Qu’il advienne ce qui n’a jamais été

Qu’il advienne ce qui n’a jamais été



Ce bilan de la crise argentine a été rédigé dans les derniers jours du mois de mars. Il fait le point sur trois mois de mobilisations populaires sans précédent, depuis les journées insurrectionnelles des 19-20 décembre.



Eduardo Lucita*



Lorsque des transformations profondes se développent dans la société et, fondamentalement, dans les têtes et dans les consciences des gens, on a alors coutume de dire que «l’extraordinaire devient quotidien».



Quelque chose de très profond s’est brisé en Argentine, suite à un quart de siècle interminable, dans lequel le terrorisme d’Etat, d’abord, puis le chantage à l’inflation et la diabolisation du secteur public, ont placé le marché et l’argent comme valeurs suprêmes.



Les citoyens, mis dans une situation difficile par cette logique du capital, dans sa phase néolibérale, s’étaient réfugiés dans l’individualisme et la consommation, dans leurs problématiques personnelles, dans leurs avatars quotidiens. Prisonniers de la routine de leurs existences, de leurs gestes et de leurs actes, ils semblaient vivre dans une sorte de présent permanent, indépendamment de tout passé et de l’expérience sociale qui l’accompagne. Ces mêmes citoyens ont soudainement réoccupé le centre de la scène politique en brisant la routine quotidienne.



Une situation exceptionnelle



Nous sommes les protagonistes et les témoins d’une situation exceptionnelle dans l’Argentine de ces dernières semaines. Les évènements qui se sont déroulés, et se déroulent encore aujourd’hui, avec une rapidité vertigineuse, sont le propre des grandes crises et des moments inégalables qui restent dans l’histoire. Cette situation exceptionnelle se fraie un chemin par les sillons qu’elle a elle-même tracés: de la récession à la dépression, de l’improvisation économique au chaos politique.



Cette réalité exceptionnelle est aussi bien la conséquence de la profondeur et des résultats de la crise économique, sociale et politique, de ses interrelations avec la crise mondiale et de ses traits spécifiques, propres à notre formation sociale historique, que de la dynamique que le mouvement social est en train d’imposer.



Cette dynamique n’a aucun précédent dans le pays, de par sa durée dans le temps, son extension géographique, de même que par les sujets sociaux impliqués, les formes et contenus des débats, et l’organisation qui en découle.



La chute d’un régime



Les événements des 19, 20 et 28 décembre passé conservent des caractéristiques inédites, par leur aspect de masse, par l’esprit de décision révélé dans l’affrontement avec le régime et ses institutions, ainsi que par la potentialité sociale mise en évidence. A leurs débuts, ils sont apparus comme des exercices de résistance soutenus, incluant la violence collective; en se développant, ils ont permis de questionner le pouvoir de commandement et de «maintien de l’ordre» de l’Etat.



Pour la première fois dans notre histoire, un gouvernement élu démocratiquement n’est pas tombé à cause d’un coup d’Etat, mais grâce à l’action directe des masses populaires. A mesure qu’on revendiquait la souveraineté populaire, on mettait en pratique la révocabilité des mandats, avant d’expulser le nouveau gouvernement. Même si ce gouvernement n’a duré que quelques jours seulement, il aurait pu avoir la légalité formelle d’un régime – élu par une Assemblée Législative truquée et contrôlée par le Parti Justicialiste [péroniste]. Cependant, il manquait totalement de légitimité.



Ce ne sont pas seulement les gouvernements qui sont tombés, c’est aussi un régime de démocratie représentative, ses institutions et ses acteurs. Tout cela a été refusé et qualifié d’illégitime.



Depuis les 19-20 décembre…



Les évènements des 19 et 20 décembre sont un point d’infléchissement synthétisant et projetant toute l’expérience de lutte accumulée par des années d’affrontements. Ce point de rupture a aussi permis l’installation d’une nouvelle situation politique, dont les paramètres essentiels sont la profondeur de la crise de la bourgeoisie – son manque d’orientation et son instabilité politique, de même que la dynamique de la mobilisation, de l’énergie sociale libérée, que les faits ont précipitée, et qui se recrée en permanence.



Quatre aspects se sont combinés pour donner lieu à cette situation générale:



  1. La continuité de la crise économique, qui se maintient et s’approfondit depuis plusieurs années, est maintenant soumise à une forte pression impérialiste qui se renouvelle constamment. Cette dernière provient aussi bien des organismes financiers, que de l’administration républicaine du Président Bush, qui a une vision beaucoup plus interne des problèmes internationaux et qui a isolé le pays en cherchant à éviter l’expansion de la crise aux autres pays d’Amérique Latine. Cependant plus de 90 jours après la déclaration de cessation de paiement, cette administration n’a apporté aucune aide de type pratique au pays.

  2. L’installation d’une nouvelle dynamique sociale, avec des caractéristiques «assembléistes» et l’exercice de la démocratie directe, qui comprend la constitution d’organismes de débat et de délibération pluralistes, profondément démocratiques, avec une permanence dans le temps, qui préfigurent des organes potentiels de pouvoir populaire.

