Vers une nouvelle affaire des fiches?

Vers une nouvelle affaire des fiches?

Dimanche 7 septembre 08, l’émission Mise au point de la
Télévision suisse-romande (TSR), révélait
une nouvelle affaire d’espionnage et d’infiltration
conduite par le Département de l’entreprise Securitas,
Investigation Services (IS), au sein du groupe anti-répression
(GAR) dans le canton de Vaud.1 Un nouveau cas qui, comme
pour celui du Nestlégate, conserve d’importantes et
inquiétantes zones d’ombres: on peut penser que
l’infiltration de groupes de citoyen-ne-s,
considérés comme critiques, est une pratique courante de
la part de la plus grande entreprise de sécurité de
Suisse.

Les faits: une nouvelle taupe très assidue!

L’objet de ce nouvel espionnage est le GAR à Lausanne,
groupe composé aujourd’hui d’une douzaine de
personnes. Il analyse depuis des années les questions concernant
la répression policière, informe les participant-e-s aux
manifestations de rue de leurs droits, recueille enfin des
témoignages de personnes ayant subi des actes de
répression et les conseille, en cas d’interpellation,
d’arrestation, d’enquête ou d’appel à
témoigner.2 Entre 2003 et 2005, ses membres ont ainsi
été infiltrés par une taupe de Securitas qui
opérait, comme dans le groupe d’ATTAC Vaud, sous une
fausse identité. Son nom de code était «Shanti
Müller». «Shanti» a participé activement
aux réunions non ouvertes au public du GAR, et ce durant
plusieurs années. A ce titre, elle a eu accès, par
exemple, à des centaines de témoignages de victimes de
répression policière ainsi qu’à des
données le plus souvent très confidentielles et
sensibles. Elle a même tenu un moment la caisse du groupe…
Durant sa période d’infiltration, «Shanti»
jouait à la bonne copine, se rendait au domicile privé de
nombreux-euses militant-e-s, offrait des cadeaux et parlait abondamment
de ses chiens de combats et d’une activité humanitaire
qu’elle a menée en Inde.3 Mais
lorsqu’elle n’est pas «Shanti Muller», elle est
Fanny Decreuze, employée de Securitas d’abord aux gardes
armées, puis à l’IS qu’elle aurait
dirigée lorsque elle infiltrait le GAR.4
Aujourd’hui Decreuze travaille toujours chez Securitas,
voyage  beaucoup et accessoirement est une «bonne»
militante de l’UDC du district de Nyon, selon son
président, Gabriel Poncet.5 Pour le compte de qui a-t-elle infiltré le GAR? Le(s) mandataire(s) de sa mission ne sont pas encore connus.

Espionnage et infiltration: une prestation courante de Securitas?

Cette nouvelle révélation confirme que la surveillance
d’ATTAC n’était pas une mission isolée de
Securitas, contrairement aux affirmations de cette dernière lors
de la révélation de l’affaire Nestlégate.6
D’ailleurs, selon le GAR, «Shanti» ne s’est pas
contentée d’infiltrer le groupe lausannois.7
Elle a pris non seulement part à des réunions nationales
à Berne, mais également aux manifestations ant-WEF
à Lausanne, à une manifestation en tout cas pour la
protection des animaux. Elle a été active dans les
groupes sanitaires lors de manifestations, s’est liée
à certains squats, participait à des fêtes et des
repas. A Genève, elle a pris part au Forum social
lémanique (FSL). Bref, elle ratissait large! Aussi
au-delà des affaires Nestlégate et du GAR avec leurs deux
taupes, il est fort probable que la surveillance politique soit une
pratique courante et fasse partie d’une gamme de prestations
«offertes» par Securitas, à savoir infiltrer des
groupes associatifs et/ou politiques pour le compte d’un tiers.
Mise au point avance que plusieurs taupes seraient encore
employées par Securitas… Le GAR, comme ATTAC a
décidé de déposer plainte sur le plan pénal.

Police complice?

Il ressortait de l’émission Temps présent du 12
juin 2008, que la police cantonale était au courant de
l’infiltration du groupe des auteur-e-s du livre «ATTAC
contre Nestlé». Une réalité que
réprouvait la Fédération des fonctionnaires de
police qui jugeait «inconcevable que la police vaudoise, qui
était au courant des investigations de Securitas, non seulement
n’ait pris aucune mesure à leur encontre, mais encore ait
collaboré avec les responsables de cette entreprise.»8
Dans le cas de l’infiltration du GAR, la police lausannoise admet
avoir reçu des informations «sur ce milieu», mais de
manière spontanée9… Il est absolument
scandaleux que des responsables de la police, qu’elle soit
communale, cantonale ou fédérale, ait été
au courant – informellement ou non – de missions d’espionnage de
la part d’une entreprise de sécurité privée
et qu’ils n’ont pas  jugé nécessaire
d’en informer les personnes concernées, comme en dispose
la loi sur la protection des données (LPD). Nous attendons
toujours le résultat de l’enquête
«indépendante», menée au sein de la police
cantonale vaudoise, en souhaitant que son caractère
indépendant ne se limite pas à son appellation.

Faire toute la lumière…

Hier ATTAC, aujourd’hui le GAR et demain? Un syndicat, un parti
politique, un-e journaliste? Quels autres groupes et/ou individus ont
été espionnés? Avec quelles méthodes?
Quelles informations ont été récoltées et
où ont-elles circulé? Avec quelles conséquences?
Qui sont les mandataires de telles missions? Qui en sont les
responsables? La police était-elle au courant de ces pratiques?
Si oui, se contentait-elle de laisser faire? Est-ce une deuxième
affaire des fiches, avec une privatisation des tâches de
surveillance? Des questions pour l’instant sans réponses.
Il est urgent et nécessaire que toute la lumière soit
faite sur les méthodes d’espionnage dont ont
été victimes ATTAC et le GAR, mais également sur
l’étendue de telles pratiques. Un système plus
vaste, qui organiserait une surveillance de groupes citoyens,
d’associations, de mouvements ou de partis, par des entreprises
privées pour le compte de tiers, avec la complaisance de la
police, se doit d’être démasqué et
démantelé. Il constitue une forme de gangrène qui
ronge l’exercice de nos droits démocratiques.

Isabelle Paccaud

1    Cf.
Jean-Philippe Ceppi, Christian Karcher, «Une taupe
modèle», Mise au Point du 7 septembre 2008, www.tsr.ch.
2    Cf. Communiqué de presse du GAR, Lausanne, le 8 septembre 2008
3    Cf. Idem; Voir aussi 24Heures du mardi 9 septembre, p.3.
4    Cf. Madeleine Schürch, «La taupe de
Securitas une espionne confirmée», 24Heures, le 9
septembre 2008, p.3.
5    Cf. Dominique Botti, «Une 2ème
espionne de Securitas crée un nouveau scandale», Le Matin
bleu, 8 septembre 2008, p.2.
6    Cf. Martine Clerc, «Après
l’infiltration d’ATTAC, une nouvelle taupe chez
Securitas», 24Heures, le 8 septembre 2008, p.19.
7     Cf. Communiqué de presse du GAR, Lausanne, le 8 septembre 2008.
8    Communiqué de Presse de la
Fédération des fonctionnaires de Police, Lucerne le 16
juin 2008. La Fédération s’exprime sur cette
deuxième affaire aussi dans le même sens lors du Mise au
Point du 7 septembre, www.tsr.ch
9    Cf. Martine Clerc, «Après
l’infiltration d’Attac, une nouvelle taupe chez
Securitas», 24heures, le 8 septembre 2008, p.19.