Prévoyance vieillesse: des mensonges aux régressions

Prévoyance vieillesse: des mensonges aux régressions

On assiste depuis quelques années à une impressionnante accélération des remises en cause de la prévoyance vieillesse. Elle s’accompagne d’une préparation idéologique qui transforme de véritables mensonges en «vérité» dominante, à force d’être répétés et martelés par tous les médias. Le discours se résume à une idée: «on ne peut plus assumer le coût de la prévoyance vieillesse, car les gens vivent de plus en plus longtemps. Cette constatation objective entraîne inévitablement l’élévation de l’âge de la retraite et la diminution des rentes». Elle est fausse.

La subtilité malhonnête de ce discours, c’est qu’il part d’une vérité indéniable – l’augmentation de l’espérance de vie, qui implique logiquement l’augmentation des coûts – pour aboutir à l’affirmation que ces coûts sont devenus tels qu’ils sont insupportables. Et c’est là que réside le mensonge, ce qui est facile à démontrer.

Des chiffres éloquents

Les démographes s’accordent sur l’estimation que l’augmentation de l’espérance de vie à 65 ans (le nombre d’année que va vivre en moyenne une personne âgée aujourd’hui 65 ans) est chaque année de l’ordre de 0,2 an. En d’autres termes, elle augmente d’une année tous les 5 ans. Comme cette espérance de vie à 65 ans est de l’ordre de 18 ans, son augmentation annuelle est donc de 1,1%. Ainsi, l’augmentation du coût de la prévoyance vieillesse résultant du fait que les retraités vivent plus longtemps est de 1,1% par an.

Les économistes de leur côté calculent le produit intérieur brut (PIB), qui est censé représenter les richesses produites chaque année en Suisse. Ces 12 dernières années, le PIB à prix courants a augmenté en moyenne de 2,2% par an. Ceci signifie que la somme des richesses produites en Suisse augmente plus vite que le coût de la prévoyance vieillesse. Autrement dit, on peut affirmer que, si l’on ne modifiait pas la part de la richesse totale produite, affectée à la prévoyance vieillesse, non seulement on pourrait faire face à l’allongement de l’espérance de vie mais l’on pourrait même augmenter les rentes de 1,1%.

Les données indiquées sont à prix coûtants et non en francs constants, autrement dit sans tenir compte de l’inflation. Comme sur cette période, l’inflation moyenne a été de 0,96%, on peut dire à nouveau que, sans modifier la part de la richesse produite affectée à la prévoyance vieillesse, on pourrait à la fois faire face à l’allongement de l’espérance de vie et indexer les rentes, ce qui n’est aujourd’hui pas garanti!

Catéchisme néolibéral

Il faut toutefois mentionner que si l’on tient compte la pyramide des âges, et de l’effet du baby boom des années 1940-1955, on obtient une modification marginale des chiffres ci-dessus, avec une augmentation des retraité-e-s dans les années 2015-2030, mais une diminution pour les années 2040-2060. Cependant, dans la mesure où ces variations sont de faible ampleur, elles ne modifient en rien le caractère tout à fait supportable des coûts à venir de la prévoyance vieillesse.

L’affirmation que le coût est insupportable n’est que la traduction de la volonté politique de diminuer la part des richesses créées, attribuée à la prévoyance vieillesse. Elle est martelée aujourd’hui avec force, non pas parce ce serait un élément nouveau, l’augmentation de l’espérance de vie est stable depuis plus de 40 ans, mais parce qu’elle participe du projet néo-libéral de redistribution des richesses au profit des plus riches.

Il est important de comprendre et de diffuser ces éléments, car c’est parce que la bourgeoisie a gagné la bataille idéologique et qu’elle a fait passé ses mensonges dans la pensée dominante, qu’elle peut passer à l’acte et programmer la démolition de la prévoyance vieillesse.

La 11e révision de l‘AVS a déjà été traitée dans ce journal, je me limiterai donc au deuxième pilier, où la régression se manifeste principalement à quatre niveaux: le taux de rendement, le taux de conversion, la primauté des cotisations et le degré de capitalisation pour les caisses publiques.