  3. La déroute du régime politique de la démocratie bourgeoise, le discrédit engendré par toute forme d’institutionnalisation et de représentation traditionnelles, qui a frappé tous les grands partis du système.

  4. L’augmentation relative, mais durable dans le temps, de l’influence sociale de la gauche. Cela se manifeste par la réception de ses propositions, par son implantation sociale et par la croissance de la militance, précédées par des avancées significatives sur le plan électoral.


Il est nécessaire de caractériser le moment et la période qui débute – cette réflexion ne peut être que provisoire étant donné la rapidité des évènements en cours. Dans cette réflexion, les vieilles catégories et les vieux modèles peuvent servir de points de référence, mais ils ne peuvent pas nécessairement nous permettre d’interpréter de façon exacte la nouvelle situation argentine.



Redistribution des richesses vers le haut



Même si le modèle néo-libéral s’est implanté depuis un peu plus d’un quart de siècle, la décennie des années 1990 a été déterminante pour cette avancée irrésistible en transformant et en polarisant fortement notre société.



L’intense rivalité au sein des classes dominantes pour l’appropriation de la richesse sociale, comme caractéristique de toute la période antérieure, se termine en 1991. Le Plan de conversion [1 peso = 1 dollar] parvint à discipliner les différentes fractions de la bourgeoisie et rend aussi possible un programme commun sous l’hégémonie du capital financier. Le centre de gravité de ce programme, autour duquel s’ordonne le bloc des classes dominantes, repose sur un ensemble de politiques concrètes: fixation du taux de change, déréglementation des marchés, abaissement des barrières douanières et para-douanières, réforme de l’Etat. Cependant, la politique de privatisation, qui implique un énorme transfert du patrimoine social accumulé durant des décennies, du secteur public au capital privé, constitue l’axe de ce programme.



Pendant ce temps, l’offensive généralisée et soutenue du capital contre le travail – sans aucune solution de continuité depuis 1975 – aboutit dans cette période, imposant un rapport de forces absolument défavorable aux classes dominées.



Cette évolution a été accompagnée par une sorte d’alliance politique des «riches et des pauvres», qui légitimait le régime et fondait un consensus nécessaire pour la politique et la culture dominantes de l’époque.



A la fin d’une décennie de restructuration productive, la désindustrialisation, la réforme de l’Etat, de même que la nouvelle position internationale du pays, ont conduit à de très hauts niveaux de chômage et d’exclusion sociale, une profonde chute structurelle des salaires et des niveaux de pauvreté inconnus jusque-là.


Les luttes sociales reprennent



La logique du modèle implanté impliquait l’accumulation des capitaux selon un mécanisme de valorisation financière, générant de continuels excédents, qui s’expatriaient à l’étranger. Comme contrepartie, ce modèle nécessitait un accès permanent au marché international des capitaux et engendrait, en parallèle, un constant endettement public, absolument nécessaire afin de soutenir la dynamique du modèle1.



Au milieu de l’année 1995 le modèle a commencé à montrer quelques signes d’affaiblissement et de perte d’efficacité dans la poursuite des transformations régressives de la société. L’épuisement de la politique de privatisation et les difficultés, chaque fois plus grandes, pour accéder aux marchés internationaux des crédits ont joué un rôle déterminant, laissant apparaître un début de fracture dans le bloc des classes dominantes. En contrepartie, la lutte des classes s’est réanimée et a connu une poussée importante au début de l’année 1996, avec le «Santiagazo» et l’apparition, au milieu de cette année, du mouvement «piquetero» dans la Cutral-Co et la Plaza Huincul.



Le courbe des conflits a débuté ainsi par une lente mais persistante récupération. Cependant, sans oublier les conflits syndicaux traditionnels – y compris les grèves générales – il faut préciser que d’autres acteurs ont porté le poids de la protestation sociale: les chômeurs/euses, les formations territoriales, les organismes de solidarité, etc. La combinaison de vieilles et nouvelles formes de lutte et d’organisation est ainsi étroitement liée aux changements dans les bases matérielles de la société2.


Crise d’hégémonie de la bourgeoisie



Le renouveau de la crise d’hégémonie s’est exprimé fortement dans le gouvernement de l’«Alianza» qui, en très peu de mois, a dû changer trois fois de ministre de l’économie – représentant chacun une tendance différente du modèle néo-libéral. Cette crise reste totalement ouverte actuellement, tandis que les disputes entre les différentes fractions du capital ont atteint une telle virulence, qu’elles ont même affaibli de façon extrême le gouvernement De la Rua. Elle exerce actuellement de fortes pressions sur le gouvernement actuel, dont elle conditionne l’action, pressions qui sont à l’origine de ses inconsistances, de ses louvoiements de ses difficultés à donner une claire orientation au pays.


C’est au cours de cette dispute interne à la bourgeoisie pour l’appropriation de la richesse sociale, marquée par la tentative d’une fraction de celle-ci de devenir hégémonique et d’imposer sa sortie de la crise, que le mouvement social est intervenu avec ses propres forces.



C’est le cumul de cette situation sociale insoutenable, combinée à une forte pression impérialiste et aux conflits intérieurs du grand capital, qui a précipité la révolte populaire des 19 et 20 décembre, continuant le 28, et qui a provoqué la chute de deux gouvernements3.


