Ceux d'en haut et ceux d'en bas


Ceux d´en haut et ceux d´en bas


Vous est-il déjà arrivé d’être assis sur votre balcon pour écouter et regarder les roquettes tirées de la colline voisine s’écraser sur le centre local? Non, il ne s’agit pas d’un exercice de l’armée suisse, mais d’une situation critique. Tout comme les salves de mitraillette qui se répercutent quelque part dans la nuit. Et l’hélicoptère survole nos têtes pendant des heures, non pas pour apporter des blessés à l’hôpital, mais pour jeter des bombes, qui détruisent et tuent de façon ciblée.

par Birgit Althaler, de retour de Beit Jala*

Le séjour à Beit Jala est bel et bien devenu plus dangereux pour les touristes occidentaux. Car cet endroit, tout comme la proche Bethléem, est une zone A, quelques km2 d’enclaves qui encerclent la prétendue autonomie palestinienne, enclaves sur lesquelles on tire maintenant depuis les bords ou du haut du ciel. A la rigueur, on n’est désormais même plus protégé par un passeport étranger, qui jusqu’à maintenant procurait une certaine sécurité, celle d’être dans une situation privilégiée. Par exemple lors de contrôles de l’armée. Ou lorsqu’on veut se rendre dans la ville palestinienne toute proche et que les territoires occupés sont une fois de plus bouclés: pendant que les habitants locaux sont contraints, en troupeaux, à faire demi-tour aux check-points, en tant qu’étranger on peut toujours aller et venir à sa guise.


L’insécurité a augmenté, également parce que dès midi, chaque jour, on se bat près des postes de l’armée israélienne et que l’on peut alors à peine quitter la ville. Pourtant le fossé infranchissable demeure: ce qui pour moi est avant tout une situation irréelle, mais provisoire, représente pour mes ami(e)s palestinien(ne)s une vie d’insécurité permanente, parce qu’on ne sait jamais vraiment à quelles tyrannies on sera confronté le lendemain, et encore moins comment on vivra dans deux ou dix ans. Depuis des semaines, les travailleurs(euses) et artisans qui, en temps normal, travaillent en Israël ou dans les territoires ne sont pas les seuls à être immobilisés: les Palestiniens dont le lieu de travail se trouve à Ramallah, à 1/2 heure d’ici, sont eux aussi contraints à l’inactivité. Pour la population palestinienne, la menace n’est pas nouvelle, mais elle a revêtu un nouveau visage. Au moins, l’armée n’est plus présente directement dans les zones A, ses jeeps ne peuvent plus surgir à tout instant, les soldats ne peuvent plus prendre d’assaut les maisons en pleine nuit et procéder à des arrestations.

Extensions arbitraires

Les lieux de combat se sont déplacés. Le danger représenté par les colonies illégales et les routes de contournement, que tous les gouvernements n’ont cessé de construire depuis Oslo avec une détermination sans faille, ce danger devient évident. Pour répondre aux exigences israéliennes de «sécurité», les colonies et les colons sont surveillés et défendus militairement, par exemple par des tanks comme ici à Gilo, et de préférence de manière offensive, ce qui a toujours été la meilleure stratégie de défense…

Mais de plus en plus souvent, en outre, des Palestinien(ne)s sont attaqués et abattus directement par des colons, notamment lors de la récolte d’olives ou quand ils veulent se rendre dans un village voisin. L’arbitraire de la force d’occupation est connu depuis plus de trente ans. Mais qui peut s’habituer à rentrer chez soi et à se retrouver nez à nez avec d’énormes blocs de béton sur une route principale, et à ne pas savoir s’il existe quand même encore un chemin de campagne ouvert par lequel on puisse arriver à la maison? Là où autrefois les colons devaient utiliser les mêmes routes, on peut aujourd’hui, grâce aux routes de contournement construites ces dernières années, réduire de façon encore plus ciblée la liberté de mouvement des Palestinien(ne)s à son strict minimum.

Radicalisation des luttes

Malgré la tension nerveuse, la nouvelle Intifada est presque plus facile à supporter pour la population palestinienne que le calme apparent des derniers mois et années, calme qui usait petit à petit. Les gens tentent de mener leur vie au mieux dans le cadre de ce qu’on peut décrire comme une vie normale. En tout cas, la résistance active existe à nouveau, et le gouvernement israélien joue cartes sur tables et a, pour l’instant, renoncé à son hypocrite rhétorique de paix. Pour les Palestiniens il est aujourd’hui évident qu’ils ne peuvent pas attendre des accords d’Oslo une mise en oeuvre de leur droit légitime à une vie normale dans leur pays. Ils ne sont plus obligés de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Grâce à l’augmentation de la politisation, les revendications de la société palestinienne envers Israël, mais aussi envers son propre gouvernement, sont devenues plus radicales. Le but de la lutte des jeunes est très clair: la fin de l’occupation. L’armée répond à leur lutte par deux à trois morts par jour. Malgré le nombre élevé de victimes, personne ici ne souhaite un arrêt des protestations.

«Ceux d´en bas»

Là-haut sur la colline il se passe quelque chose. Depuis notre balcon nous pouvons observer l’interminable chaîne de lumières qui surplombe la colonie jusque tard dans la nuit: ce sont les colonnes de curieux qui font des rondes en voiture. La télévision est aussi mise à contribution chaque soir et retransmet depuis Gilo. Nous pouvons choisir entre le show en live sur le balcon, ou le direct à la télévision israélienne ou CNN: «Jusqu’à maintenant tout est calme ici à Beit Jala». Le tout parsemé des nouvelles du jour: des images d’enfants israéliens qui s’entraînent à se mettre à l’abri sous la table du salon quand des coups de feu éclatent. En tout cas, les habitants de Gilo sont à présent conscients du fait qu’ils ne vivent pas dans une inoffensive banlieue de Jérusalem, mais dans l’une des innombrables colonies érigées illégalement sur territoire palestinien. Les commentaires ne laissent planer aucun doute: ceux d’en bas doivent disparaître, et le plus tôt sera le mieux. Un centre de consultation psychologique pour la prise en charge des personnes traumatisées a été ouvert à Gilo. En signe de solidarité, plusieurs communes nord-israéliennes ont mis à la disposition des habitant(e)s leurs bus scolaires pare-balles, dont ils n’ont plus un besoin aussi impératif depuis le retrait de l’armée israélienne de la prétendue «zone de sécurité» au Liban.

Tir, détonation: une roquette atteint le distributeur central d’électricité de Beit Jala, toute la zone plonge dans l’obscurité pour plusieurs heures. L’ambiance est presque romantique, seules les maisons de Gilo, là-haut sur la colline, sont encore illuminées. Ce doit être un sentiment triomphant de pouvoir vivre toute la nuit dans l’illusion qu’il n’y a plus de Palestiniens là en bas, non?

* Birgit Althaler est membre de Soal/Solidarität à Bâle. Traduction Florence Gerber.