50 ans du Mouvement de Libération des Femmes

Dans les commémorations du cinquantenaire du vote des femmes, il n’est guère question du MLF, mouvement de libération des femmes, pourtant né lui aussi en 1971 (en ce qui concerne Genève). Retour sur ses luttes toujours actuelles.

Manifestation pour l’ouverture d’un Centre femmes, Genève, 1976

 Au début de l’année 1971, alors que les militantes pour les droits civiques fêtent leur victoire, des jeunes femmes, souvent déçues par les groupes politiques, désirent autre chose que le droit de vote ou « la simple égalité ». Elles veulent la liberté ! La liberté de s’affirmer, de vivre leurs désirs, leur sexualité, la maternité choisie ou le refus d’enfants, la maîtrise de leur corps, leur libre arbitre, et bien d’autres choses encore… Toutes les libertés et tout de suite !

Au soir du 7 février 1971, elles placardent dans les rues de Genève un tract clamant que le droit de vote ne résoudra en rien le problème de l’oppression des femmes. Le 17 février, elles rédigent un texte fondateur, au nom du « Front des Bonnes Femmes », signé par le fameux logo du poing levé rageur. Comme thèmes de luttes prioritaires, elles proposent : le droit à l’avortement et une contre-­orientation professionnelle, pour sortir des professions « féminines ». Elles affirment leurs liens avec les mouvements de libération des femmes, déjà fondés aux Etats-Unis et en France, dans l’élan (mais aussi face aux contradictions) de Mai 68. Très vite, le nom emblématique de MLF est adopté.

Une inspiration féministe

Le mouvement genevois va durer une dizaine d’années et changera la vie de ses militantes, certes minoritaires dans la société, mais fortement actives et médiatisées. Leurs actions radicales ont contribué à inspirer le féminisme et faire évoluer les mentalités. Par exemple, c’est le MLF qui a organisé un des premier squats à Genève, par l’occupation illégale, le 1er mai 1976, d’un ancien bistrot de la place des Grottes pour y instaurer un Centre femmes, rasé par les bulldozers de la Ville, trois mois plus tard. Mais la réaction immédiate et forte (manifestation et scellage du bureau du maire) a fait plier les autorités qui ont fini par octroyer au mouvement une maison « pour se retrouver en tant que femmes » (en non-mixité) au boulevard Saint-Georges. 

En 1975, décrétée « année internationale de la femme » par l’ONU, les militantes ont été particulièrement dynamiques pour rappeler toutes les libertés qui restent encore à conquérir et pour attaquer le mythe de LA femme, alors que les vies des femmes sont si multiples. Elles ont perturbé les cérémonies officielles de congratulation du Congrès de l’Alliance des sociétés féminines suisses, financé par les banques et l’industrie, pour réclamer haut et fort l’avortement libre et gratuit. Elles critiquent également le mariage, « un contrat de travail ». En résumé, elles veulent « la révolution, pas des résolutions »

Des luttes communes

Conscientes du caractère commun des différentes luttes, leur engagement s’est porté aussi contre la prison, contre la guerre, contre le nucléaire, contre l’exploitation, contre les usines chimiques. Elles ont également manifesté leur solidarité internationaliste, participant à des congrès en France, en Suisse alémanique, en Allemagne, en Angleterre. Une des luttes phares a été celle des lesbiennes pour la reconnaissance de leur liberté sexuelle, de leur dignité et de leur visibilité. Rien n’a été évident. Les discussions pouvaient être très âpres, loin du cliché de la femme douce et conciliante. 

En 1978, un tournant a été pris vers la professionnalisation des militantes, exténuées par le bénévolat, et désirant créer leurs propres postes de travail autogéré. Ont été ouverts cette année-là plusieurs centres pour les femmes : orientation et de réinsertion professionnelles (Corref), santé (le Dispensaire), accueil pour femmes battues, soutien pour femmes violées (Viol-Secours), une librairie (L’Inédite)… Des journaux militants comme « L’Insoumise », puis Radio Pleine Lune diffusent les idéaux féministes. 

Les luttes collectives s’essoufflent au début des années 80, certaines grognent « l’individualisme ronge le féminisme », mais les militantes s’attaquent à l’Université (création des Études genre), aux syndicats (commissions femmes), à la politique, entrent dans les professions dites masculines… Le feu couve et l’esprit MLF créatif et insoumis se retrouvera en 1991 et en 2019 dans les Grèves féministes.

Maryelle Budry

à lire

  • Mais qu’est-ce qu’elles voulaient ?, récits de vie de six militantes du MLF à Genève, recueillis par Maryelle Budry et Edmée Ollagnier, Editions d’En Bas, 1999
  • Révolution sexuelle et mouvement de libération des femmes à Genève (1970 – 1977), Julie de Dardel, Editions Antipodes, 2007

À voir

  • Debout, une histoire du MLF, Carole Roussopoulos, 1999