Ras-le-bol et auto-organisation



Ras le bol, devant une situation économique désespérée. Méfiance devant les partis et les institutions de la démocratie représentative. Maturité dans la compréhension qu’il faut résoudre ses propres problèmes de ses propres mains. Auto-organisation. Ces traits ont initié une nouvelle dynamique sociale. Ils exprimaient le vécu et les expériences accumulées durant une décennie.



Le gouvernement s’est montré impuissant à faire face à la crise et, pour pouvoir continuer à payer le service de la dette externe, il a recouru à l’immobilisation des dépôts bancaires, à la confiscation partielle des salaires des travailleurs/euses et à une bancarisation forcée. Il a poursuivi son oeuvre en brisant la chaîne des paiements, en faisant disparaître la monnaie – l’équivalent général des marchandises – du marché et en paralysant pratiquement toutes les activités commerciales et financières4.



La réponse sociale ne s’est pas fait attendre. Depuis les quartiers et les régions où les taux de chômage et de pauvreté extrême sont les plus élevés, des milliers et des milliers d’exclu-e-s de la production et de la consommation ont entouré les grandes chaînes de supermarchés en exigeant de la nourriture, et là où on ne la leur donnait pas, ils l’ont prise par eux-mêmes. Des grands magasins d’articles domestiques ont été aussi expropriés par la foule, qui avait elle-même été exploitée durant des décennies. Des actions de vandalismes, propres à des situations où l’action sociale est débordée par elle-même, ont été perpétrées contre des petits magasins, provoquées par des secteurs de la droite la plus réactionnaire.



Quand les casseroles rentrent en scène



La proclamation de l’état de siège et un discours du président de la nation, aussi arrogant que vide de contenu, a alors précipité la réaction des travailleurs/euses et des classes moyennes. Cette réaction a été massive dans la capitale fédérale et dans la banlieue de Buenos Aires, mais elle a eu aussi un retentissement national.



En faisant tinter leurs casseroles, d’abord sur le seuil de leur maison, avec un enthousiasme modéré, dans les principales rues des villes, ensuite aux principaux carrefours, puis en marchant sur les grandes avenues, une multitude d’hommes et de femmes, de travailleurs/euses, de chefs/fes de famille, étudiant-e-s, retraité-e-s, salarié-e-s qualifiés, petits entrepreneurs – la citoyenneté même – a convergé vers la Plaza de Mayo, plus qu’emblématique (peut-être entre 60 à 80000 personnes, dans la nuit du 19 au 20 décembre).



Des dizaines de milliers de personnes ont alors exigé la démission du ministre de l’économie, puis celle du Président ensuite et, finalement, ils ont lancé: «Que se vayan todos, que no que ni uno solo» (Qu’ils s’en aillent tous, qu’il n’en reste plus un seul!), en désignant clairement les institutions et les personnes qui les composaient.



Les sièges de nombreuses banques et entreprises multinationales, les caisses automatiques, les maisons de nombreux responsables politiques, ont été et continuent d’être les cibles de l’angoisse et de la rage de la foule, dénotant une attitude plus que symbolique de la part des manifestant-e-s.



Ces actions se sont répétées le 28, jusqu’à provoquer l’expulsion du nouveau gouvernement «élu», en dépit du rejet populaire et de son absence de programme bourgeois consistant, grâce à un maquignonnage dans les sommets du parti justicialiste.



Un mouvement spontané?



Beaucoup d’analyses de ces révoltes ont insisté, et même quelquefois se sont uniquement concentrées, sur le caractère spontané des évènements des 19 et 20 décembre passés, de par la forme de l’irruption du mouvement social et de par l’autonomie même dont il a su faire preuve. D’autres points de vue, au contraire, ont mis l’accent sur l’absence d’un «facteur» conscient, devant le manque d’une organisation et d’une direction du mouvement.



Quelle qu’en soit la forme, la vieille opposition entre «spontané» et «conscient» est de nouveau mise au goût du jour, mais cette fois dans le cadre d’évènements sans précédent dans l’histoire du pays, en tant que produit d’une combinaison extraordinaire et inédite entre crise sociale et politique prolongée avec un large mouvement d’auto-organisation.



Cependant, plus on approfondit l’analyse, plus on peut démontrer que ces deux composantes sont présentes dans les évènements de décembre et dans le processus postérieur. Il est indéniable que la spontanéité a joué un rôle, étant donné la forme originale de la révolte, son auto-convocation, le fait que l’on n’ait pas suivi de consignes pré-établies et que l’on n’ait pas répondu à des structures d’organisation préexistantes, encore moins à des directions reconnues ou à des leaders. Elle n’a pas non plus été l’expression d’une classe sociale déterminée. Mais cette action collective n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel bleu. La spontanéité est toujours relative. Les grandes crises ont la vertu d’exprimer au grand jour des contradictions et des tensions sociales sous-jacentes à une formation sociale déterminée, qui se sont accumulées quelquefois sur de longues périodes.



Le rôle de la mémoire sociale



Le «spontané» n’est donc jamais pur, il conserve toujours en son sein, même à l’état embryonnaire, des éléments du «conscient». C’est là qu’entre en jeu l’expérience accumulée, même lorsque les principaux protagonistes ne s’en rendent pas immédiatement compte5.



