Forum social mondial II: appel des mouvements sociaux

Forum social mondial II: appels des mouvements sociaux


Cet appel a été adopté à l’occasion du deuxième Forum Social Mondial de Porto Alegre. Il sert de base politique à la constitution de Forum sociaux continentaux et nationaux. Nous le reproduisons ici dans la perspective du 1er Forum Social Européen qui tiendra à Florence à l’automne pochain.

Appel des mouvements sociaux
Résistance au néolibéralisme,
à la guerre et au militarisme:
pour la paix et la justice sociale


1. Face à la détérioration croissante des conditions de vie des peuples, nous, mouvements sociaux du monde, nous sommes réunis à plusieurs dizaine de milliers au second Forum social de Porto Alegre. Nous sommes ici ensemble malgré les tentatives pour briser notre solidarité. Nous sommes revenus pour poursuivre nos luttes contre le néolibéralisme et la guerre, pour confirmer nos engagements de l’an passé et réaffirmer qu’un autre monde est possible.



2. Notre diversité est grande — femmes et hommes, jeunes et adultes, peuples indigènes, ruraux et urbains, travailleurs et chômeurs, sans abris, retraités, étudiants, immigrés, peuples de toutes croyances, couleurs et préférences sexuelles. Cette diversité fait notre force. Elle est la base de notre unité. Notre mouvement de solidarité est global, uni dans une même détermination contre la concentration de la richesse, l’extension de la pauvreté et des inégalités, contre la destruction de notre terre. Nous construisons des solutions alternatives, et nous les mettons en œuvre de façon créative. Nos luttes et résistances sont le ciment d’une large alliance contre un système basé sur le sexisme, le racisme et la violence, un système qui privilégie systématiquement le capital et le patriarcat sur les besoins et les aspirations des peuples.



3. Ce système est dramatique. Chaque jour, des femmes, des enfants, des personnes âgées meurent de faim, ou faute d’accès aux soins médicaux. Des familles entières sont expulsées de leur foyer par faits de guerres, par des projets industriels pharaoniques, par le dessaisissement de leurs terres, et par des désastres environnementaux. Des sociétés entières souffrent du chômage, des attaques contre les services publics et de la destruction des solidarités sociales. C’est pourquoi au Nord comme au Sud, on voit se multiplier des luttes et des résistances pour la dignité et le respect.



4. Les événements du 11 septembre ont introduit une rupture dramatique. Après les attaques terroristes que nous condamnons sans réserve, de même que nous condamnons toute attaque contre des civils partout dans le monde, le gouvernement des États-Unis et ses alliés ont déclenché une riposte militaire massive. Au nom de « la guerre contre le terrorisme », des droits civiques et politiques sont remis en question partout dans le monde. La guerre contre l’Afghanistan, dans laquelle des méthodes terroristes sont utilisées, est en voie de s’étendre à d’autres fronts. On assiste de ce fait au début d’une guerre globale permanente qui vise à renforcer la domination du gouvernement des États-Unis et de ses alliés. Cette guerre révèle une autre face du néolibéralisme, brutale et inacceptable. L’islam est satanisé tandis que le racisme et la xénophobie sont délibérément exacerbés. Les médias de masse prennent une part active dans cette campagne en divisant le monde entre « bien et mal ». L’opposition à la guerre est constitutive de notre mouvement.



5. La déstabilisation du Moyen-Orient s’en est trouvée accrue, fournissant un prétexte à une répression redoublée contre le peuple palestinien. Nous considérons qu’il y a urgence à nous mobiliser en solidarité avec le peuple palestinien et son combat pour l’autodétermination alors qu’il subit une occupation brutale par l’État d’Israël. Cette question est vitale pour la sécurité collective de tous les peuples de la région.



