L'étranger, l'étrangère, de nouveaux Untermenschen?

L’étranger, l’étrangère, de nouveaux Untermenschen?

Les 27 et 28 septembre 2005, il s’est trouvé une majorité au Conseil National, formée de parlementaires radicaux, démocrates-chrétiens et UDC, pour voter deux lois qui introduisent des mesures d’exception faisant des étrangers-ères une catégorie de citoyen-ne-s qui ne bénéficieront plus de la protection des droits fondamentaux, pourtant inscrits dans la Constitution fédérale et dans de nombreux traités internationaux.
C’est en effet une véritable politique de ségrégation, en fonction de l’origine nationale, qui est mise en place avec les projets de lois sur l’asile (LAsi) et sur les étrangers (LEtr).

Ces législations s’appliqueront uniquement aux ressortissant-e-s des pays non membres de l’Union européenne (UE). Pas d’hésitation, il faudra les combattre par référendum! Deux référendums qui doivent permettre à toutes celles et ceux qui refusent ces politiques discriminatoires d’expliquer largement les raisons de leur opposition.

La contrainte par corps

En plus du prolongement de la détention administrative en vue du renvoi ou de l’expulsion qui passe de neuf à dix-huit mois, dès l’âge de 18 ans, et à neuf mois pour les mineur-e-s âgés de 15 à 18 ans, le Conseil National a introduit la détention pour insoumission, lorsqu’une décision de renvoi passée en force ne peut être exécutée en raison du comportement personnel de l’étranger-ère. L’embastillement est remis au goût du jour. Son but avoué: briser, par la prison, et dans ce cas jusqu’à vingt-quatre mois (!), la personnalité de l’étranger-ère.

Des mesures de contrainte totalement inadmissibles du point de vue des droits de la personne, en particulier celui de la garantie de la liberté personnelle. Dix-huit, voir vingt-quatre mois de détention, une peine de privation de liberté très lourde, infligée à des femmes et des hommes dont le seul «délit» est de n’avoir pas obtempéré à une décision administrative! Un chauffard qui a tué un piéton serait moins sévèrement puni… Cette nouvelle disposition est en outre contraire à l’article 5 de la Déclaration européenne des droits de l’homme!

Sans-papiers face à un mur

En supprimant le seul article de la LEtr qui fixait un maigre droit pour les sans-papiers – l’obligation pour les cantons d’examiner les demandes de régularisation individuelle déposées, dès lors que le-la travailleur-euse sans statut légal vit en Suisse depuis quatre ans et répond aux critères d’intégration professionnelle et sociale – la majorité du Conseil National les condamne à rester dans la clandestinité, soumis aux pires formes d’exploitation. Avec un cynisme sans pareil, le conseiller national libéral, Serge Beck, a osé affirmer ce qui suit dans le débat: « Mais surtout le principal obstacle à la régularisation des sans-papiers, dont le nombre est estimé dans notre pays, entre 70’000 et 300’000 est surtout l’effet d’aspiration de nouveaux migrants illégaux par la perspective d’une légalisation après 4 ans de séjour délictueux (…) C’est cependant donner des espoirs supplémentaires aux personnes qui seraient tentées de venir illégalement dans notre pays, et j’aimerais vous rappeler que les migrants illégaux qui perdent trop souvent et trop régulièrement leur vie en traversant la Méditerranée ne le font qu’en fonction d’espoirs, aussi ténus soient-ils

Ce ne sont donc pas ceux qui verrouillent les frontières, allant jusqu’à tirer sur les immigré-e-s comme à Melilla et Ceuta, les deux enclaves espagnoles au Maroc, qui seraient responsables des morts, mais bien celles et ceux qui se battent pour faire respecter un devoir d’hospitalité et une régularisation collective de celles et ceux qui sont là! Cynique raisonnement, mais surtout profondément inhumain.

Le droit d’asile réduit à néant

Une décision de non entrée en matière sur la demande d’asile sera prise pour toutes les personnes qui ne pourront présenter de papiers d’identité à la frontière helvétique. Une exigence contraire à la Convention de 1951 sur le statut de réfugié, une exigence qui heurte un sentiment de justice élémentaire: comment une personne persécutée par les autorités étatiques de son pays pourrait-elle leur demander des papiers en bonne et due forme pour en sortir?

Il n’y a du reste pas si longtemps que l’Office fédéral des réfugiés avait adopté le point de vue inverse: présenter son passeport ou un papier d’identité valable dans le cadre d’une demande d’asile était très souvent considéré comme la preuve de l’absence de persécution dans le pays d’origine! Cette nouvelle exigence posée par la LAsi dresse une barrière quasi infranchissable pour la très grande majorité des nouveaux requérant-e-s d’asile. Quant à ceux et celles qui ont vu leur demande d’asile traitée, mais refusée à l’issue de la procédure, on leur coupe les vivres: plus d’aide sociale et interdiction de travailler. Une façon de les contraindre à partir.

Droit des étrangers arbitraire

La majorité parlementaire a fait disparaître du projet de LEtr les quelques droits qu’il comprenait. Par exemple, le droit à une autorisation d’établissement après dix ans de séjour a été supprimé. Dans la même veine, le droit au regroupement familial a été réduit comme peau de chagrin: il devra être demandé dans un délai de cinq ans dès l’installation en Suisse et surtout ne concernera plus que les enfants âgés de moins de douze ans. C’est le pouvoir discrétionnaire de l’administration qui a été introduit dans la loi, voire même celui de l’officier d’état civil qui pourra refuser de célébrer un mariage s’il a le soupçon que c’est un mariage blanc.

Jean-Michel DOLIVO