Une multitude de conflits sociaux, d’actions de refus de l’ordre des choses, ont accumulé un puissant potentiel de contestation durant toutes ces dernières années, qui a culminé en 2001, qui a enregistré le plus de conflits durant la décennie. Ceux-ci ne concernaient pas seulement les chômeurs/euses ou les exclu-e-s, mais aussi les travailleurs/euses6. La grève générale du 13 décembre, appelée par les trois centrales ouvrières, de par son extension et sa profondeur, représente un antécédent flagrant des évènements postérieurs.



Les élections du 14 octobre passé pour une rénovation législative ont marqué un point culminant de cette dissidence et de ce refus de l’ordre établi: en témoignent les millions d’abstentions, de votes blancs et non validés; les millions de votes perdus pour les grands partis du système et des résultats plus que significatifs pour une gauche fragmentée et dispersée7.



La Consulta Popular (la consultation populaire) organisée par un front d’organisations sociales et politiques, menée du 14 au 17 décembre, avec ses trois millions de votant-e-s, fait partie également de ce climat de refus. Une lecture adéquate de l’attitude des participant-e-s au vote aurait permis d’entrevoir que ceux/celles qui allaient déposer un bulletin dans les urnes de la rue le faisaient pour d’autres raisons que la sécurité de l’emploi et de la formation, même si la consultation avait été convoquées sur ces thèmes.



La crise de la représentativité qui, depuis des années, s’exprimait de plus en plus, fut ainsi exprimée dans toute sa dimension et se transforma en perte de légitimité du régime.



La combinaison de ces faits – augmentation des conflits sociaux, perte de légitimité du régime et exercice de la démocratie directe – s’est pleinement exprimée et nourrit le «spontané» avec du «conscient» les 19 et 20 décembre passés.



Un mouvement de classe?



Il ne fait aucun doute que les classes et leur expérience historique ont été présentes dans le mouvement, mais ce mouvement ne s’identifie avec aucune d’elles a priori. Une sorte de coupure transversale peut être observée; elle traverse les classes et les fractions de classes, un ensemble social hétérogène de travailleurs/euses et de chômeurs/euses, d’exclu-es, des secteurs moyens appauvris, des petits commerçants. Il faut également souligner un trait particulier: le protagonisme imposant des femmes et des jeunes.


C’est un fait, que la classe ouvrière comme telle a été absente, que l’attitude bizarre des trois centrales ouvrières l’a privée d’une participation organisée, et que les travailleurs/euses sont ainsi apparus disséminés et effacés dans un mouvement général beaucoup plus ample, qui est en train de constituer un sujet social avec des caractéristiques inédites. Un sujet complexe, contradictoire, avec des expressions politiques et des intérêts très variés, se constitue en une action qui se redéfinit dans la pratique concrète. Les masses en mouvement ont fait fi des organisations sociales et politiques qui sont censées les représenter; elles ont défié un Etat qui s’est montré impuissant à les discipliner et ce, malgré un coût élevé en termes de vies humaines perdues, pour lequel les responsables devraient être jugés et condamnés.



Action directe et répression



Une telle répression (35 morts, 439 blessés, 3273 détenus) ne pouvait résulter que d’un accord politique entre les grands partis du système. Ce dernier visait à empêcher, qu’à l’occasion de nouvelles offensives, la foule ne rentre par la force dans la Casa de Gobierno, avec les conséquences politiques que l’on peut imaginer. Le défi à l’état de siège, la revendication de «Nunca Más» (Jamais plus!), criée par la foule, recèle une profonde revendication démocratique et affirme l’exercice concret de la souveraineté populaire par l’action directe, rompant avec les pratiques de délégation, pilier par excellence du régime démocratique parlementaire. L’action directe et indépendante des masses a avancé ainsi en affirmant ce qu’elle ne voulait pas, ce qu’elle n’acceptait pas et rejetait, mais sans encore avoir en tête ce qu’elle voulait effectivement. Dans un processus de maturation collective, elle a tiré des conclusions, a trouvé des formes et des moyens appropriés et est arrivée à imposer la révocabilité du mandat. Mais cette conclusion reste inachevée, car elle n’a trouvé ni les moyens ni les possibilités d’imposer un nouveau modèle. Elle a ainsi laissé un vide, qui a été occupé par ceux-là même qui étaient mis en question, à de rares et honorables exceptions près, et qui se sont réunis dans l’assemblée parlementaire pour résoudre la succession présidentielle. Mais c’est précisément cette caractéristique – dénoncée avec beaucoup de force, avec l’appui d’un consensus social, par le député national du mouvement Autodeterminación y Libertad (AyL), Luis Zamora, dans les deux assemblées législatives – qui est l’une des sources de faiblesse du nouveau gouvernement.



Une crise du régime institutionnel de domination s’est déclarée, mais les travailleurs/euses et l’ensemble des classes populaires n’étaient pas en condition de disputer ce vide laissé par un pouvoir vacant.