Le taux de rendement minimal

C’est le taux de rendement que les institutions de prévoyance doivent au minimum mettre au bénéfice de l’avoir vieillesse des assurés. Une seule donnée permet de comprendre l’importance de ce taux: sa réduction de 1 point sur le long terme, soit de 4% à 3%, entraîne une diminution de 25% des rentes!

Le tableau suivant illustre l’escroquerie qui peut se jouer à ce niveau: l’indice nommé LPP (d’après la Loi sur la Prévoyance Professionnelle) est calculé par la banque Pictet sur la base d’un portefeuille prudent, correspondant aux placements de la majorité des institutions de prévoyance. Il fait référence et décrit assez bien les rendements réels des caisses. On voit que pendant 12 ans, ce rendement était le double du minimum imposé, et que trois mauvaises années ont suffi pour que les assurances privées obtiennent une diminution drastique de ce taux. Cette année, ces assurances peuvent n’octroyer – merci le Conseil Fédéral – que 2,5% pour l’avoir vieillesse, alors que le rendement réel est de 9%! Ce cadeau est essentiellement utilisé par les assurances privées, qui concernent plus d’un million d’assuré(e)s et se limitent au minimum LPP. Ce sont donc celles et ceux qui ont les plus petites rentes qui sont donc pénalisés.

année 1986-1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
indice LPP 7,9% (moyenne) 7,7% 1,8% – 1,5% – 2,2% 7,8% 4,9% 9%
taux minimum 4% 4% 4% 4% 4% 2.25% 2,25% 2,5%

Il est significatif d’observer le double discours: lorsqu’on observe les bénéfices des grandes entreprises, des capitalistes, et que l’on écoute leurs objectifs, on arrive à des résultats faramineux. Ceux-là mêmes qui visent des rendements de 10 à 15% pour eux, en prédisent de 2 à 2,5% pour les caisses de pension, et veulent donc diminuer les rentes en conséquence.

Le taux de conversion

Rappelons que ce taux détermine la rente annuelle versée à partir de l’âge de la retraite en fonction du capital accumulé. Ce taux était de 7,2%, ce qui veut dire qu’un capital de 100’000 francs donnait droit à une rente annuelle de 7200 francs (non indexée!). La révision de la loi sur la Prévoyance Professionnelle (LPP) a réduit ce taux à 6,8%, avec une introduction par étapes d’ici 2013. Cette modification date de 2003. Et seulement 2 ans plus tard, le Conseil Fédéral met en consultation la volonté d’abaisser encore ce taux à 6,4%, et ce d’ici 2011. Concrètement, cela signifie que l’objectif du Conseil Fédéral est d’arriver à une diminution de 11% des rentes minimales, et ce plus vite que prévu.

Que le Conseil Fédéral ose faire une telle proposition montre à quel point il prend les gens pour des imbéciles, et il est bien suivi par les médias qui ne réagissent quasiment pas. Comment peut-il être crédible dans un domaine qui concerne le long terme et se calcule des décennies en avance, lorsqu’il propose de doubler une mesure calculée et inscrite dans la loi il y a seulement deux ans? Durant ces deux ans, il n’y a eu bien sûr aucun changement concernant l’espérance de vie. Le Conseil Fédéral tente donc piteusement d’argumenter sur une baisse future du taux de rendement, alors que le rendement est redevenu très bon depuis trois ans. Ainsi, en 2003, alors que le rendement était faible, la loi introduisait un taux de 6,8%, et aujourd’hui, tandis que le rendement est bien meilleur, il faudrait diminuer le taux de conversion! La seule chose qui ait changé depuis deux ans, c’est la pression du lobby des assurances privées et la volonté politique accrue de privatiser la prévoyance vieillesse. On y reviendra…

Comme le taux de conversion est la base essentielle qui concrétise la diminution programmée des rentes, il faut viser une mobilisation importante au niveau national sur ce sujet.

Primauté des prestations
ou des cotisations?

