Le scandale des «tournantes»; Le Corps d'exception. Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie

Laurent Mucchielli, Le scandale des «tournantes». Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique , Paris, La Découverte, 2005, 124 p.

«Au commencement était un film». C’est ainsi que L. Mucchielli, sociologue et chercheur au CNRS entame son ouvrage sur les «tournantes». L’auteur part d’une fiction française, La Squale, projeté sur les écrans en novembre 2000, qui s’ouvre sur le viol collectif d’une jeune femme en banlieue parisienne par des jeunes d’origine maghrébine. Ce film devient très vite un phénomène de société; à tel point qu’il n’est pas commenté dans les rubriques culturelles des principaux quotidiens français mais dans les pages «société».

L’auteur donne immédiatement le ton. Il entend faire état du décalage entre la représentation médiatique des «tournantes» et la réalité de ces viols collectifs. Issu d’une recherche empirique rigoureuse, basée sur l’étude des statistiques judiciaires, cet ouvrage récuse, tout d’abord, tant la nouveauté que l’aggravation de ce phénomène. Il conteste ensuite le cadre dans lequel a été posée la question des viols collectifs: soit celui qui tient pour acquise la liaison fondamentale entre violence des jeunes, communautarisme et islam.

L. Mucchielli, dans un débat surmédiatisé qu’il sait délicat, tente de pousser le lecteur à réfléchir sur les nouveaux habits qu’endosse le racisme, quitte à «écorner certains aspects du consensus […] sur la “violence des jeunes”» et à «égratigner certains discours féministes», notamment ceux tenus par «Ni Putes, ni soumises». (sp)

Sidi Mohammed Barkat, Le Corps d’exception. Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie , Paris, éditions Amsterdam, 2005, 94 p.

Chercheur associé au Laboratoire de psychologie du travail et de l’action du Conservatoire national des arts et métiers, l’auteur montre comment la colonisation a insinué la terreur au cœur de l’Etat de droit français. Un rappel utile à un moment ou Sarkozy parle de nettoyer les banlieues au kärcher…

Dès le dernier tiers du 19e siècle, les institutions des peuples colonisés avaient été réputées hostiles à leur évation morale et l’«indigène» inventé comme antithèse du «citoyen». Grevé d’une hérédité culturelle collective insurpassable, il lui était interdit de devenir un membre comme les autres de la nation, sauf à rompre totalement avec les siens.

Tel était le sens donné au terme «assimilation», véritable mirage. L’auteur rappelle ainsi les propositions du second cabinet Blum (1938), reprises par le Comité français de libération nationale (mars 1944), d’accorder la citoyenneté française à 65000 indigènes sur 7 millions, mais «à titre personnel», c’est-à-dire non transmissible à leurs enfants (!).

Paradoxalement, c’est à ce moment que les «indigènes» se sont levés en masse pour revendiquer une identité collective, un drapeau et un nom, déchaînant contre eux la violence terrorriste de l’Etat colonial. Parce qu’elle niait depuis si longtemps leur humanité, la République n’a reculé devant aucun massacre (de mai 1945 à octobre 1961) pour extirper l’aspiration des colonisés à la vie. (jb)