Assemblées permanentes



Ces limitations et ces carences n’infirment aucunement le fait qu’une nouvelle situation politique se soit ouverte dans le pays. Depuis plus de trois mois, un régime d’assemblées permanentes, une sorte de «continuum délibératif» s’est installé dans le pays. Initié immédiatement dans la nuit du 20 décembre, il s’est développé, depuis son épicentre dans la Capitale Fédérale, pour s’étendre aux zones périurbaines du «Grand Buenos Aires» et aux principales villes du pays.



Les évènements de décembre ont libéré une force sociale, contenue depuis plus d’une décennie. Une fois exprimée de façon centralisée, cette force s’est fragmentée en de multiples fractions qui ont pris forme dans chacune des assemblées de quartier et, par une sorte de synergie, est retournée vers les grandes mobilisations où elle s’est concentrée et renforcée.



C’est ainsi que le mouvement a avancé dans la construction d’organes autonomes de débat et de délibération: les Assemblées Populaires, organisées par quartiers, et les Assemblées de Coordination Inter-quartiers qui, une fois dépassés les premiers moments de catharsis collective, ont dégagé progressivement une ligne politique et des propositions pour affronter la crise8.



De fait, les assemblées ont remis en question les piliers sur lesquels repose la constitution bourgeoise. Celle-ci n’admet plus que le peuple délibère et gouverne autrement qu’à travers ses représentants, que les partis politiques ne soient pas les institutions fondamentales du système démocratique, que les assemblées remettent en question l’irrévocabilité des juges ou qu’elles se prononcent sur la révocabilité des mandats, etc.9



Prérogatives des assemblées



Ces organismes de débat et de délibération donnent naissance à une coordination centralisée et constituent une véritable expérience extraparlementaire. Ils ne sont pas représentatifs, car ils ne délèguent pas et opposent une forte résistance à toute forme de délégation de la confiance des participant-e-s. Ceci, que ce soit dans l’Etat, dans les institutions ou dans les organisations sociales traditionnelles.



Les assemblées débattent de nombreuses questions que l’on pourrait regrouper en quatre catégories:



  1. Procédures d’assemblées: critères organisationnels et de sécurité, formes d’intervention dans les débats, activités concrètes de gestion et de mobilisation à entreprendre au cours de la semaine…

  2. Politique des relations: avec les autres Assemblées (coordinations entre les zones), avec l’Inter-quartiers et avec les institutions…

  3. Propositions politiques plus générales: question de la dette externe et des banques; confiscation des salaires et de l’épargne, chômage, augmentation des prix; avenir des entreprises, des services publics privatisés et leurs tarifs; pression des USA, des grandes puissances et des organisations financières internationales; rôle des moyens de communication; les politiciens et la politique…

  4. Problèmes locaux des quartiers: administration et budgets des hôpitaux publics, entreprises productives, rétablissement des services supprimés, achats communautaires, formes de solidarité au sein de la communauté de quartier…



Les accords généraux coexistent avec des sujets de tension qui apparaissent de temps en temps dans les assemblées. Par exemple, le souci du maintien d’un fonctionnement pluraliste et démocratique – exprimé par la capacité d’écouter et la volonté d’être entendu – s’accompagne de propositions d’établissement de mécanismes qui permettraient d’éviter toute tentation hégémonique des militants organisés et toute soumission a des directions autoproclamées.



L’Assemblée Inter-Quartiers



Il y a ré-appropriation des espaces publics et redéfinition des dites «affaires communes» de la société, qui s’exprime dans la façon de traiter les problèmes locaux, dont la résolution est fondamentale pour consolider le mouvement et préparer les conditions de sa transformation qualitative10. Cependant, on court le risque de mener le mouvement des assemblées vers des positions minimalistes, telles la gestion de sa propre crise, ou de le pousser à s’intégrer aux institutions qu’il dit contester. Ceux qui mettent l’accent sur l’action de quartier s’opposent aux perspectives maximalistes, qui s’exprimeraient dans la coordination Inter-Quartiers. Car, si les propositions programmatiques de l’Assemblée Inter-Quartiers sont approuvées, elle avance des objectifs qui, bien souvent, dépassent les niveaux de conscience et de compréhension existants.



L’Assemblée Inter-Quartiers est reconnue comme un espace qui permet de centraliser et d’unifier les propositions et de socialiser les expériences mais, en même temps, on veille à ce que la centralisation ne porte pas atteinte à l’autonomie des assemblées de quartier.



En dernières instance, ces sujets de tension sont déjà présents dans le mot d’ordre originel, et dans une certaine mesure fondateur, du mouvement : «Qu’ils partent tous, qu’il n’en reste plus un seul!». De temps en temps, après s’y être ralliées ensemble, elles s’interrogent sur le contenu de ce mots d’ordre et sa signification. Elles ont l’intuition qu’il est davantage que l’expression d’un refus de tout ce qui existe: les institutions et ceux qui les incarnent. Ceci n’est pas étranger à la seconde grande question: où vont les Assemblées?



