Défendre une perspective anticapitaliste: L’enjeu des présidentielles françaises

Défendre une perspective anticapitaliste: L’enjeu des présidentielles françaises

Nous nous sommes entretenus avec
François Sabado, membre de la Direction nationale de la LCR, qui
participe avec nous aux Conférences de la gauche anticapitaliste
européenne, à propos de l’échéance
des élections présidentielles de ce printemps et des
débats qu’elle suscite depuis quelque temps au sein de la
gauche antilibérale en France. Il répond ici à nos
questions en défendant le point de vue majoritaire au sein de la
LCR. Nous donnerons aussi la parole à d’autres points de
vue dans nos prochains numéros.

Comment caractériserais-tu la situation sociale et politique
française après la victoire du NON à la
Constitution européenne, la crise des banlieues et le
succès de la mobilisation contre le Contrat première
embauche (CPE)?

La situation actuelle est assez contradictoire. D’une part, elle
s’inscrit dans le cadre d’une crise de direction politique
de la bourgeoisie à l’échelle internationale,
illustrée notamment par l’impasse spectaculaire de la
politique des néo-conservateurs états-uniens en Irak. En
Europe aussi, les politiques libérales mises en œuvre
depuis plus de 20 ans, autant par les gouvernements
sociaux-démocrates que par les partis de droite, n’ont
cessé de perdre en légitimité. Le NON
français – mais aussi hollandais – à la
Constitution reflète un mécontentement populaire
extrêmement profond, qui a pu conduire à des formes de
résistance victorieuses, dans les urnes comme dans la rue.
Cependant, cette crise de légitimité ne s’est pas
traduite jusqu’ici par le renforcement de courants de gauche
organisés au sein du mouvement syndical, voire des partis de
gauche. La LCR s’est certes renforcée, mais il n’y a
aucune commune mesure entre l’ampleur de la crise politique
actuelle et la capacité de la gauche anticapitaliste à
offrir des perspectives crédibles en termes de
débouchés politiques et organisationnels.

Dans une telle situation, penses-tu qu’une alliance
électorale de la gauche antilibérale puisse conduire
à renforcer la crédibilité d’une alternative
forte aux politiques de démantèlement social et de
régression démocratiques menées autant par les
gouvernements de droite que de «gauche»?

Tout dépend du contenu politique d’une telle alliance. Ce
que la LCR veut à tout prix éviter, c’est le
dévoiement des résistances qui se sont manifestées
sur le terrain social et politique vers de nouvelles formes de
collaboration avec la gauche sociale-libérale. En Italie, le
ballon d’oxygène offert au mouvement social par la courte
défaite de Silvio Berlusconi a été largement
plombé par la participation de Refondation Communiste (PRC), non
seulement à un front électoral, mais aussi à un
gouvernement de centre gauche, qui poursuit aujourd’hui une
politique de libéralisation économique, de
dérégulation du marché du travail et de
légitimation des opérations militaires
impérialistes en Afghanistan et au Liban… C’est
pourquoi nous avons insisté, dès le départ, pour
conditionner notre participation à une liste unitaire à
une volonté claire de rejeter toute participation
gouvernementale ou toute alliance parlementaire avec une
éventuelle majorité de gauche sociale-libérale.
Malheureusement nous n’avons pas obtenu d’engagement sur ce
point essentiel du PCF ou des partisans de José Bové, de
Clémentine Autain ou d’Yves Salesse.

Mais ne faut-il pas considérer une alliance
électorale de la gauche antilibérale comme un processus
dynamique, une sorte de front unique capable de peser sur la
recomposition d’une gauche de gauche, tout en développant
le débat politique en son sein, notamment sur la rupture que
vous exigez? La multiplication de listes séparées ne
risque-t-elle pas au contraire de nourrir l’impuissance et
l’isolement des positions que vous défendez?

Nous sommes prêts à bien des compromis dans la cadre de
fronts uniques sur le terrain des mobilisations sociales, parce
qu’elles sont une condition essentielle de tout progrès de
la conscience et de l’organisation de la grande masse des
exploité-e-s et des opprimé-e-s, qui peut seul la
conduire à rompre avec la logique du capitalisme. Mais une liste
électorale, surtout dans le cadre des institutions de la
Cinquième République – avec un Président
au-dessus de la mêlée et un Parlement élu au
scrutin majoritaire – ne peut pas éviter de se poser
centralement la question du pouvoir. C’est pourquoi il est
essentiel qu’elle refuse clairement de semer la moindre illusion
sur la possibilité d’un nouveau rassemblement de toutes
les «forces de gauche» – PS compris – en faveur
d’une politique anti-libérale. Par exemple, quel sens a la
proposition de revenir sur les privatisations votées par la
droite, à l’exclusion de celles décidées par
la gauche, que le PC est prêt à endosser
aujourd’hui? Cela revient en fait à cautionner le bilan de
la gauche plurielle, auquel le PC participait d’ailleurs, en se
contentant de réclamer une politique, à l’avenir,
moins alignée sur l’offensive capitaliste en cours.

Que penser du nouvel appel à soutenir une candidature
Bové qui circule depuis peu sur le net et auquel les
médias ont donné une large audience?

Tout d’abord, il est certain que le PCF ne retirera pas la
candidature de Marie-Georges Buffet, quelle que soit la crise que cette
décision a suscité au sein du Parti. Sans compter que
celle d’Arlette Laguiller sera elle aussi maintenue dans tous les
cas. Quel peut donc être l’enjeu réel de cet appel
de dernière heure? Une candidature unitaire anti capitaliste,
rassemblant Marie-Georges Buffet, José Bové, Arlette
Laguiller et Besancenot avait un sens. Le rassemblement des partisans
de José Bové et de la LCR sur un contenu très
proche de celui que défend le PCF, n’en a aucun. En somme,
il s’agirait de se distinguer de ce parti, non sur le
scénario mais sur le casting, pour le sanctionner d’avoir
choisi Marie-Georges Buffet. Et pour cela, nous devrions renoncer aux
positions essentielles que nous avons défendues très
clairement dès le départ… Nous avons
jusqu’ici recueilli 380 promesses de signatures de maires en
faveur de la candidature d’Olivier Besancenot; il nous en faut un
minimum de 500 confirmées. Nous ferons tout notre possible pour
y arriver, parce que nous voulons faire entendre la voix d’une
gauche antilibérale conséquente, une gauche
anti-capitaliste qui annonce clairement son refus de toute alliance
avec ceux qui font profession de foi d’accompagner
l’offensive capitaliste en cours, sous prétexte d’en
atténuer la brutalité.

Entretien realisé par Jean Batou