Nestlé à Vittel

Dégraissages dans l’eau

Une grève «illimitée» a été déclarée mardi 5 septembre dans l’usine Nestlé Waters de Vittel (Vosges) après l’annonce de la suppression de 171 postes de travail. Selon la CGT, syndicat majoritaire, «environ 80%» des 721 salarié·e·s sont en grève. Nous leur déclarons notre pleine solidarité.

Une manifestante contre Nestlé Waters
Plus de 1000 personnes ont manifesté à Vittel samedi 16 septembre 2023

Le 2 mai 2023, Nestlé Waters annonce qu’il suspend l’activité de deux des six forages dédiés à la marque Hépar, correspondant à 60% de la production, en raison des «conditions climatiques qui se détériorent» qui «rendent très difficile le maintien» de la qualité de cette eau minérale. Le 16 mai, Nestlé annonce qu’il supprimera 171 postes d’ici fin 2023. Les élus du territoire mettent – évidemment – en cause «certains activistes, des idéologues, qui depuis des années sapent l’activité de Nestlé Waters»

Après quelques débrayages d’avertissement durant l’été, les salarié·e·s se sont mis en grève mardi 5 septembre.

Sécheresse et licenciements secs

Une multinationale comme Nestlé a pour vocation de poursuivre inexorablement la progression de ses bénéfices (à deux chiffres) sinon l’activité est sacrifiée. Pour ce faire, les variables d’ajustement sont simples: produire plus au moindre coût. Ce qui englobe bien évidemment les coûts salariaux.

Dans le domaine de l’eau en bouteilles, les perspectives d’affaires s’assombrissent depuis une dizaine d’années. La crise climatique met en exergue le pillage d’une ressource vitale que constitue le commerce de l’eau en bouteilles, aggravé par le coût énergétique et en matières premières des bouteilles et des transports, souvent à très longue distance. Nestlé ne peut l’ignorer. 

Une campagne de boycott mettant en avant l’épuisement historique des nappes et la découverte de gigantesques décharges de plastique issues des usines d’eau a eu un large écho en Allemagne. Lidl a par exemple retiré la marque Vittel de ses magasins. Les ventes ont chuté et Nestlé s’est retiré du marché allemand. 

Depuis quelques années, la multinationale ne considère plus ce secteur comme prioritaire et cherche à se concentrer sur ce marché autour de ses trois marques les plus lucratives: Perrier, San Pellegrino et Aqua Pana. C’est ainsi qu’il a vendu toutes ses marques d’eau en Amérique du Nord à un fonds d’investissement en 2020. Les autres marques, ce qui pourrait inclure Henniez, sont potentiellement à vendre.

En ce qui concerne Vittel, l’épuisement des nappes mettait en cause l’alimentation en eau potable de la population. En 2017, Nestlé proposait d’en amener par un pipeline, ce qui aurait permis de continuer à pomper en abondance de l’eau estampillée « Vittel ». Cette fuite en avant a été bloquée par la justice fin 2019. Et maintenant c’est la ressource d’eau Hépar dont Nestlé arrête le captage, car il n’a pas plu depuis un an (sécheresse estivale, puis sécheresse hivernale). Les perspectives sont donc peu favorables et la vente de Vittel semble être inéluctable. 

Mais pour vendre, il faut rendre la société rentable, et pour cela, il faut licencier. Des diminutions de personnel ont déjà eu lieu, mais jusqu’à présent cela a été fait en jouant sur des préretraites avec primes et plans sociaux. Là, une partie au moins des 171 licenciements d’ici la fin de l’année toucheront des employé·e·s loin de la retraite. C’est ce qui a déclenché la mobilisation.

Les activistes ont bon dos

L’argument de l’assèchement de la nappe est utilisé pour justifier les licenciements. Mais Nestlé, qui en est le seul utilisateur, à travers son quasi-monopole d’exploitation, connaissait la situation exacte de cette ressource. La multinationale a pourtant continué à la surexploiter à hauteur de 900 000 m3 par an. Des stocks en bouteilles ont même été constitués l’hiver passé afin de poursuivre les ventes. 

Sur place, le Collectif eau 88 (le numéro du département des Vosges) se bat depuis plusieurs années pour préserver la ressource en eau. Sur leur blog L’Eau qui mord il dénonce : « Il est clair que Nestlé manipule les autorités, les élu·e·s, l’autorité préfectorale, ses salarié·e·s et cherche des boucs-­émissaires activistes, idéologues… Propos relayés de façon moutonnière par des élu·e·s locaux·ales. En réalité : qui a épuisé les nappes ? Nestlé à 80 %. Qui dénonce cette situation ? Le Collectif eau 88, qui ne cherche qu’à préserver la ressource en eau très menacée à court terme par le dérèglement climatique. Non messieurs notre activisme et notre idéologie n’a pas vidé les nappes d’eau que Nestlé exploite, il n’a cherché au contraire qu’à protéger cette ressource indispensable à la vie. Et les élus auraient dû, c’était leur responsabilité, se préoccuper de l’avenir. »

La grève se entre dans sa troisième semaine. Plus de 1000 personnes ont pris part à une manifestation samedi 16 septembre à Vittel. Le secrétaire de la CGT Nestlé Waters, cité par France Bleu: «Nestlé se dit socialement responsable, ils ont un devoir envers le territoire. On a rapporté pendant 30 ans des dividendes».

Alain Gonthier
En partie adapté de l’article «Nestlé à Vittel, une débâcle annoncée» paru sur le blog L’Eau qui mord