La rue repense le pouvoir



La réalité est que le contenu est en cours de définition et l’avenir en cours de construction. Ce qui donne tant de vigueur à ce mot d’ordre et de continuité aux assemblées, c’est qu’il s’agit d’un processus de maturation collective qui se nourrit d’une nouvelle sociabilité dans l’unité de la diversité, dans le débat sur des propositions locales et très générales. Toute la question consiste à savoir comment les mettre en relation…



Il s’agit d’un processus de recherche commun qui ne se pose pas encore la question du pouvoir mais l’interroge, qui s’organise de façon autonome par rapport à l’Etat mais fait pression sur ses institutions, qui ne dispose pas encore d’un programme abouti mais d’un ensemble d’idées qui émergent de la réalité imposée par la crise. Ce programme est aujourd’hui dans la rue, aux carrefours et sur les places. De nombreuses propositions de la gauche qui étaient il n’y a pas si longtemps ignorées, sont aujourd’hui mises en discussion et mises en délibération.



Il s’agit d’un processus qui ne reconnaît pas de direction mais d’innombrables dirigeants potentiels. D’un processus qui est à la recherche de nouvelles formes de représentation, avec le moins de délégation possible, de nouvelles relations entre représentants et représentés (critères de rotation, mécanismes de contrôle, révocabilité).



En résumé, il s’agit de la mise en scène d’une capacité collective de penser, de décider et de faire, ceci de façon autonome et sans tutelle. Cette logique est en discussion, dès maintenant, dans les organisations politiques, sociales et syndicales.



Les Congrès des «piqueteros»



On assiste à la ré-appropriation des espaces publics et à la redéfinition des dites «affaires communes» de la société. Cependant, le mouvement doit encore affronter de nouveaux défis. Au cours des dernières années, de nombreuses luttes se sont développées en marge des structures et des méthodes traditionnelles, avec des formes embryonnaires d’auto-organisation, la pratique de la démocratie et de l’action directe; ces expériences constituent un antécédent indiscutable de ce que nous observons aujourd’hui. Mais en même temps, d’autres luttes, dirigées par les organisations syndicales non compromises avec le gouvernement, s’inscrivaient dans un processus social de convergence objective dont le trait marquant est son profond contenu démocratique.



Le point culminant de ce processus, c’est ce qu’on a appelé les «Congrès des Piqueteros». Ils sont apparus comme un modèle politique capable de centraliser et d’orienter les luttes sociales. Cependant, ce processus a été interrompu, par une fraction du mouvement piquetero qui a mis des limites à la poursuite des Congrès. C’était le cas par exemple de la CTA, la centrale syndicale alternative qui n’a pas participé aux journées de lutte et les a même critiquées, pour ensuite redonner sa confiance aux gouvernements issus de la crise en jetant ainsi par-dessus bord une décennie d’efforts de construction.



Le défi de la convergence



Cependant, la crise a favorisé la recomposition d’une fraction sociale, conduite par les caceroleros et les assemblées de quartier, vers une nouvelle sociabilité politique. Son émergence est passée par-dessus toutes les formes préexistantes d’organisation, mettant ainsi en question les discours et les pratiques qui en découlaient.



La convergence dans le cadre des nouveaux organismes de débat et de délibération du mouvement d’Assemblées Populaires avec les piqueteros et le mouvement ouvrier en tant que tel est le grand défi actuel.



Il y a eu quelques avancées dans cette direction. La marche d’une fraction de piqueteros (CCC et FTV-CTA) qui, pour la première fois, a reçu le soutien d’un public de commerçants et de citoyens tout au long de son parcours de 20 km. Le cacerolazo du vendredi 15 février, auquel a participé le «Bloc Piquetero», ainsi que, pour la première fois, un tronçon de la CTA. L’assemblée nationale des travailleurs en emploi et au chômage («Asamblea Nacional de Trabajadores Ocupados y Desocupados») des 16 et 17 février, convoquée par le «Bloc Piquetero», et auxquelles ont été invitées les représentant-e-s des Assemblées Populaires élus par les assemblées Inter-Quartiers. Cette même après-midi, une délégation de l’Assemblée Nationale s’est présentée à la Coordination Inter-Quartiers pour lui transmettre ses résolutions, apporter sa solidarité et proposer des actions communes. Finalement, l’«Assemblée Nationale des Assemblées» du 17 mars a été un bon lieu de rencontre car il a ouvert de nouvelles perspectives au processus.



Cette convergence a créé la possibilité de colmater la fissure ouverte, au cours de la dernière décennie, entre militants sociaux et politiques et de permettre au mouvement autonome et profondément démocratique de mettre des limites au sectarisme des politiques partidaires et de certaines organisations sociales. Les uns et les autres s’efforcent de mettre leurs intérêts d’auto-construction en veilleuse par rapport à la nécessité de construire le mouvement.



Pas de solution politique à court terme



L’ampleur de la crise ouverte apparaît dans le fait, qu’en deux semaines à peine, cinq présidents se sont succédés, et que plus de deux mois après l’ouverture de celle-ci, le pays ne dispose toujours pas d’orientation claire et définitive.



Ceci a eu un réel impact sur la superstructure politique nationale. Pendant ces dernières années, tous les efforts du régime visant à installer le pluralisme politique basé sur le bipartisme ont échoué, comme l’ont montré les élections d’octobre 2001. Avec la rébellion populaire de décembre, les institutions de la démocratie représentative, les partis et même les syndicats, ont été transformés en coquilles, vidées de leur contenu, ne disposant que d’une reconnaissance sociale faible, voire inexistante.