6. L’actualité inscrit nos combats dans l’urgence. En Argentine, la crise financière causée par la politique d’ajustement structurel du Fonds monétaire international, et une dette sans fin, ont précipité la crise sociale et politique. Spontanément, les classes moyennes et les travailleurs se sont mobilisés, subissant une répression meurtrière et provoquant la chute de gouvernements. “Cacerolazos”, “piquetes” et mobilisations populaires, se sont développés autour de demandes élémentaires, nourriture, emploi et logement. Nous rejetons la criminalisation des mouvements sociaux en Argentine et condamnons les attaques contre les droits démocratiques et la liberté. Nous condamnons également l’avidité et le chantage pratiqués par les multinationales, appuyés par les gouvernements des pays riches.



7. L’effondrement de la multinationale Enron illustre la banqueroute de l’économie “casino” et la corruption d’hommes d’affaires et de politiciens, qui ont délibérément sacrifié les salaires et les retraites des salariés. Dans les pays en voie de développement, cette multinationale menait des activités frauduleuses. Ces projets ont conduit à l’expulsion de populations entières de leur terre et à de fortes hausses du prix de l’eau et de l’électricité.



8. Le gouvernement des États-Unis, dans ses efforts pour protéger les intérêts des grandes entreprises, s’est refusé avec arrogance à respecter les accords de Kyoto sur le réchauffement de la planète, les traités antimissiles et antibalistiques, les conventions sur la biodiversité, la conférence de l’ONU contre le racisme et l’intolérance, les discussions sur les livraisons d’armes légères. Tout ceci prouve, une fois de plus, que l’unilatéralisme des États-Unis sape les tentatives pour trouver des solutions multilatérales aux problèmes globaux.



9. A Gênes, le G8 a échoué dans la fonction de gouvernement global qu’il s’était attribuée. Confronté à une mobilisation et à une résistance massives, les gouvernements du G8 ont répondu par la violence et la répression, traitant comme des criminels ceux qui avaient osé protester. Cette politique d’intimidation a échoué.



10. Tout ceci se déroule dans un contexte de récession mondiale. Le modèle économique néolibéral détruit les droits et les moyens d’existence des peuples. Ne reculant devant rien pour protéger leurs marges de profits, les multinationales licencient, réduisent les salaires et ferment les entreprises. Les gouvernements gèrent cette crise économique en privatisant, en effectuant des coupes claires dans les budgets sociaux, et en s’attaquant aux droits des travailleurs. Cette récession montre le caractère mensonger des promesses néolibérales de croissance et de prospérité.



11. Le mouvement global pour la justice sociale et la solidarité doit relever d’énormes défis : notre combat pour la paix et la sécurité collective implique de s’attaquer à la pauvreté, aux discriminations, aux dominations et de s’engager dans la construction d’une société durable et alternative. Les mouvements sociaux condamnent énergiquement la violence et le militarisme comme moyens de résolution des conflits. Ils condamnent la multiplication des conflits de faible intensité, les opérations militaires telles que le plan Colombie ou le plan Puebla-Panama, le commerce des armes et l’augmentation des dépenses militaires, le blocus économique contre les peuples, en particulier contre Cuba, mais aussi contre l’Irak et d’autres pays. Ils condamnent l’escalade répressive contre les syndicats, les mouvement sociaux et les militants.



Nous soutenons les luttes des syndicats et des salariés tant du secteur traditionnel que du secteur informel. Ces luttes sont essentielles pour défendre les conditions de travail et de vie, le droit de s’organiser, de se mettre en grève, de négocier des accords collectifs à différents niveaux, et d’obtenir l’égalité des salaires et des conditions de travail entre femmes et hommes. Nous rejetons l’esclavage, l’exploitation des enfants. Nous soutenons les luttes des syndicats et des travailleurs contre la précarisation, la stratégie de sous-traitance du travail et de licenciement.



Nous exigeons de nouveaux droits transnationaux pour les salariés des compagnies multinationales et de leurs filiales, en particulier dans le domaine de la syndicalisation et de la négociation collective. Nous soutenons également les mouvements paysans, les mouvements populaires en lutte pour la préservation de leurs terres, de leurs forêts, de leur eau, pour des conditions de vie correctes.



