Sharon quitte la scène… Les Palestiniens vont trinquer

Sharon quitte la scène… Les Palestiniens vont trinquer

Interview de Michel Warschawski, activiste et écrivain israélien. Coprésident du Centre d’information alternative (AIC) israélo-palestinien de Jérusalem. En 1982, il a été l’un des fondateurs de «Yesh Gvul», mouvement d’officiers de réserve et de soldats contre la guerre au Liban et l’Occupation israélienne. Par téléphone de Jérusalem, le 8 janvier 2006.

Ici, le parrain des colons et principal suspect de nombreux crimes de guerre est salué pour son «pacifisme» Sharon a mis en place un système d’apartheid massif mais est présenté comme le symbole de réconciliation. Comment l’expliques-tu?

On est à une époque où les relations publiques et les médias ont un rôle central… Sharon a décidé de se donner cette image de marque et elle a été martelée ces deux dernières années, en Israël d’abord et partout à travers le monde ensuite. Elle a eu ses effets, entre autres parce qu’il a obtenu le soutien de personnalités politiques comme Shimon Pérès, le soutien partiel d’autres comme Yossi Beilin, qui représente la gauche parlementaire et a annoncé qu’il voulait faire partie du gouvernement Sharon. On a ainsi créé une image totalement artificielle autour de sa politique, qui est certes une politique de changement, mais unilatérale, qui n’est pas négociée avec les Palestinien-ne-s et qui part de sa conception de ce qu’est l’intérêt israélien.

Que signifie la «disparition» d’Ariel Sharon de la scène politique israélienne? L’absence politique de Sharon conduira-t-elle à un durcissement de la politique israélienne envers la Palestine?

Sharon était le seul politicien qui avait un large soutien populaire, tout en se créant cette image de représentant d’un «consensus», qui serait de donner la priorité à la «sécurité» d’une part et, d’autre part, de prendre des mesures débloquant le statut quo. Son parti Kadima aurait certainement reçu plus de voix que le Likoud et les travaillistes réunis.

Avec la disparition de Sharon de la scène, son parti va engranger bien moins de voix et cela va renforcer les deux autres partis qui n’ont absolument aucune ligne politique à présenter. En ce sens, la disparition d’une personne va bouleverser la scène politique israélienne, sans pour autant qu’on sache dans quelle direction. Ceci dit, c’est juste de dire que ceux qui vont trinquer d’abord sont les Palestinien-ne-s. Un gouvernement faible, sans ligne politique précise, va s’en prendre aux Palestinien-ne-s, comme quelqu’un qui rentre fatigué d’un boulot, qui a beaucoup de problèmes et qui cogne sur ses enfants… C’est ce qu’a dit un porte-parole palestinien, il y a deux jours à la radio. Je pense que c’est très juste.

Que peut-on craindre dans la situation actuelle?

On peut craindre des pressions qu’on a déjà connues dans les années antérieures; une montée des pressions de la part des colons et des extrémistes, y compris dans l’armée, qui vont provoquer les Palestinien-ne-s, qui risquent même de provoquer des attentats et qui vont donc mener à une nouvelle vague de répression de la part du gouvernement israélien. C’est ce que je crains le plus pour l’instant.

Du côté palestinien, comment voit-on l’avenir sans Sharon?

Comme l’a dit ce même porte-parole palestinien, avec Sharon, on savait au moins de quoi il s’agissait. Avec le gouvernement transitoire qu’on va avoir jusqu’à fin mars, jusqu’aux élections, et surtout quant à ce qu’on aura après, c’est la grande inconnue… On ne sait pas du tout quels vont être les résultats des élections, quelle sera la prochaine coalition gouvernementale…

On ne sait même pas, par exemple, ce que va faire Shimon Pérès qui était au parti travailliste: va-t-il rester à Kadima ou va-t-il revenir chez les travaillistes, et ainsi pour toute une série d’autres transfuges qui ont passé d’un parti à l’autre… Il y a donc une grande inconnue et les Palestinien-ne-s en ont peur; ils préfèreraient savoir à quoi ils ont à faire et résister en fonction d’éléments qu’ils peuvent appréhender.

On s’interroge ici sur la situation dans les territoires occupés et sur le bruit qui court du report des élections.

Effectivement, il y a des tensions internes au Fatah, ainsi qu’une montée importante du Hamas et une volonté de certains dirigeants palestiniens de repousser ces élections. Certes, ils vont profiter de l’inconnue israélienne pour renforcer cette revendication. Marwan Barghouti a justement fait une déclaration aujourd’hui qui affirmait que, si les élections ne pouvaient pas avoir lieu à Jérusalem, il appellerait à ce qu’elles soient repoussées, et ça, c’est une position plus ou moins unanime. Mais Israël, sous les pressions américaines, permettra sans doute aux Palestinien-ne-s de voter, mais mal, dans des conditions extrêmement difficiles, comme dans les élections précédentes. Certains cependant utilisent cette question de Jérusalem comme prétexte pour vouloir repousser les élections. Ceci, avec en arrière-fond une situation de plus en plus précaire dans les Territoires, avec une grande instabilité dans la bande de Gaza. Il y a aussi des difficultés pour Mahmoud Abbas à contrôler les choses, y compris son propre parti, et à mener la bataille pour gagner les élections et pour mettre en place des administrations capables de maintenir une cohérence nationale.

En Europe et aux USA, une partie croissante de la société civile s’engage, pour des pressions politiques et économiques, au moyen de sanctions, sur le gouvernement israélien, afin qu’il cesse l’occupation et la colonisation et qu’il applique le droit international. Y a-t-il des mouvements politiques ou sociaux en Israël qui s’engagent dans ce sens?

Il y a une coalition liée aux ONGS palestiniennes qui travaille sur la question des sanctions en coordination avec les organisations européennes en particulier. C’est la coalition des femmes, c’est le Centre d’Information Alternative, c’est le regroupement contre la destruction des maisons, mais en Israël, on reste encore très minoritaires sur cette question; au contraire, il y a même eu, parmi certaines des organisations de femmes, un recul. C’est par contre absolument important de pouvoir s’appuyer sur cet appel en expliquant que les sanctions, c’est quelque part pour le bien des Israélien-ne-s eux-mêmes; pour permettre de sortir d’une politique d’impasse sanglante qui ne mène à rien, si ce n’est à la catastrophe.

Une remarque finale?

Pour terminer, j’aimerais dire que je regrette une chose importante, c’est que Sharon va disparaître sans qu’il ait rendu des comptes à la Cour Internationale de Justice de La Haye.

Propos recueillis par
Pierrette ISELIN