La direction bourgeoise est en crise. Les partis ont perdu toute reconnaissance, ils ne parviennent plus à exprimer les intérêts de celles/ceux qu’ils sont censés représenter et sont profondément affaiblis, quant à leur perception de la politique et de la culture dominante.



Par conséquent, les diverses fractions du capital ne parviennent pas à reconstruire un bloc capable d’imposer une sortie de crise. La classe dirigeante garde le pouvoir de contrôler l’Etat – pour preuve, l’effacement des passifs des grandes entreprises et le brutal transfert de ressources au bénéfice des grands groupes économiques – mais elle a perdu son hégémonie dans la société. Pour le dire en termes gramsciens: elle n’a de classe dominante que l’apparence.



Les économistes de l’Institut Technologique de Massachusetts (M.I.T.) ont perçu avec une grande lucidité cette situation et ses dangers pour la domination bourgeoise. Parmi eux, Dornbush et Caballero ne croient pas que le FMI puisse résoudre les problèmes du pays. Ils proposent l’intervention d’un Comité International pour administrer les politiques fiscales, monétaires et budgétaires. Cette proposition se fonde sur un diagnostic clair: «…il est impossible d’obtenir un accord national, parce que plus personne ne croit plus personne, et il qu’il n’y a pas de groupe de pouvoir qui puisse céder le gouvernail à un autre pour sortir de la crise».



Il y a donc une sorte de crise organique latente, mais il n’y a pas encore d’organisation qui parvienne à exprimer politiquement les intérêts de l’ensemble des exploités, des opprimés et des exclus par le capital. Ainsi, la crise organique ne peut être résolue.



Dangers d’une dérive autoritaire



La situation recèle d’énormes possibilités mais aussi de sérieux dangers. Le fort degré de concentration du capital entre en contradiction avec le régime démocratique – celui d’aujourd’hui, mais aussi la plus formelle des démocraties représentatives. Face au discrédit des partis et institutions du régime, apparaissent les conditions pour l’irruption de figures providentielles, bien qu’à l’instant personne ne paraisse pouvoir assurer ce rôle.



L’épuisement de l’Etat national censé assurer le bien-être traduit, entre autres, les énormes difficultés du régime pour neutraliser et intégrer les attentes des travailleurs/euses et de l’ensemble des classes opprimées. C’est cela, bien plus que les pots de vin et les prébendes, qui est à la racine de l’épuisement des institutions de la démocratie représentative et, en contrepartie, le renforcement de l’autoritarisme d’Etat et sa conversion en Etat policier si la dynamique sociale et l’ingouvernabilité devaient s’approfondir.



Cependant, la formidable mobilisation du 24 mars, à l’occasion de l’anniversaire du coup d’Etat de 1976, avec la présence massive des Assemblées, a été non seulement un devoir de mémoire par rapport à ce que cette date a représenté, mais surtout un clair avertissement de la société à l’adresse de toute tentative de recourir à une quelconque forme d’autoritarisme d’Etat.



Rôle du sentiment national populaire



D’un autre côté, au cours des années 90, l’avance impétueuse du néolibéralisme a désarticulé les formes de médiation entre la société civile et l’Etat. Ainsi, le mouvement qui ne trouve plus de canaux institutionnels, doit se radicaliser et rechercher des solutions par ses propres moyens. En son sein surgissent des tendances à conjurer les conséquences désagrégeantes du néolibéralisme, la fragmentation et l’hétérogénéisation.



C’est un fait, que chaque groupe ou fraction de classe, frappé par la crise, avance ses propres questions et revendications. Cependant, la crise qui secoue l’Argentine est d’une telle ampleur et profondeur, que le destin de la nation est en jeu. Pour la majorité des gens, plus qu’une crise économique ou politique, il s’agit d’une crise de leur avenir. Ils ne parviennent pas à concevoir un autre horizon, que l’aggravation de ce qu’ils vivent au présent: leurs conditions actuelles d’atomisation, leur appauvrissement, leur exclusion sociale et leur soumission forcée au grand capital indigène et étranger.



Dans cette notion d’absence de futur il y a l’idée que la nation même est en jeu et qu’elle ne sera plus autre chose que le peuple agissant: les exploités, les opprimés, les exclus, femmes et hommes. Voilà le fil conducteur qui permet de dépasser cette fragmentation, qui suture le tissu social et donne une orientation au mouvement.



Il est évident qu’il ne s’agit pas d’invoquer le nationalisme dans un monde globalisé où la période d’expansion des Etats-nations est terminée, mais de récupérer le concept de nation en tant que territoire commun qui appartient à la collectivité des hommes et des femmes qui l’habitent.



La situation politique créée à partir des 19 et 20 décembre passés recèle des potentialités exceptionnelles, portées par les délibérations populaires, l’autonomie sociale et l’indépendance politique d’un mouvement qui se construit. La gauche, qu’elle soit organisée ou non, sous ses diverses variantes et fractions, fait partie intégrante de ce mouvement et est la seule expression politique qui puisse apporter des idées et des propositions pour l’avenir. Tout le reste appartient au passé.



