Smood

Des grèves contre l’exploitation individualisée

Deux livreurs de Smood devant une Migros
Actions devant les magasins Migros, propriétaire de Smood. Lausanne, 18 novembre 2021

Des dizaines de livreurs et livreuses de Smood sont en grève depuis le début du mois, soutenu·e·s par le syndicat Unia (voir page 6). Iels se sont d’abord levé·e·s à Yverdon, puis ont été suivi·e·s par leurs collègues de Neuchâtel. L’onde a couru jusqu’à Nyon, Martigny, Sion, et plus récemment, Montreux, Vevey, Lausanne, Fribourg et Genève. D’autres villes pourraient suivre le mouvement. Mais le choc se fait attendre. Smood dénie toute légitimité au mouvement, alors que l’entreprise est interpellée par l’un des syndicats les plus importants du pays.

Les revendications des travailleurs·euses relèvent pourtant du bon sens et, pour la plupart, de la simple application de la loi sur le travail : un salaire digne, des plannings prévus à l’avance, avec suffisamment d’heures de travail pour vivre et suffisamment d’heures de repos pour entretenir sa vie personnelle, le payement effectif des heures travaillées, mais aussi des outils de travail équitables, de la transparence sur les pourboires et la fin des pénalités pécuniaires.

Au lieu de répondre à la demande d’ouverture des négo­ciations d’Unia, Smood fait appel à des casseurs·euses de grève, incite au travail avec une prime de 30 francs et distribue des bons d’achat de 100 francs au nom du partenariat social. Pire : alors que des grévistes tiennent des piquets de grève quotidiens en personne, Smood les méprise en se cachant derrière un projet de Convention collective en cours de négociation avec Syndicom tenue secrète jusque-là.

Cette grève qui s’anime en réseau et qui est grandement portée par les travailleurs·euses-mêmes, détonne fortement avec l’individualisation du travail. La précarisation à l’ère des plateformes est un phénomène qui s’amplifie : l’emploi se transforme de plus en plus en travail sur appel ou à la tâche, soumis non pas aux règles classiques du salariat mais à une forme toujours plus décomplexée de pseudo-­auto-entreprenariat. Ce phénomène « d’uberisation » s’appuie largement sur la numérisation du travail et finit d’achever le long processus d’atomisation des travailleurs·euses, qui, mis·e·s en compétition les un·e·s contre les autres et éloigné·e·s géographiquement, peinent à s’organiser collectivement.

Smood s’était construit une respectabilité dans le domaine de la livraison en opposition à Uber Eats. Entreprise suisse fonctionnant sur l’établissement de contrats de travail, forte d’un juteux partenariat avec Migros, elle révèle aujourd’hui qu’elle profite largement du dumping social de la branche, en glissant vers la rémunération à la tâche, en ne payant pas toutes les heures de travail, en laissant la majorité des charges liées aux véhicules à ses livreurs·euses, et en faisant appel à la sous-traitance. Force est de constater que sans salaire minimum cantonal suffisant pour vivre dignement, sans davantage d’inspections qui contrôlent les heures de travail et sans régulation de la sous-traitance, les entreprises peuvent avoir le champ libre.

La lutte des grévistes de Smood est donc la nôtre. Ce rempart à l’individualisation de la précarisation du travail doit être soutenu par un mouvement large de soutien, qui ne lâche rien avant que leurs droits syndicaux soient reconnus et leurs revendications satisfaites. Pour cela, des comités de soutien locaux et cantonaux sont en train de voir le jour. Faire grève, selon les grévistes lors de la constitution du comité de soutien yverdonnois, c’est aussi lutter pour plus de justice sociale.

Rejoignons donc les piquets de grève ! 

Marlene Carvalhosa Barbosa