12. Les politiques néolibérales génèrent misère et insécurité. Elles ont considérablement augmenté l’exploitation sexuelle et les trafics de femmes et d’enfants. Pauvreté et insécurité créent des millions de migrants qui se voient déniés leur dignité, leur liberté et leurs droits fondamentaux. Nous exigeons le respect de la liberté de circulation, le droit à l’intégrité physique et un statut légal pour tous les migrants. Nous défendons le droit des peuples indigènes et exigeons l’inclusion de l’article 169 de l’OIT dans les législations nationales, et son application.



13. La dette externe des pays du Sud a été remboursée plusieurs fois. Illégitime, injuste et frauduleuse, la dette fonctionne comme un instrument de domination, au seul service d’un système d’usure internationale. Les pays qui exigent le paiement de la dette sont ceux là mêmes qui exploitent les ressources naturelles et les savoirs traditionnels du Sud. Nous demandons son annulation sans condition ainsi que la réparation pour les dettes historiques, sociales et écologiques.



14. L’eau, la terre, les aliments, les bois, les semences, les cultures et les identités des peuples sont le patrimoine de l’humanité pour les générations actuelles et futures. Il est donc fondamental de préserver la biodiversité. Les peuples ont droit à une alimentation permanente et à une nourriture saine, libre de tout organisme génétiquement modifié. Car l’autosuffisance alimentaire locale, régionale et nationale est un droit élémentaire : en ce sens, les réformes agraires démocratiques et l’accès des paysans à la terre sont fondamentaux.



15. Le sommet de Doha a confirmé le caractère illégitime de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Son « agenda de développement » défend uniquement les intérêts des multinationales. En lançant un nouveau cycle, l’OMC se rapproche de son objectif d’une marchandisation globale. Pour nous, la nourriture, les services publics, l’agriculture, la santé et l’éducation ne sont pas à vendre. Les licences ne doivent pas être utilisées contre les pays pauvres et leur population. Nous rejetons donc le brevetage et le commerce du vivant. L’OMC relaie ce programme global par des traités régionaux de libre échange et des accords sur les investissements. En protestant et en se mobilisant massivement contre l’ALCA, les peuples expriment leur rejet de tels accords, assimilés à une nouvelle colonisation, à la destruction de droits et de valeurs fondamentales, sociales, économiques, culturelles et environnementales.



16. Nous renforcerons notre mouvement en menant des actions et des mobilisations communes pour la justice sociale, pour le respect des droits et des libertés, pour la qualité de la vie, l’égalité, la dignité et la paix.

Nous luttons

  • pour le droit des peuples à connaître et critiquer les décisions de leur propre gouvernement, particulièrement en ce qui concerne leur politique au sein des institutions internationales. Les gouvernements sont comptables devant leur peuple. Alors que nous luttons pour l’établissement d’une démocratie électorale et participative dans le monde, nous insistons sur la nécessité de démocratiser les États et les sociétés, de lutter contre les dictatures.
  • pour l’abolition de la dette externe et les réparations.
  • pour contrer les activités spéculatives : nous demandons la création de taxes spécifiques telles que la taxe Tobin et l’abolition des paradis fiscaux.
  • pour le droit à l’information.
  • pour les droits des femmes, contre la violence, la pauvreté et l’exploitation.
  • pour la paix, nous affirmons le droit de tous les peuples à la médiation internationale avec la participation d’acteurs de la société civile indépendants. Contre la guerre et le militarisme, contre les bases et les interventions militaires étrangères, et l’escalade systématique de la violence, nous privilégions le dialogue, la négociation et la résolution non violente des conflits.
  • pour le droit des jeunes à l’accès à une éducation publique gratuite, à l’autonomie sociale et pour l’abolition du caractère obligatoire du service militaire.
  • pour l’autodétermination de tous les peuples, en particulier des peuples indigènes.