Cependant, la pratique des assemblées, la disparité des participant-e-s, l’exercice démocratique réel, constituent une nouvelle situation politique et sociale à laquelle la gauche n’est pas préparée et, dans ce sens, la participation aux assemblées implique aussi que nous en fassions l’apprentissage.



Une conséquence non négligeable de la situation actuelle, c’est l’émergence d’une nouvelle couche de jeunes militant-e-s, aux côtés de camarades d’autres époques, qui apportent leurs expériences mais qui en général refusent les structures partidaires et toute imposition de critères décidés en dehors des débats et des délibérations.



Pour la première fois depuis de nombreuses années, pointe un espoir de changement des rapports de forces sociaux et s’ouvre une situation exceptionnellement riche pour les idées et les conceptions anti-capitalistes.



Cette fois, la situation semble dépendre de nous, à condition que nous soyons capables d’apprécier les conditions nécessaires à l’épanouissement du processus en cours. Pour ce faire, nous devons comprendre l’importance d’intervenir dans le mouvement pour y apporter des idées, pour élever le niveau des débats et pour expliquer les causes de la crise. Nous devons apporter des arguments qui aident à déceler les contradictions du capitalisme et de la barbarie où il nous conduit.



Nous devons être capables de préserver l’autonomie et l’indépendance du mouvement, tout en le faisant avancer de concert vers cet objectif, attesté par ce fier graffiti peint sur les murs d’un traditionnel quartier de la Ville portuaire Autonome de Buenos Aires: «Qu’il advienne ce qui n’a jamais été!»


* A paraître dans Cuadernos del Sur, nº 32. Traduit de l’espagnol par Julie Duchatel et François Iselin.



  1. Sous la pression d’une dette publique de l’ordre de 130 milliards de dollars – l’équivalent de la totalité du PIB annuel au taux de change actuel – l’économie s’est enfoncée dans un cycle de dépression et d’effondrement, consécutif à quatre années de récession continue. Pour 2002, on s’attend, au minimum, à une nouvelle chute de 8% du PIB, à des investissements inexistants et à une inflation supérieure à 30%.

    Les effets sociaux d’une décennie de néolibéralisme ont amené le taux de chômage actuel à 23%, le sous-emploi à plus de 20%, tandis que la chute structurelle des salaires conduit 50% des salarié-e-s à gagner moins de 400 pesos par mois (160 dollars, à la parité de 2,5 pesos pour 1 dollar).

    La combinaison du chômage élevé et de l’effondrement des salaires fait que plus de 15 millions de personnes vivent au-dessous de la ligne de pauvreté (480 pesos ou 192 dollars) et que 5 millions d’entre eux sont au-dessous de la ligne d’indigence (140 pesos ou 56 dollars).

  2. N.I. Carrera, M.C. Cotarelo, A. Piva et E. Lucita, «Protesta social : viejas y nuevas formas de lucha», Cuadernos del Sur, n° 32, novembre 2001.

  3. Cette section s’inspire de la déclatration des Militants Socialistes de décembre 2001.

  4. La disparition de la monnaie en circulation et la rupture de la chaîne des paiements a eu un puissant impact sur l’économie informelle (au noir), conduisant des milliers et des milliers de personnes à perdre leurs revenus de misère, en particulier celles/ceux qui vivent de la collecte de déchets recyclables (les «cartoneros» touchent 4 pesos les 100 kg de carton). Une bonne part des pillages – expropriation d’aliments – a été suscitée par cette situation.

  5. Les agglomérations de Cutral-Co et Tartagal, qui sont à l’origine du mouvement «piquetero», avec ses assemblées massives sur les routes, avec leur réplique à La Matanza, constituent sans aucun doute un antécédent à l’essor actuel des assemblées. Plus au début de la décennie, on peut aussi identifier des antécédents dans les conflits ferroviaires des années 1990-1992. Voir «La huelga que dirigieron las bases», dans Lucita, E. (sous la dir. de), La patria en el riel, Buenos Aires, Ed. del Pensamiento Nacional, Buenos Aires, 1999.

  6. On ne dispose pas d’un décompte exact, mais, en moyenne, pour le mois de mars, on estime que dans la capitale, 77 Assemblées Populaires se sont réunies, 52 dans la périphérie, 40 dans la province de Santa Fé et 20 dans celle de Córdoba. D’autres réunions ont eu lieu dans le reste du pays, mais on en connaît pas le nombre. A Buenos Aires, les Assemblées se sont réunies hebdomadairement, et les commissions, un autre jour de la semaine, avec une participation de 80 personnes et un maximum de 120 à 150.

  7. Voir à ce sujet l’article du sénateur de l’UCR : R. Terragno «La revolución social ya tiene estatuto», quotidien Clarín, 11 février 2002

  8. La résolution des problèmes locaux peut être un apport à la réorganisation de la vie sociale et à la récupération de la culture du travail, comme l’a montré le mouvement piquetero. Il s’agit bien sûr d’une culture du travail insérée dans de nouvelles relations sociales, basée sur la solidarité, sur la coopération mutuelle et sur la reconnaissance des capacités et des besoins concrets de chacun-e.