossé entre
les plus pauvres et les plus riches est le plus important. La
protection des travailleurs face aux pouvoirs économiques est la
plus faible qui soit parce que c’est encore le Code du travail de
1980 qui est en vigueur. Les multinationales du cuivre, de la
pêche, du bois, pillent les principales richesses naturelles du
pays en vertu de son «ouverture économique»
tellement encensée pendant que l’éducation et la
santé subissent un «tsunami»
néolibéral.

Torturer les marxistes

Même si certains de leurs privilèges ont été
abolis par des réformes constitutionnelles, les forces
armées continuent de s’approprier 10% des
bénéfices de la vente du cuivre (la grande richesse du
pays) et conservent une considérable capacité
d’intervention sur la scène politique nationale. A ce
jour, les militaires n’ont pas reconnu leurs graves
responsabilités dans la destruction de la démocratie (le
11 septembre 1973) et le massacre du mouvement populaire qui soutenait
le gouvernement constitutionnel du président Salvador Allende:
«ils n’ont pas conscience
des crimes qu’ils ont commis; ils croient que ces assassinats
étaient nécessaires, que ça faisait partie de la
guerre pour la civilisation contre le marxisme qui était le mal
» (Tomás Moulian).

La dictature de Pinochet a été un des chapitres les plus
sombres de l’histoire du XXe siècle. Elle a détruit
un processus prometteur de changement social démocratique,
refondé le pays à partir de dogmes
néolibéraux et, avec une cruauté extrême,
massacré des milliers de personnes, en institutionnalisant la
torture. Pinochet déclarait, le 13 novembre 1974, aux
évêques Fernando Ariztía et Helmut Frenz, se
référant au prêtre espagnol Antonio Llidó,
arrêté par la police secrète, la DINA le 1er
octobre et porté disparu trois semaines plus tard:
«Celui-là, ce n’est pas un prêtre, c’est
un marxiste et les marxistes il faut les torturer pour qu’ils
parlent. La torture est nécessaire pour en finir avec le
communisme».

Parcourir la géographie de la mémoire, au Chili, impose
au moins deux visites inévitables. Tout d’abord, à
l’impressionnant monument élevé au cimetière
général de Santiago à la mémoire des 3197
personnes officiellement assassinées par la dictature ou
disparues, avec au centre le nom de Salvador Allende; puis à la
Villa Grimaldi dont le seul nom condense toute l’indicible
horreur de la dictature de Pinochet, là où 5000
«prisonniers de guerre», de la guerre que le tyran
s’était inventée, furent atrocement torturés
et où on ne trouva plus trace d’au moins 226 d’entre
eux, disparus, probablement jetés dans l’océan,
depuis des hélicoptères militaires, par des agents de la
DINA.

Alejandra Holzapfel, militante du Mouvement de la gauche
révolutionnaire (MIR), violée et torturée dans la
Villa Grimaldi alors qu’elle avait 19 ans, et par la suite
outragée par des chiens dans un autre centre de détention
de la DINA, affirme (dans ce qui se veut une métaphore du sort
du peuple chilien) avoir pu reconstruire sa vie:
«Aujourd’hui, nous qui avons été
humiliés et violentés, nous sommes sains et nous avons
une vie et une famille normales et nous avons des enfants et des
petits-enfants et nous travaillons. En ce qui me concerne, je ne perds
pas l’espérance et je crois que le jour viendra où
nous construirons une société plus juste, plus solidaire
et pleine d’amour».

Ce témoignage et la lutte de la gauche chilienne pour construire
une solution de rechange socialiste au modèle
néolibéral constituent l’authentique défaite
historique de Pinochet et de son héritage.

Mario AMORÒS

(extraits de l’article Pinochet: épitaphe pour un tyran, www.legrandsoir.info)

Nos démocrates bourgeois et le coup d’Etat

Le philosophe libéral Raymond Aron écrivait alors dans le Figaro: «L’armée
chilienne n’intervient pas pour empêcher les progrès
du socialisme, mais pour prévenir la guerre civile
» et le ministre français de la Défense, Robert Guénat, déclarait: «L’armée est le dernier rempart de la société libérale avancée».