Le sujet n’est pas nouveau, mais il est important pour comprendre la tendance à la privatisation de la prévoyance vieillesse. Il faut rappeler qu’il existe deux systèmes définissant ce que touchera le/la salarié-e: la primauté des prestations, qui définit la rente en relation avec le dernier salaire, ou la primauté des cotisations, qui calcule la rente en fonction du capital accumulé par le/la salarié-e au moment de la retraite. Les différences essentielles peuvent être résumées ainsi:

  • En primauté des prestations, le/la salarié-e sait ce qu’il aura comme rente: une continuité des revenus est assurée. Le financement par répartition est mieux adapté à cette situation, dans la mesure où les retraites sont payées par les cotisations des actifs, sur la base du salaire en vigueur au moment du versement de la rente. Pour la même raison, un financement par répartition permet sans problème d’indexer les rentes. Pour un financement par capitalisation, une primauté des prestations, si elle n’est pas impossible, est problématique, dans la mesure où il est difficile de savoir quel capital doit être accumulé, ne sachant pas quel sera le salaire en fin de carrière. La seule solution, c’est d’imposer d’importants rappels.
  • En primauté des cotisations, c’est l’incertitude du niveau des rentes, le/la salarié-e assumant les risques, en particulier boursiers. Un financement par capitalisation est requis et correspond à une individualisation de la prévoyance vieillesse, chacun-e accumulant «son» propre capital. Dans ce sens, il est difficilement compatible avec la solidarité.

Du point de vue de l’intérêt des salarié-e-s, il n’y a pas photo entre les deux systèmes. Et pourtant, on observe clairement un passage vers la primauté des cotisations, comme le montre le tableau suivant, qui indique le pourcentage des assuré-e-s selon le type de primauté, et selon qu’ils/elles travaillent dans le secteur privé ou dans la fonction publique:

  Primauté des prestations Primauté des cotisations
année 1994 2002 1994 2002
privé 20% 15% 80% 85%
public 94% 62% 6% 38%

 

On observe que ce sont principalement les caisses des institutions de droit public qui bénéficiaient de la primauté des prestations, et qui l’abandonnent dans des proportions importantes. Le dernier exemple est la caisse Publica des fonctionnaires fédéraux, qui devrait donner lieu à une mobilisation importante et pose le problème d’un référendum.

Cette tendance traduit bien la volonté politique d’abandonner une prévoyance vieillesse basée sur des critères sociaux et de solidarité au profit d’une individualisation facilitant la privatisation.

Les caisses des institutions publiques

Dans leur majorité, aux yeux des milieux bourgeois, ces caisses donnaient le mauvais exemple: d’une part, elles représentaient le bastion de la primauté des prestations, d’autre part elles bénéficiaient d’un système de financement mixte, partie capitalisation et partie répartition, rompant avec la sacro-sainte obligation d’une capitalisation intégrale pour les caisses des entreprises privées. En d’autres termes, elles représentent un obstacle à la transformation de la prévoyance vieillesse voulue par la bourgeoisie. Le pas est alors vite franchi d’attaquer les «privilèges» des fonctionnaires: une initiative parlementaire du libéral vaudois Beck, exigeant le retour à la capitalisation intégrale des caisses de droit public, a été acceptée par le Conseil National.

On atteint là le sommet d’une hérésie économique, dans la mesure où le coût de cette recapitalisation dépasse les 50 milliards de francs au niveau national. Rien que pour la CIA genevoise, soit l’Etat débourse près de 3 milliards, soit les prestations doivent être diminuées de plus d’un tiers!

Même si les milieux bourgeois ne verraient pas d’un mauvais œil de diminuer les retraites des fonctionnaires, son objectif est manifestement plus large: l’attaque contre les systèmes de financement mixtes des caisses publiques s’inscrit clairement dans la perspective de transformer la prévoyance vieillesse, qui doit abandonner tout aspect d’une assurance sociale et solidaire pour devenir une assurance individuelle, donc livrée aux assurances privées. C’est le projet de Bush aux Etats-Unis, qui semble rencontrer trop de résistances pour être concrétisé rapidement; c’est le projet ici en Suisse qui réclame une lutte et une mobilisation qui devraient devenir prioritaire ces prochaines années.

Dans cette lutte, notre objectif doit rester celui d’une retraite pour chaque travailleur-euse qui permette une existence normale, basée sur la solidarité, et qui résultera d’une fusion entre les deux premiers piliers, comme déjà proposé dans ces colonnes.

Michel DUCOMMUN