France

France : Le temps de l'indignation

La colère ne faiblit pas en France depuis la présentation d’un projet de loi (la loi El Khomri) concocté par le gouvernement pour « réformer» le code du travail (solidaritéS nº 284). 

Anthony Micallef

La pluie battante qui s’est abattue sur la France n’a pas découragé les manifestant·e·s. Ils étaient 1,2 millions (390 000 selon les autorités) à répondre à l’appel des syndicats (CGT, FO, Solidaires, FSU, CNT-SO, CNT, LAB) et des organisations de la jeunesse (UNEF, UNL, FIDL, SGL, …). D’autres journées d’action sont prévues les 5 et 9 avril.

Suite au succès des mobilisations du 9 mars, le gouvernement avait procédé à quelques modifications du texte en facilitant (un peu) moins les licenciements et en rendant indicatif le plafonnement des indemnités prudhommales en cas de licenciement abusif. Ce petit pas en arrière avait avant tout pour objectif de monnayer le soutien de certains syndicats, en particulier de la CFDT et ainsi de diviser le mouvement. Malgré ces manœuvres, le nombre de manifestant·e·s était nettement en hausse par rapport au 9 mars et les cortèges ont été une nouvelle fois rejoints par des « dissidents» de la CFDT. Car l’esprit du texte reste le même : une attaque en règle contre les protections des salarié·e·s.

Face à l’ampleur de la fronde, le gouvernement a joué la carte de la répression. Un important dispositif policier a été déployé aux abords directs des cortèges qui ont défilé à travers le pays. A la colère populaire, les autorités ont répondu à coup de gaz lacrymogènes, interpellations et matraques faisant plusieurs blessé·e·s.

Cela n’empêche pas le mouvement de s’organiser et s’enraciner aux quatre coins du pays. Les assemblées dans les lycées et les universités se sont multipliées ces dernières semaines et la participation de la jeunesse était massive le 31 mars comme lors des précédentes journées d’action. En effet, ce sont principalement les lycéen·ne·s et étudiant·e·s qui dynamisent et radicalisent la contestation depuis ses débuts. Et la jonction s’est bien opérée avec les travailleurs-euses du public comme du privé. Non seulement la journée du 31 mais aussi les semaines précédentes ont ainsi été marquées par de nombreuses grèves (poste, SNCF, Air France, EDF, certains secteurs de la fonction publique, etc).

Reste qu’il faudra probablement plus que des journées d’action et de grèves interprofessionnelles pour entraîner l’abandon du projet de loi face à un gouvernement habitué à passer au forceps. Des voix de plus en plus nombreuses appellent à la grève générale reconductible. Pour l’instant, les centrales syndicales évitent d’aller plus loin dans l’affrontement avec le gouvernement. Mais la pression combinée de leurs bases et de la jeunesse va grandissante. Le 31 mars, devant l’ampleur du mouvement, un communiqué commun de la CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FIDL a d’ailleurs souligné la détermination des participant·e·s non seulement « à obtenir le retrait du projet de loi travail» mais aussi à « conquérir de nouveaux droits sociaux». Le mouvement, qui continue de se développer et de se structurer à l’échelle nationale, doit maintenant être capable de faire émerger une véritable auto-organisation et des outils de représentation propres pour organiser une riposte à la hauteur de l’attaque.

Dans cette optique, à la suite des manifestations du 31 mars, un appel a circulé à Paris pour occuper durant la soirée et la nuit la place de la République afin de poursuivre la mobilisation. Des centaines de personnes s’y sont réunies pour discuter de la suite à donner au mouvement, de la manière de s’organiser pratiquement, de la loi El Khomri mais aussi de l’état d’urgence et des violences policières, du sexisme, de la crise environnementale, du racisme… L’importance de la « convergence des luttes» a été répétée à cette occasion. A l’aube, les CRS sont intervenus pour déloger les intrus·e·s… qui se sont donné rendez-vous les jours suivants. Le mouvement « Nuit Debout» continue, à l’heure où nous écrivons ces lignes, à rassembler des centaines voire des milliers de personnes chaque nuit, en grande majorité des jeunes.

Cette nouvelle initiative de la jeunesse témoigne encore une fois du fait que les causes du mécontentement dépassent la loi travail. C’est bien l’ensemble de la politique néolibérale de ce gouvernement (et des précédents) qui est visée.

Jean Bürgermeister